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Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro 29 (jan.-fév. 2009)
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Architecte en mesure d’altitudes, plus précisément, mais c’est moins poétique... c’est pour ça que je dis en visée stellaire. Donc, les viseurs d’étoiles ! donc c’est un instrument qui permet de mesurer des orientations, donc qui est utilisé sur des satellites ou sur des applications militaires particulières pour savoir comment est orienté le satellite. Donc qui sert au contrôle d’altitude, qui est un besoin nécessaire sur n’importe quel type de satellite, donc qui n’est pas une mesure de position mais uniquement d’orientation, pour savoir exactement où on vise, que ce soit sur des satellites d’observation, pour savoir précisément, avant prendre la photo, où on regarde, ou éventuellement sur des satellites géostationnaires, pour orienter des antennes de télécommunication, etc. Et donc le principe c’est en gros une caméra numérique qui mesure les positions des étoiles qui servent de référence fixe, et c’est basé sur exactement le même principe que les navigateurs dans le temps qui regardaient les étoiles pour se repérer.
Maintenant quand je suis dans ma campagne et que je vois un magnifique ciel étoilé, je me dis je pourrais faire de magnifiques essais en ciel réel, c’est navrant ! On fait des essais de temps en temps. J’ai le plaisir de me retrouver à 5 heures du mat’ dans ma banlieue parisienne pour faire des essais de nuit, pour vérifier que ça marche bien avec des vraies étoiles quoi. Se retrouver à 5 heures du mat’ à bosser, juste c’est marrant, on se dit qu’est-ce que je fous là ?, t’es derrière ton PC là t’es tout seul, toute la boîte est éteinte et tu lances des calculs, bon c’est marrant... mais heureusement que j’en ai pas trop fait quoi.
Je fais des calculs et j’écris des docs surtout. Parce que c’est vrai que notamment dans le spatial, c’est quelque chose d’extrêmement formaliste, parce que quand on livre un équipement, on livre pas seulement l’équipement en lui-même, mais on livre aussi le fait qu’il va marcher, dans les conditions du vide spatial, après un lancement, donc y a énormément de contraintes, et on peut pas forcément prouver sur terre que ça va marcher. On fait des essais, certes, mais qui sont forcément partiels, alors que bon si on fabrique une voiture, on la fait rouler et on sait si ça va marcher. Et donc je passe mon temps finalement à écrire des documents. Mais en fait, entre la fin des projets et le moment où c’est lancé, il se passe encore quelques années. Donc quand on a les premiers retours sur un projet, ça fait déjà trois ans qu’on est sur un autre. Dans le meilleur des cas, parce que si on envoie une sonde sur Pluton ou autre, on a les résultats dix-neuf ans après, donc les gens sont en retraite, ils sont morts, je sais pas. Donc la durée est vraiment dilatée sur ça. Et puis après l’équipement on l’a vraiment testé dans tous les sens, donc normalement ça marche. Et si ça marche pas, c’est qu’on s’est vraiment planté, c’est quand même assez rare. Donc jusqu’à présent j’ai jamais eu aucun souci.
Ça va faire sept ans déjà, j’ai commencé par ça. Et après, la monotonie de la vie faisant que j’ai continué, ben voilà. Je pense c’est un parcours assez standard de quelqu’un qui sait pas forcément ce qu’il a envie de faire. Je fais un peu ce que fait n’importe quel bon élève : une prépa scientifique, et puis après selon les concours... Moi j’ai choisi l’école qui était la plus près de Paris, parce que j’avais quand même déjà envie de faire des expos tout ça.
Par principe, non, je suis pas content, c’est du travail... le travail par principe, c’est pas intéressant, disons que j’ai pas envie d’être intéressé par mon travail. Mais ça c’est parce que j’ai autre chose, que je préfèrerais faire de la peinture... Après je dis pas que je peux pas avoir des moments qui peuvent m’intéresser et où je peux être à fond dans mon truc aussi... Mais du moment où on considère que c’est intéressant, c’est que c’est une notion de fin en soi. Alors que voilà c’est juste du travail, pour gagner sa vie, et après effectivement y a nettement pire comme boulot, et donc là-dessus j’ai pas à me plaindre. Je trouve rarement des gens intéressés par ça, ou si j’en rencontre, moi j’ai pas envie de leur parler, alors je les fuis. Là [en faisant cet entretien] je fais un effort, c’est vraiment pour dire que voilà, j’ai fait un effort exceptionnel !
Mon discours finalement par rapport à ça m’intéresse pas et c’est pas ça que j’ai envie de faire, toujours est-il que je considère que je fais très bien mon boulot et que je vais même nettement au-delà de la plupart des gens dans leur boulot. C’est la réflexion qui est prenante en fait, parce que bon ben des fois, on remue... moi j’aime bien aller au bout des choses, et comprendre ce que éventuellement les autres n’ont pas compris, traiter les problèmes avant qu’ils apparaissent... Quand on connaît la technique et qu’on suit une démarche rigoureuse, ça, ça nécessite de reboucler en permanence. Quand on quitte le boulot, et par exemple moi j’essaye de me mettre à la peinture, il faut que je quitte cette façon de penser là, et c’est pas toujours facile. Parce que ça reste toujours dans un certain cadre et dans une pensée scientifique, et donc ça a une certaine facilité, même si le travail peut être difficile, je veux pas minimiser le travail d’un ingénieur ou des choses comme ça, mais ça reste finalement : j’arrive le matin, je me pose à mon bureau et je fais le travail qu’on me demande. Après, je le fais plus ou moins intelligemment, mais quand je suis face à une peinture, le travail est différent, je suis seul face à moi, faut que je trouve des solutions. Et puis un artiste... s’il est bon ça suffit pas, faut qu’il soit très bon. Un ingénieur, si c’est un bon ingénieur, c’est déjà très bien.
Arrêter pour faire de la peinture, j’y pense, en même temps ça fait sept ans que j’y pense et j’ai toujours pas franchi le pas. Donc y a de quoi se poser des questions. Après c’est une question de se sentir prêt. Le problème pour se sentir prêt, faut aussi beaucoup peindre et c’est un peu un cercle vicieux. En même temps, est-ce qu’on se sent vraiment prêt un jour ? Y a une peur effectivement à faire ça toute la journée, donc d’être seul face à soi-même, et puis il faut produire. Et puis je suis aussi collectionneur, je fais aussi beaucoup d’expos etc., donc j’ai aussi mon regard qui s’est construit, bon qui vaut ce qu’il vaut, mais je peux être aussi très critique vis-à-vis de mes peintures. Donc je voudrais pas être un peintre médiocre, je voudrais faire des choses très bien, et je sais absolument pas si j’en suis capable ou pas. Donc j’attends, j’essaie de continuer, et j’attends.
L’utilisation de mon travail, ça m’intéresse assez peu. Ça m’indiffère. Après si je travaillais sur des mines anti-personnels ça me ferait chier, mais là c’est plus dans le monde de l’absurde, le monde de la dissuasion nucléaire. Parce que précisément, moi, mon instrument, il sert à améliorer la précision d’un missile nucléaire, et améliorer la précision d’un missile nucléaire c’est un petit peu absurde. Après, de voir les implications de mon travail, qui est une goutte d’eau par rapport à tout ça... Je fais juste mon travail et puis voilà. De toute façon, l’utilité des choses... est-ce qu’on fait vraiment des choses utiles ou pas, c’est un faux problème. C’est la vie qui est comme ça, c’est le côté absurde de la vie, et c’est pas pour ça qu’il faut être catastrophé de la vie. Alors que la peinture, il suffit qu’il y ait une personne qui regarde une peinture et qui ait vraiment un bonheur vrai et intense devant cette peinture, pour moi ça justifie toute la carrière du peintre. Alors que bon, mettre un viseur d’étoiles sur un satellite, ça a jamais fait plaisir à personne. Mais quand on peint, je pense qu’on peint, je sais pas si c’est pour soi, mais on peint parce qu’on a ça dans les tripes voilà. L’altruisme ça a jamais été un ressort de la création, même si la finalité vraiment d’une peinture c’est quand elle s’échappe de l’artiste.