Dans l’arrière-boutique des ship managers
Dans l’arrière-boutique des anthropologues
« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro III (juin 2007)
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«Camarades» Il parlait. Les
mots qu’il disait c’était lui qui les inventait, et eux
cependant ne les entendaient pas avec leurs oreilles, mais au fond
d’eux-mêmes. Il parlait pour lui-même et ils
l’acclamaient ; c’était pour eux qu’il parlait. Il
disait l’immense bonne volonté qui venait de naître en
France et qui allait rayonner sur le monde ; il leur promettait qu ils
sauraient imposer a toute la terre leurs méthodes de paix. Car
c’est surtout pour nous, camarades syndicalistes, que ce jour est
un jour de triomphe ; les résultats que nous avons
obtenus ne sont encore qu’un commencement : mais ce qui fait notre
orgueil, ce qui permet tous les espoirs, c’est que nous les ayons
obtenus par des grèves purement professionnelles. Il parlait
et ses mots n’étaient ni des prières, ni des ordres.
Un chant, un chant de fête. Par sa bouche, tous chantaient en
choeur. Comme si nous n’avions pas occupé chacun une place sur
terre ; comme si chacun n’avait pas été pour autrui cet
obstacle ; chacun soi seulement pour soi, existant à côté des autres à jamais séparé d’eux. Un autre. Ils chantaient
la magie de la liberté, la force de la fraternité et la
gloire souveraine d’être un homme. Bientôt la guerre,
la violence, l’arbitraire, deviendraient impossibles, la politique
même serait inutile, car il n’y aurait plus de séparation
entre les hommes, mais une seule humanité. C’était là
l’espoir suprême qu’ils saluaient au fond de l’avenir. La
réconciliation de tous les hommes dans la libre reconnaissance
de leur liberté :
- Tu me passeras tes notes, dit
Gauthier. Je veux faire paraître ton discours dans la Vie
syndicale.
Tout ça
fleure bon les années trente. On se croirait revenu à
la grande époque du Front Pop. Non pas tant par la rhétorique
que dans une vague tonalité d’ensemble. Ca sent le
scepticisme d’un vieux nanar, ou d’un écrivain de droite,
quant à la validité des grands mots, des grandes
phrases et des idées qu’il y a derrière. A trop
brasser de l’air, on finit pétomane. La facture reste
cependant très classique, pas d’envolée lyrique ni de
ponctuation zarbi. Ca exclut d’emblée Céline et ses
séides. Et puis, des histoires de potaches, ça suggère
la nostalgie d’un célibataire vieillissant, arrivé au
sommet de sa notoriété, reconnu par la société,
académicien en milieu de fin de parcours. Michel Déon ?
Le fantôme d’André Gide ? De la fadeur, mais de
l’entrain. On en mangerait volontiers des kilomètres, des
rayonnages entiers, de ces petites phrases bien enchassées, de
ces dialogues ironiques sur les enjeux politiques d’une époque
charnière. Bon. A relire l’ensemble, j’en viens à
douter de ma position. Et si tout ça était premier
degré de bout en bout ? A bien y réfléchir,
ça pourrait même être issu du journal de campagne
d’un militant mitterrandien de la septième heure. C’est le
problème avec les écrivains falots, on finit par ne
plus savoir s’ils sont médiocres ou simplement géniaux.
Léo
Trabant
Nostalgie,
nostalgie, piège qu’ouvre pour nous le temps à chaque
génération, chaque enfance pour toujours dépassée,
et que nous ne cessons de pleurer avec une tenace, obtuse, folle
fidélité ! C’était une époque innocente,
pensons-nous, une époque où tout était possible,
où le monde pouvait être changé. Et nous les
imaginons, ces camarades, nous sommes avec eux, leur souffle tiède
dans nos bouches amères, nos pas dans leurs pas, leurs mots
réussissant le prodige de nous faire vibrer, nous qui sommes
revenus de tout et nous en glorifions, du communisme et du
libéralisme, des religions et des traditions, de l’ascèse
et du savoir-jouir, des interdits, des permissions, des subversions,
des ruptures ! Il suffit de si peu de chose, le mot «paix»,
le mot «espoir», le mot «fraternité».L’auteur,
futé, s’y entend à les égrener, ces mots, chacun
apparaissant exactement à l’instant, à la place où
nous avons besoin de l’entendre - de le lire ? Car c’est bien un
discours, la forme épousant étroitement le fond, dans
une absence de distance étudiée qui rend encore plus
sensible la chute prosaïque : «Tu me passeras tes notes...»
Magistral... On songe au duo Sartre/Beauvoir, à Malraux... Ah,
la France, la littérature... une envie pathétique de
mettre des majuscules partout... Nostalgie...
Paule
Anouihl
L’art de la
rhétorique politique a ceci d’utile (pour son énonciateur)
qu’il lui permet de totalement se décoller du monde réel,
de se complaire dans un lyrisme grandiloquent (oups, pléonasme !).
On en a assez l’exemple, hélas, en cette période
présidentielle. Pourtant, là, ce n’est pas exactement
de cela dont il s’agit, car ce texte est un méta-texte, un
discours politique à propos d’un discours politique. Du
coup, l’effet de condensation entre le déclamé et le
récit-du-déclamé n’en est que plus saisissant,
provoquant une adhésion nauséeuse digne de l’immersion
dans le meeting le plus déchaîné du plus grand
des tribuns...L’unanimisme vanté ici, selon l’éphémère
doctrine littéraire du début du XXe siècle
fondée par Jules Romains, trouve une expression quasi
religieuse, tant il est vrai que la harangue des foules aspire à
une sorte de communauté rêvée dont la principale
qualité, bien sûr, est précisément d’être
tellement rêvée qu’elle en est écœurante. En
ces temps de saturation politique, je crois qu’il est bon de jeter
ce texte. De quitter, l’espace d’un instant, la bulle de ces
discours creux, sans pour autant se vautrer dans le cambouis des
petits arrangements avec la réalité, celui de la
complexité des situations qui font la fragilité des
incantations politiques. Non, juste se déconnecter.
Jack
Adit
Naïf ? Cela pourrait peut-être qualifier ce passage. Un passage un peu mielleux à cause de la manière dont le narrateur s’exprime. En réalité au début on a l’impression que le narrateur (interne ?) ironise et semble caricaturer un homme qui fait un discours de propagande histoire « d’endormir » le peuple, mais ensuite on se rend compte que le narrateur est plutôt enclin à croire cet homme qui lui paraît faire un discours exemplaire. Le fait est que l’homme dont parle le narrateur a su ensorceler ses camarades par un discours charismatique qui vantait leurs mérites, mais il n’y a pas que cela. Il est aussi porteur d’Espoir ! Je ne suis pour autant pas totalement emballée. C’est peut-être l’état d’esprit dans lequel je me trouve à cause des présidentielles mais, il n’empêche que ce genre de discours, on ne peut y adhérer que lorsque l’on fait parti du mouvement. Et, dans le cas présent d’un certain mouvement syndicaliste ! Ce qui me touche et me blesse à la fois c’est de parler de l’Humanité entière en tant qu’elle une et indivisible. Le contexte dans lequel nous vivons ne nous laisse pas entrevoir autant d’espoir que ce texte laisse entendre. L’objectif est noble, la cause est bonne mais la réalité est tout autre. Mais tout le monde connaît le poids des discours lorsqu’ils sont prononcés avec conviction. La vache ! Je n’arrive jamais à deviner qui peut bien être l’auteur !
Nuit blanche