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« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro VI (octobre-novembre 2007)
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Le premier journal français à
annoncer des cadeaux ou faveurs pour tout nouvel abonnement est le Figaro.
Ce dernier, alors jeune bihebdomadaire mondain et spirituel relancé en 1854 par
un entrepreneur ingénieux qui veut révolutionner la presse bourgeoise, un
certain Hippolyte de Villemessant, émet à ses débuts des bulletins d’abonnement
engageant le souscripteur à ne payer son service qu’à la fin de l’année. Chaque
bulletin représente une lettre de créance au périodique. Imaginez que vous emportez
Le Figaro d’aujourd’hui et que vous ne payiez qu’en décembre ! Originale
pour l’abonné qui n’avance pas l’argent, l’idée est risquée pour le journal,
qui limite sa recette directe. Elle porte néanmoins ses fruits, puisque le Figaro
se constitue rapidement un fichier de fidèles lecteurs. Cette première offre du
Figaro constitue en quelque sorte le point de départ des combinaisons
qui sous-tendent les offres actuelles, et que la presse va longtemps appeler
les « abonnements remboursables », dont le principe est simple : faire
croire à l’abonné que la souscription ne coûte (presque) rien.
Progressivement, les offres et
les cadeaux se diversifient. La première formule, la plus courante jusqu’au
début des années 1890, consiste à proposer toujours plus de papier imprimé, et des
suppléments périodiques complémentaires ou des éditions de librairie. Voici que
ce que signale, en gros caractères gras, un prospectus encarté dans Le Figaro du 25 octobre 1863 :
« Prime unique et gratuite offerte
à tous les nouveaux abonnés et réabonnés à La Nation, journal politique
quotidien grand format, à savoir : Les Misérables de Victor Hugo, Victor
Hugo raconté par un témoin de sa vie, La Vie de Jésus par M. Renan, Sonates
de Mozart (piano). La Nation offre en ce moment une prime inouïe
dans les annales de la presse. Les abonnés d’un an ont seuls droit à la
totalité de la prime. Les abonnés de six mois auront droit à deux ouvrages [...]
et les abonnés de trois mois pourront choisir, à titre de prime, un ouvrage ».
La prime désigne le petit cadeau censé engager le client. À l’époque, un journal ne refuse absolument pas de faire de la publicité pour un confrère, et La Nation, organe bonapartiste, a dû payer cher cette réclame au Figaro. Les publications les plus diverses sont promises pour tout souscription. Le nouvel abonné de La Patrie, journal monarchiste, peut choisir, à la fin de l’année 1877, entre un et quatre volumes dans une liste de plus de deux cents titres, dont des pièces de théâtre, des mémoires biographiques, des récits de voyage, des romans populaires ou des albums musicaux. Celui de La Dépêche, quotidien républicain de Toulouse, double son abonnement en juin 1881 en recevant, chaque semaine pendant six mois, au choix une revue sur l’instruction primaire, un magazine de culture générale ou... Le Journal des conseillers municipaux. Voilà une prime pratique !
La concurrence aidant, certains
quotidiens annoncent des cadeaux originaux pour faire parler d’eux :
« J’ai cherché à métamorphoser l’acheteur en abonné. Tout le monde sait
que le plus sûr pour réussir en pareil cas est encore de recourir à la prime.
Mais à laquelle ? Elles sont bien usées, les primes. De livres ainsi que de
musique, le public ne veut plus en entendre parler [...] Donc, à partir de
demain mardi, 23 janvier 1866, les populations sont averties que, moyennant un
abonnement de trois mois, prix 9 francs au journal L’Evénement, à dater du 1er
février prochain, chacun peut emporter sous son bras une charmante boite
habitée par une douzaine de mandarines premier choix ».
Le même titre, qui ne doute pas de sa supériorité journalistique, pousse
l’audace et la surenchère jusqu’à débaucher les abonnés de son principal rival (compte
tenu des règles de la concurrence, cette manœuvre publicitaire serait
aujourd’hui impensable) :
« Ceux des abonnés du Soleil qui voudront s’amuser à établir une
comparaison n’ont qu’à nous adresser leurs bandes imprimées ; nous serons
heureux de leur servir gratuitement, à titre de parallèle, un abonnement de
quinze jours à L’Evénément [...] De cette manière, ils pourront se
prononcer en toute connaissance de cause, et garder celui des deux journaux qui
leur paraîtra véritablement le meilleur ».
Chemin faisant, il faut trouver d’autres combinaisons commerciales, des
primes bien plus alléchantes. Fin 1897, le quotidien d’informations générales Le Matin offre, à tout abonné de deux ans, un bon donnant droit à vingt tickets
d’entrée à l’Exposition universelle de 1900, ainsi qu’à la participation à
plusieurs tirages à lots financiers. Son grand ennemi essaye de frapper plus
fort quelques mois plus tard :
« Toujours en quête de primes nouvelles, toujours désireux d’être
agréables à ses abonnés, Le
Journal a voulu, tout en leur
offrant pour plus de 60 000 francs de cadeaux, faire une bonne œuvre. Il vient
dans ce but d’acheter la presque totalité des billets de la loterie de l’Œuvre
nationale de la Maisons du soldat [...] Ces 79 000 billets, Le Journal les répartira gratuitement entre ses seuls abonnés [dont] l’abonnement
va au moins jusqu’au 30 décembre 1900 ».
Une voiture automobile, un piano, des tricycles et un bronze d’art figurent parmi les premiers prix. Plus fort encore, le quotidien Excelsior qui, lors de son lancement en novembre 1911, déclare rembourser intégralement ses 20 000 premiers abonnés sous forme de marchandises de première nécessité : boites de conserve, boissons minérales et alcoolisées, poissons, crustacés, pâtisseries, thé... La formule cache en fait un accord entre le journal et des maisons de nouveautés qui fournissent les produits contre de la publicité gratuite.