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Aimez-vous Ambroise de Nouive ?

Aimez-vous Ambroise de Nouive ?

Aimez-vous Ambroise de Nouive ?
Mis en ligne le dimanche 29 juillet 2007 ; mis à jour le mercredi 22 août 2007.

Publié dans le numéro III (juin 2007)

«Camarades» Il parlait. Les mots qu’il disait c’était lui qui les inventait, et eux cependant ne les entendaient pas avec leurs oreilles, mais au fond d’eux-mêmes. Il parlait pour lui-même et ils l’acclamaient ; c’était pour eux qu’il parlait. Il disait l’immense bonne volonté qui venait de naître en France et qui allait rayonner sur le monde ; il leur promettait qu ils sauraient imposer a toute la terre leurs méthodes de paix. Car c’est surtout pour nous, camarades syndicalistes, que ce jour est un jour de triomphe ; les résultats que nous avons obtenus ne sont encore qu’un commencement : mais ce qui fait notre orgueil, ce qui permet tous les espoirs, c’est que nous les ayons obtenus par des grèves purement professionnelles. Il parlait et ses mots n’étaient ni des prières, ni des ordres. Un chant, un chant de fête. Par sa bouche, tous chantaient en choeur. Comme si nous n’avions pas occupé chacun une place sur terre ; comme si chacun n’avait pas été pour autrui cet obstacle ; chacun soi seulement pour soi, existant à côté des autres à jamais séparé d’eux. Un autre. Ils chantaient la magie de la liberté, la force de la fraternité et la gloire souveraine d’être un homme. Bientôt la guerre, la violence, l’arbitraire, deviendraient impossibles, la politique même serait inutile, car il n’y aurait plus de séparation entre les hommes, mais une seule humanité. C’était là l’espoir suprême qu’ils saluaient au fond de l’avenir. La réconciliation de tous les hommes dans la libre reconnaissance de leur liberté :
- Tu me passeras tes notes, dit Gauthier. Je veux faire paraître ton discours dans la Vie syndicale.

Tout ça fleure bon les années trente. On se croirait revenu à la grande époque du Front Pop. Non pas tant par la rhétorique que dans une vague tonalité d’ensemble. Ca sent le scepticisme d’un vieux nanar, ou d’un écrivain de droite, quant à la validité des grands mots, des grandes phrases et des idées qu’il y a derrière. A trop brasser de l’air, on finit pétomane. La facture reste cependant très classique, pas d’envolée lyrique ni de ponctuation zarbi. Ca exclut d’emblée Céline et ses séides. Et puis, des histoires de potaches, ça suggère la nostalgie d’un célibataire vieillissant, arrivé au sommet de sa notoriété, reconnu par la société, académicien en milieu de fin de parcours. Michel Déon ? Le fantôme d’André Gide ? De la fadeur, mais de l’entrain. On en mangerait volontiers des kilomètres, des rayonnages entiers, de ces petites phrases bien enchassées, de ces dialogues ironiques sur les enjeux politiques d’une époque charnière. Bon. A relire l’ensemble, j’en viens à douter de ma position. Et si tout ça était premier degré de bout en bout ? A bien y réfléchir, ça pourrait même être issu du journal de campagne d’un militant mitterrandien de la septième heure. C’est le problème avec les écrivains falots, on finit par ne plus savoir s’ils sont médiocres ou simplement géniaux.
Léo Trabant

Nostalgie, nostalgie, piège qu’ouvre pour nous le temps à chaque génération, chaque enfance pour toujours dépassée, et que nous ne cessons de pleurer avec une tenace, obtuse, folle fidélité ! C’était une époque innocente, pensons-nous, une époque où tout était possible, où le monde pouvait être changé. Et nous les imaginons, ces camarades, nous sommes avec eux, leur souffle tiède dans nos bouches amères, nos pas dans leurs pas, leurs mots réussissant le prodige de nous faire vibrer, nous qui sommes revenus de tout et nous en glorifions, du communisme et du libéralisme, des religions et des traditions, de l’ascèse et du savoir-jouir, des interdits, des permissions, des subversions, des ruptures ! Il suffit de si peu de chose, le mot «paix», le mot «espoir», le mot «fraternité».L’auteur, futé, s’y entend à les égrener, ces mots, chacun apparaissant exactement à l’instant, à la place où nous avons besoin de l’entendre - de le lire ? Car c’est bien un discours, la forme épousant étroitement le fond, dans une absence de distance étudiée qui rend encore plus sensible la chute prosaïque : «Tu me passeras tes notes...» Magistral... On songe au duo Sartre/Beauvoir, à Malraux... Ah, la France, la littérature... une envie pathétique de mettre des majuscules partout... Nostalgie...
Paule Anouihl

 

L’art de la rhétorique politique a ceci d’utile (pour son énonciateur) qu’il lui permet de totalement se décoller du monde réel, de se complaire dans un lyrisme grandiloquent (oups, pléonasme !). On en a assez l’exemple, hélas, en cette période présidentielle. Pourtant, là, ce n’est pas exactement de cela dont il s’agit, car ce texte est un méta-texte, un discours politique à propos d’un discours politique. Du coup, l’effet de condensation entre le déclamé et le récit-du-déclamé n’en est que plus saisissant, provoquant une adhésion nauséeuse digne de l’immersion dans le meeting le plus déchaîné du plus grand des tribuns...L’unanimisme vanté ici, selon l’éphémère doctrine littéraire du début du XXe siècle fondée par Jules Romains, trouve une expression quasi religieuse, tant il est vrai que la harangue des foules aspire à une sorte de communauté rêvée dont la principale qualité, bien sûr, est précisément d’être tellement rêvée qu’elle en est écœurante. En ces temps de saturation politique, je crois qu’il est bon de jeter ce texte. De quitter, l’espace d’un instant, la bulle de ces discours creux, sans pour autant se vautrer dans le cambouis des petits arrangements avec la réalité, celui de la complexité des situations qui font la fragilité des incantations politiques. Non, juste se déconnecter.
Jack Adit

 

Naïf ? Cela pourrait peut-être qualifier ce passage. Un passage un peu mielleux à cause de la manière dont le narrateur s’exprime. En réalité au début on a l’impression que le narrateur (interne ?) ironise et semble caricaturer un homme qui fait un discours de propagande histoire « d’endormir » le peuple, mais ensuite on se rend compte que le narrateur est plutôt enclin à croire cet homme qui lui paraît faire un discours exemplaire. Le fait est que l’homme dont parle le narrateur a su ensorceler ses camarades par un discours charismatique qui vantait leurs mérites, mais il n’y a pas que cela. Il est aussi porteur d’Espoir ! Je ne suis pour autant pas totalement emballée. C’est peut-être l’état d’esprit dans lequel je me trouve à cause des présidentielles mais, il n’empêche que ce genre de discours, on ne peut y adhérer que lorsque l’on fait parti du mouvement. Et, dans le cas présent d’un certain mouvement syndicaliste ! Ce qui me touche et me blesse à la fois c’est de parler de l’Humanité entière en tant qu’elle une et indivisible. Le contexte dans lequel nous vivons ne nous laisse pas entrevoir autant d’espoir que ce texte laisse entendre. L’objectif est noble, la cause est bonne mais la réalité est tout autre. Mais tout le monde connaît le poids des discours lorsqu’ils sont prononcés avec conviction. La vache ! Je n’arrive jamais à deviner qui peut bien être l’auteur !

Nuit blanche

 

 

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