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Parisien / Sébastien, 34 ans.

Parisien / Sébastien, 34 ans.

Parisien / Sébastien, 34 ans.
Mis en ligne le jeudi 16 décembre 2010 ; mis à jour le samedi 3 juillet 2010.

Publié dans le numéro 11-12 (Juillet-août 2010)



La plupart du temps je dis que j’habite dans le bout du vingtième entre Nation et le Père Lachaise. Pour moi mon quartier c’est cette rue-là, c’est la rue des Vignoles, il se trouve que c’est celle où j’habite, et donc j’ai tendance à l’appeler le quartier des Vignoles. Et en plus comme c’est une rue imbriquée de toutes petites impasses, qui font un peu l’identité de ce micro-bout de quartier, voilà...

Je vais rarement au-dessous du boulevard de Charonne, donc souvent je ne quitte pas le vingtième arrondissement. Et mon quartier il va de la rue de Bagnolet à... allez, jusqu’au cours de Vincennes en comptant large, parce que vers là-bas y a le parc où je vais promener ma fille, mais souvent je dépasse pas trop la rue d’Avron. C’est vraiment un périmètre assez réduit. Moi mon univers, mon café du matin, mon journal, sont dans un périmètre de cent mètres autour de ma maison, et j’aime bien ça. J’aimerais bien rester très très très longtemps. J’ai trouvé un endroit où je suis très heureux de vivre. Je sors pas plus que ça du quartier. Voilà, je fréquente pas les boîtes de nuit, c’est pas ce à quoi j’aspire... J’ai mon marché, j’ai mon parc, j’ai les quatre cinq restos que j’aime bien, et pour l’instant ça me suffit largement. Ce marché de la place de la Réunion, c’est mon dimanche matin de n’importe quelle semaine, ça me plaît assez de voir à la fois une histoire de militantisme politique, y a la CNT juste à côté, ça tracte beaucoup, les marchands plutôt maghrébins, les petits commerçants bio du coin, et je trouve que ça marche assez bien, voilà, ça marche assez bien.

Dans le cadre de mon travail, j’ai l’occasion de pas mal me déplacer dans Paris et partout, et quand j’ai un rendez-vous pas loin de Notre-Dame, il m’arrive d’y flâner, mais je consomme le reste de Paris comme presque un touriste, alors que je me sens moins touriste ici. J’ai du mal à m’approprier une identité de parisien au sens large. Je me sens plus habitant de ce quartier que parisien. Et peut-être que Paris est trop vaste à s’approprier, et que de dire que je me ressens à la fois chez moi au Trocadéro, à Montmartre et à Montparnasse, c’est pas mon univers.

J’ai grandi dans une banlieue pavillonnaire du Val-de-Marne, assez loin du RER, et mine de rien quand on a vingt ans... comme j’ai fait mes études à Jussieu, j’avais une chambre de bonne à Paris et c’était très agréable, j’ai eu envie de rester. La question s’est pas vraiment posée, et on a privilégié d’habiter près de l’endroit où on travaille, et si possible dans un vrai espace de quartier, plutôt que dans un endroit un peu anonyme. Les coins sans identité c’est pour moi les coins où y a pas de vie extérieure. Et mine de rien, alors que j’habite pas ici depuis si longtemps, je peux pas me déplacer sans avoir à dire bonjour et à serrer des mains de cinq six sept personnes dans le quartier. Cette vie qui s’apparente peut-être à un esprit de village, je la connaissais pas dans le quatorzième, je la connaissais pas dans d’autres endroits où je vivais, comme dans le dixième près du canal saint Martin. Ici, je suis pas sûr que les gens y viennent en visite ou en promenade, c’est pas un espèce de micro-Montmartre, où les gens viennent et repartent en laissant les restes de leur pique-nique. L’idée que ce soit pas juste un endroit de transit, que ce soit pas un parc de loisir où on vient juste boire un verre, ça me plaît. C’est un entre-soi qui, justement parce qu’on est dans un moment de l’histoire de Paris où il reste encore quelques quartiers populaires avant que tout soit définitivement désinfecté, je dis ça de manière provocatrice volontairement, il est pas consanguin. C’est pas un entre-soi de Passy ou de la rue Daguerre où j’ai habité aussi.

C’est aussi une ambiance et des gabarits, une forme d’échelle d’habitat... enfin ça c’est un mauvais exemple parce qu’on a à côté de nous un des plus grands immeubles du quartier, mais finalement y a pas d’uniformité architecturale et c’est peut-être ce qui me plaît. Au final d’avoir que des immeubles de six étages partout avec les mêmes moulures et les mêmes portes c’est très beau mais ça manque un peu de richesse. Et dans ce quartier, y a de tout, y compris des maisons de bric et de broc, et ça donne un charme.

Je trouve que c’est un espace on va dire de mixité sereine. C’est ça que je trouve agréable. Voilà, j’appartiens à une population qui est nouvelle dans le quartier et qui est... caractérisée... sous le nom de bobos qui viennent habiter dans des quartiers populaires. Et je trouve que la cohabitation est pour l’instant assez sereine, j’ai pas l’impression que le quartier est en train de se nettoyer, j’ai l’impression que le quartier est paisiblement en train de se mélanger. La relation elle se fait beaucoup dans ce bistrot-là qui est fréquenté par les chauffeurs de taxi algériens. C’est là, c’est le café du coin qui fait le mélange, c’est les commerçants du coin et le coiffeur berbère où je vais. Ça reste des mélanges occasionnels, mais y en a quand même, c’est ce que je trouve agréable.

J’imagine que je suis moi un des pions de cette transformation par le fait de venir ici avec une autre histoire sociologique, une autre histoire économique que la plupart des gens qui y vivaient déjà, et pour autant je trouve ça presque moins visible que ce qu’on peut observer à Montreuil en ce moment. Là où je travaille à Montreuil, c’est justement des immeubles de bureaux qui sont gagnés sur les vieux immeubles industriels, et je trouve que la confrontation est beaucoup plus brutale qu’elle ne semble l’être aujourd’hui dans le vingtième. Finalement, le fait que le quartier se reconstruise sur lui-même, même d’un point de vue architectural, ça reste des vieux immeubles qui sont certes restaurés, et ça donne des petites impasses très chics avec des lofts à un million d’euros et... mais on sent pas visuellement de confrontation entre un gros bâtiment neuf massif et puis un petit immeuble qui n’attend que d’être démoli pour laisser place à un autre bâtiment neuf. Je trouve que l’imbrication est plus subtile, et à une échelle qui reste plus invisible. Alors c’est peut-être insidieux, peut-être que quand on est dedans on est moins témoin... mais je vois pas la frontière entre ici c’est nous et de l’autre côté c’est les autres. Au-delà de mon comportement individuel avec mes voisins, j’ai du mal à imaginer que je vais changer grand-chose à la politique foncière et aux envies des promoteurs et à la réalité du coût du mètre carré à Paris.

Je me pose ces questions, y compris dans le cadre de mon travail où j’essaye de faire des éco-quartiers et des choses comme ça. On peut dire qu’on trouve charmantes et coquettes les petites impasses insalubres, mais pour les gens qui y vivent c’est peut-être pas « coquet » le mot qui leur vient à l’esprit, et au final voilà moi je suis content d’un équilibre qui semble apaisé entre ces populations, mais il est plus facile de le vivre de manière apaisée quand on est de mon côté que quand on est du côté des gens qui voient arriver des grosses voitures et ces appartements qui coûtent beaucoup plus cher et qu’ils ont plus les moyens de se payer.



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