Dans l’arrière-boutique des ship managers
Dans l’arrière-boutique des anthropologues
« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro 023 (Novembre 2012)
|
Rouvrir le dossier. Considérer que cette histoire n’est jamais terminée. En 2002, lorsque Pacôme Thiellement avait publié Poppermost [1] , dont le début est précisément consacré à ça, j’avais eu le sentiment qu’il n’y avait rien à rajouter, qu’il avait clos ce fantasme que je traînais depuis mon adolescence, depuis que j’avais, sur la platine vinyle de mon cousin, écouté à l’envers ce passage du double album blanc où l’on entend distinctement : « Paul is dead. Miss him... Miss him... »
Et puis c’est revenu cet été [2]. Lors de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Londres, Paul McCartney, au piano, a commencé à chanter « Hey Jude », mais le play-back ne s’est pas déclenché tout de suite, on a d’abord entendu la voix toute seule du chanteur et c’était affreux, c’était horriblement faux et toc, ensuite le play-back est revenu et les jours d’après pas grand-monde n’en a parlé [3] ; le vrai Paul McCartney aurait-il aussi mal chanté ?
L’hypothèse de départ, la « rumeur » comme ils disent, est donc la suivante : Paul McCartney est mort il y a bien longtemps, fin 1966 ou début 1967, dans un accident de voiture. À l’époque, les Beatles sont au sommet de leur carrière : il n’est pas question de rendre publique cette nouvelle et ainsi de devoir proclamer la mort du groupe le plus rentable du monde. On engage donc un sosie de Paul McCartney, et les Beatles continuent pour quelques années encore. Puis le faux Paul McCartney entame une carrière solo, qui n’a jamais cessé depuis.
On peut parler sosies ? Non pas les sosies pour les concerts dans les parkings de supermarché, Johnny Vegas (« unique artiste élu meilleur sosie de Johnny Hallyday »), Ben Jack’son (« un nom composé de son vrai nom de famille (Ben) et de cette apostrophe (Jack’son), sa touche personnelle, sa marque de respect visible envers le nom Jackson »), Bastien Remy (sosie de Claude François : « Bastien Remy est un sosie, un formidable sosie, mais il est bien plus que cela »), Chris Agullo (sosie d’Elvis Presley : « fait rare dans ce style, l’unité des médias l’ont reconnu sur le plan national ce qui fait de lui un habitué des plateaux et diverses émissions de télé comme en témoigne son actualité »). Non pas les concours de sosies, qui sont vieux comme la notion de star (autour de 1915, il existait des concours d’imitations de Chaplin - la rumeur raconte d’ailleurs que Chaplin lui-même s’était présenté à un de ces concours mais qu’il n’avait même pas pu accéder à la finale [4] - et un siècle plus tard TF1 fait précisément la même chose en organisant régulièrement une émission intitulée « La soirée des sosies »). Mais les sosies utiles, les sosies qui servent à mourir à votre place ou à l’occuper pour masquer votre disparition. Relisons ensemble quelques anecdotes. Dès le 13 mars 1939, le magazine Newsweek publie un article intitulé « Adolf Hitler’s double » [5]. Lorsque les Soviétiques arrivent à Berlin en mai 1945, ils trouvent un cadavre qu’ils filment et prennent en photo, parce qu’ils pensent qu’il s’agit de celui de Hitler. C’est en fait (ce serait en fait) un certain Gustav Weler, dont la ressemblance physique (et le destin) permettent de déduire qu’il était une des doublures du dictateur allemand [6].
En février 1945, un avion décolle de Moscou en direction de Yalta, sur la mer Noire. Officiellement, le maréchal Staline est à l’intérieur ; en réalité, le véritable Staline est déjà parti, et c’est un de ses quatre sosies, le dénommé Felix Dadaev qui part au vu et au su de tous, les services secrets espérant ainsi que les tentatives d’assassinat se dirigent contre lui. Dadaev, en 2008, a publié un récit de sa vie (semble-t-il en tirage limité, sous l’égide du ministère de l’Intérieur russe [7]), dans lequel il raconte comment il était grimé (pour être vieilli, ayant quarante ans de moins que Staline), comment Beria lui a fait regarder des films pour qu’il s’inspire des gestes et façons de parler de Staline, comment il lui est arrivé de remplacer ce dernier lors de défilés sur la place Rouge ou de congrès du Parti communiste. Yalta a été son grand moment : un jongleur de vingt ans qui se retrouve scruté par le monde entier tandis que son doppelgänger [8] est déjà à la manœuvre pour rouler dans la farine les Occidentaux. Et pourtant, raconte Dadaev, le vrai Staline a subi deux tentatives d’assassinat pendant Yalta, alors que lui était déjà reparti à Moscou. Un peu comme dans le film Le Viager, le sosie prévu pour se faire tuer à la place du dictateur lui aura finalement survécu plus de cinquante ans.
Saddam Hussein était aussi connu pour avoir plusieurs sosies. En septembre 2002, la chaîne allemande de télévision ZDF a consacré un reportage [9] à la méthode développée par le docteur Dieter Buhmann, qui permet d’analyser des photos et de trier le bon dictateur du mauvais sosie (méthode « reconnue par le FBI »). Le leader de l’extrême droite autrichienne, Jörg Haider, qui avait rencontré Hussein en février de la même année, n’aurait en fait vu qu’un sosie, selon l’analyse menée pour un magazine autrichien par le docteur Buhmann à partir de la photo de la rencontre [10]. D’ailleurs, selon le docteur Buhmann, entre 1998 et 2002 une seule des photos montrant Saddam Hussein correspondait au véritable dictateur : « Ces conclusions sont confirmées par Wafiq al-Samarae, ancien chef des services secrets irakiens, qui ajoute que l’idée de recourir à des sosies avait été prise pour des raisons de sécurité, parce que Saddam Hussein «se déplace beaucoup, voyage beaucoup et a souvent des contacts avec la population». » Saddam Hussein n’était pas le seul dans sa famille à avoir des sosies : ainsi un jeune Irakien nommé Latif Yahia a-t-il raconté avoir été le double d’Oudaï Hussein, un des fils du dictateur [11] : « Pendant un de mes entraînements au stand de tir, j’ai croisé un sosie de Saddam Hussein. Nous nous sommes juste dit bonjour mais n’avons pas parlé de notre «travail». Certaines personnes disent qu’il y avait quatre sosies de Saddam, d’autres parlent de six ou sept. » Pourtant, plusieurs proches de Saddam Hussein ont démenti ce cliché journalistique des sosies. Et ce après la mort du dictateur irakien, donc un contexte largement dépassionné. C’est le cas notamment de son ancien médecin Alaa Bachir [12] ou de Khalil Al-Doulaïmi, l’avocat qui l’a défendu en 2005 [13] : « La première fois que je l’ai rencontré, amaigri, avec sa barbe, le visage très marqué, je lui ai demandé si c’était bien lui ou son sosie. Il a ri. J’ai appris ensuite qu’il n’avait jamais eu de sosie. C’était une invention. » En revanche, un habitant d’Alexandrie nommé Mohammed Bachar, sosie involontaire de Saddam Hussein, racontait en 2008 dans un journal égyptien chercher un avocat pour le protéger de « la mafia qui le pourchasse depuis dix-huit ans et cherche à exploiter sa ressemblance avec Saddam » [14]. Et comment ne pas évoquer ce projet de la CIA : selon un ancien agent des services secrets américains [15], l’agence avait prévu de fabriquer un film montrant Saddam Hussein (un sosie, évidemment) en train de sodomiser joyeusement un garçon : « Le film aurait eu l’air d’être tourné par une caméra cachée. Avec beaucoup de grain, comme s’il s’agissait d’une bande vidéo secrète d’une relation sexuelle. » La CIA aurait d’ailleurs tourné une séquence de ce genre, mais cette fois avec Ben Laden en train de boire des bières autour d’un feu de camp et de se vanter de tous les mecs avec qui il avait couché. Comme le dit un blogueur manifestement pas très clean lui-même : « Et après on nous dit que les conspirationnistes ont trop d’imagination... »
Je passe sur les sosies de Fidel Castro (ce vieux monsieur à la campagne avec son grand chapeau, que les médias du monde entier ont montré le 22 octobre 2012 comme étant la preuve que Castro n’est pas mort [16], et si c’était le premier paysan un peu barbu aux grosses lèvres qui avait été trouvé par l’agence de presse cubaine ?), et c’est le moment, donc, de parler de Phill Ackrill. Ou de William Campbell (un policier canadien fan des Beatles). Ou de Billy Shears (cité dans Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band). Peu importe d’ailleurs le nom de celui qui aurait pris la place de Paul McCartney après sa mort. Ce qui compte, c’est : comment tout cela s’est-il développé ? Reprenons les pièces à notre disposition.
En février 1967, le magazine du fan-club des Beatles, le Beatles Book Monthly publie un petit article intitulé « Rumeur mensongère » [17] : « Le 7 janvier dernier, les routes étaient gelées, et les conditions de circulation très dangereuses sur l’autoroute M1. [...] Une rumeur a circulé dans Londres selon laquelle Paul McCartney s’était tué dans un accident de voiture sur la M1. Mais c’est évidemment faux, ce qu’a pu vérifier l’attaché de presse des Beatles en téléphonant au domicile de Paul, à St. Johns Wood : c’est Paul lui-même qui a répondu... » C’est l’origine de la rumeur : elle est aussitôt démentie, mais elle sert de source à toute l’histoire (d’autant que Paul McCartney a bien eu un accident en 1966, mais c’était un accident de motocycleur : légèrement blessé, le chanteur avait eu une dent cassée et la lèvre fendue [18]).
J’ai une théorie sur les spécialistes des rumeurs [19] : ils ont besoin de l’existence de rumeurs pour justifier leur activité. Alors ils les propagent, ils les gonflent (je parle là des spécialistes d’avant l’époque d’Internet, la pénétration des rumeurs et autres théories du complot ayant été profondément modifiée depuis). Dans les livres sur les rumeurs des années 1980 à 2000, je voyais partout les mêmes exemples, répétés ad nauseam : celle d’Orléans, bien sûr, étudiée par Edgar Morin (la traite des blanches à partir des cabines d’essayage de boutiques d’habits tenues par des juifs), le faux tract de l’hôpital de Villejuif sur l’E330 qui serait cancérigène, la souris retrouvée dans une canette de Coca, et quelques autres. Or, il est évident que de dire : « Il paraît qu’une souris a été trouvée dans une canette de Coca » n’est pas la même chose que : « J’ai un ami qui a un ami qui a trouvé une souris dans une canette de Coca. » Dans le second cas, on propage une rumeur en disant quelque chose de faux (sauf dans le cas où on a vraiment un ami qui a un ami qui a trouvé une souris dans sa canette), dans le premier on émet une hypothèse qui peut, éventuellement, se révéler vraie (l’absence de preuve n’étant pas la preuve de l’absence). L’auteur du Que sais-je ? [20] sur le sujet se révèle ainsi particulièrement de mauvaise foi sur la question des technologies nouvelles, citant les « techno-peurs » : « La multiplication des nouvelles technologies de la vie quotidienne s’est accompagnée d’un cortège de rumeurs et de légendes dénonçant leurs dangers : poêles en Téflon, colle superglu, lampes à bronzer, jeux vidéo, téléphones portables, etc. Loin de nous l’idée que les nouvelles technologies sont toujours inoffensives, mais il y a souvent exagération des risques. » Sic : exagération des risques ne veut-il pas dire qu’il y a des risques ? Les informations récentes sur les OGM, le bisphénol A, les pesticides, sans parler de cas plus anciens, l’amiante, les premières expériences nucléaires, montrent que la « techno-peur » n’est peut-être pas si irrationnelle, ou en tout cas pas plus irrationnelle que la technophilie.
La palme de l’absurde étant décernée à Jean-Noël Kapferer, un célèbre « rumorologue » qui, en 1987, se gausse [21] de cette rumeur grotesque voulant que François Mitterrand soit atteint d’un cancer : « Dans la rumeur de cancer suivant son accession à la magistrature suprême, il y avait un peu de cette idée : arrivé à un âge avancé, ayant obtenu ce qu’il voulait, F.Mitterrand n’avait plus qu’à mourir. La rumeur clôt en beauté le scénario de la vie de F.Mitterrand. » On le sait, ce n’est pas la rumeur mais le destin qui a clos en beauté le scénario de la vie du président Mitterrand : à peine élu, en 1981, il apprend en effet qu’il est atteint d’un cancer. Mais il luttera contre la maladie, pendant quinze ans, n’ayant « plus qu’à mourir » à la fin de son second mandat. Après la parution de son livre en 1987, Jean-Noël Kapferer a préféré se recentrer sur la notion de marques [22] : certainement plus rémunérateur, et surtout moins risqué en termes de pronostics...
Tout cela pour dire que les conspirationnistes de tout poil ne prospèreraient pas si facilement si, face à eux, ils avaient des interlocuteurs un peu plus convaincants. Qui se souvient d’avoir découvert le négationnisme à travers la patiente et précise réfutation entreprise par Pierre Vidal-Naquet [23] voit bien la différence avec une stratégie d’étouffement de l’adversaire sans argument autre que « vous avez tort parce qu’il est évident que j’ai raison ».
À l’automne 1969, le 17 septembre précisément, un journal étudiant de l’université de Drake, en Iowa, relance la rumeur, deux ans et demi après sa naissance, avec un petit article signé Tim Harper [24] qui établit, pour la première fois, l’existence de preuves disséminées dans les albums des Beatles. L’information est reprise dans d’autres journaux étudiants dans les semaines qui suivent, à tel point qu’un démenti est rendu public le 11 octobre 1969, c’est-à-dire la veille du déclenchement « officiel » du processus : « Londres (UPI) - Le Beatles Paul McCartney est bien vivant et se trouve à Londres. «Je suis vivant, je vais très bien» a fait savoir McCartney dans une déclaration rendue publique pour démentir les informations le disant mort. Derek Taylor, le porte-parole de la société Apple, a confirmé cette information en expliquant qu’il était submergé de questions à propos de la soi-disant mort de McCartney. » [em]
Le lendemain, 12 octobre, Russ Gibb, un animateur d’une radio de Detroit prend un auditeur au téléphone qui commence à raconter l’histoire de la mort de McCartney. La discussion s’éternise, d’autres auditeurs appellent. Fred LaBour, un autre étudiant, cette fois à l’université du Michigan, écoute l’émission, et décide de reprendre l’histoire à son compte dans The Michigan Daily, le journal étudiant. Deux jours plus tard, un grand papier intitulé « Mort de McCartney : de nouvelles preuves » accélère la circulation de l’information, qui est relayée (et parfois contredite) par les « gros » médias, le New York Times, le Times à Londres, le Washington Post, etc. Des numéros spéciaux de magazines sont lancés en kiosques et s’arrachent comme des petits pains. Et Paul McCartney a beau donner une interview à Life magazine (le 7 novembre 1969) en déclarant qu’il était bien vivant et que tout cela était « bloody stupid », rien n’y fait : de 1969 à nos jours, la rumeur ne s’est jamais éteinte. Pour preuve une vidéo des années 2000 postée sur Youtube où l’on voit Paul répondre lors d’une émission de télé à une énième question sur le sujet par une blague, puis faire un drôle de regard triste et un petit geste étrange. Pause. Ralenti. Regardez bien cette expression, nous dit le bloggeur ayant posté la vidéo, cette façon de nier : n’est-ce pas étrange ? N’est-ce pas très étrange ? C’est très étrange, en effet.
Sur quoi se fonde le récit originel ? Sur quelles preuves ? Sur quels indices disponibles dans les dernières œuvres des Beatles ? Il n’est pas question ici d’en faire la liste complète (ce serait à la fois trop long et rébarbatif [25]) - voici simplement quelques éléments saillants, suivis de leur démenti par les anti-Paul-is-dead :
- À la fin de « Strawberry fields for ever », dans le passage de transition sans paroles avant « Penny Lane », on entend John dire deux fois : « I buried Paul » (« J’ai enterré Paul »). En réalité, John aurait dit : « Cranberry sauce » [26].
- À l’intérieur de la pochette de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, Paul McCartney porte un écusson portant les lettres « O.P.D », ce qui signifie « Officially Pronounced Dead » (« déclaré officiellement mort »). En réalité, il s’agirait d’un écusson marqué « O.P.P », offert par l’Ontario Provincial Police au chanteur [27].
- Sur cette même pochette, sous le nom Beatles écrit avec des fleurs, une basse entourée de fleurs compose un second motif mortuaire, or Paul McCartney était précisément le bassiste du groupe... (Pas de réponse sur ce point, qui est difficilement discutable.)
- Toujours sur cet album, dans la chanson « A day in the life », John Lennon chante : « I saw the photograph / He blew his mind out in a car » (« J’ai vu la photo, il s’est fracassé la tête [ou : il s’est cramé la cervelle] en voiture »). En réalité, le texte ferait référence à Tara Browne, l’héritier de l’empire Guiness, qui s’est tué en voiture le 18 décembre 1966 [28].
- Dans le « white album », la première chanson chantée par Ringo Starr, « Don’t pass me by », dit : « You were in a car crash / And you lost your hair » (« Tu as eu un accident d’auto / et tu as perdu tes cheveux »).
- Dans le même, à la fin de « I’m so tired », on entend la voix de John, enregistrée à l’envers. Écouté à l’endroit, cela donne : « Paul is dead... Miss him... Miss him... » En réalité, selon le biographe des Beatles, Mark Lewisohn, qui a écouté les bandes originales, John aurait prononcé : « Monsieur, Monsieur, Monsieur, how about another one ? » (le « monsieur » donnant le « miss him » - évidemment on peut trouver bizarre que Lennon utilise un mot français, mais comme disait François Hollande en remettant la légion d’honneur à Paul McCartney le 8 septembre dernier [a href=«vimeo.com/50670386»] : « Vous avez un rapport particulier avec notre pays, en tout cas nous voulons le croire. Vous aimez notre langue, vous aimez notre culture. Il vous est même arrivé de chanter en français. »).
- Sur la pochette d’Abbey Road (disque sorti après le début de la rumeur), Paul est le seul des quatre Beatles à être pieds nus sur le passage piéton (un mort n’ayant plus besoin de chaussures, faut-il comprendre). Etc. etc.
Cela fait plusieurs jours maintenant que je tourne autour de ce sujet. Que j’harponne des pistes, rebondis sur des liens, cherche à préciser des micro-détails (tiens ! une enquête parue dans un magazine italien à l’été 2009 [em], allons voir cela...). Lorsque, en 2002, Pacôme Thiellement avait publié son livre, je n’avais rien lu sur la question depuis ce qui, durant mon adolescence, m’avait aiguillé vers cette histoire (et que je ne parviens plus du tout à identifier : article de journal, livre, discussion avec un passionné des Beatles ? C’était sans doute autour de 1987). Je m’étais plongé dans Poppermost, évidemment un peu déçu par la façon dont Pacôme présentait les tenants du Paul-is-dead comme de grands paranoïaques. 2002 : à l’époque, on utilisait déjà Internet, bien sûr, mais Wikipédia existait à peine (lancée début 2001), et les forums conspirationnistes n’en étaient qu’à leurs balbutiements (du moins en français). C’était un livre qui avait clos cette histoire. Dix ans après, je suis un peu effrayé par le brouhaha que la moindre de mes recherches (avec des mots-clés pointus, comme le titre du premier article paru sur le sujet en 1969 ou la « cranberry sauce ») produit sur Internet. Tout est là, à disposition. Il n’y a plus aucun mystère. Comment Paul a écrit telle chanson, ce qu’il y avait sur la bande, qui fait le violon sur la troisième piste, quelle engueulade s’est déroulée dans le studio - certes il s’agit des Beatles, le groupe le plus connu au monde, mais tout de même : avant, pour les avoir, ces informations, il fallait s’abonner au magazine du fan-club, aller chercher en bibliothèque ou en librairie le livre rare, en un mot il fallait être passionné. Aujourd’hui, il suffit de cliquer : ce n’est plus des artistes qu’on regarde travailler, c’est de la chair à canon pour alimenter les débats, les forums, les commentaires. Ça devient un peu poisseux, un peu comme de la cranberry sauce : la richesse du mythe secret a laissé place au trop-plein d’informations, contradictoires certes, mais tellement discutées qu’elles en perdent toute forme de mystère. Alors ? Alors, revenir à ce moment. Ce moment des années 1980 où je mettais à fond mon petit magnéto avec ma cassette bleue des Beatles, compilation 1967-70, le petit passage musical entre « Strawberry fields » et « Penny Lane », et le lancinant « I buried Paul... I buried Paul ». Et ce moment, encore plus impressionnant, où chez mon cousin j’ai ôté la courroie de transmission de sa platine vinyle, j’ai posé la face B du premier disque, placé le diamant à la fin de « I’m so tired », fait tourner à l’envers, trop vite la première fois, trop lentement la seconde, puis j’ai distinctement entendu : « Paul is dead... Miss him... Miss him... » Ce plaisir-là, ce moment-là, personne ne me l’enlèvera : que Paul McCartney soit vivant ou pas, peu importe, mais avoir l’impression d’être tout seul devant une entrée secrète, entrer dans un lieu interdit, se rêver Club des Cinq - ça, oui, ça, laissez-le-moi.
[1] Sous-titré « Considérations sur la mort de Paul McCartney », publié aux éditions Musica Falsa, et malheureusement épuisé. Pacôme a, par ailleurs, participé au Tigre de 2006 à 2008.
[2] Juste avant que je me rende compte que cet automne, tout le monde allait parler des Beatles, cinquantenaire de leur création oblige.
[3] Sur un site Internet qui évoque ce souci de playback, un commentateur s’énerve : -« Il y a eu un problème d’écho et non pas -de playback. Paul McCartney, plus de cinquante ans de scène, ne chante jamais en playback. » J’ai revu les images (vimeo.com/46740397 ) pour faire la part entre l’écho et le playback : difficile de trancher, même si certaines théories se révèlent farfelues, ainsi le site de RTL.be qui explique que « le playback, qui ne faisait que l’accompagner, a commencé avant lui. Il l’a vite rattrapé et a donc montré à tous qu’à soixante-dix ans, il a encore de la voix ! » Il est manifeste sur les images que McCartney commence à chanter avant qu’on entende la voix « correcte ». Et il y a une coupe dans la version diffusée, puisque le passage « remember to let her into » est escamoté pour retomber sur « your heart » qu’est en train de prononcer le McCartney qui bouge les lèvres. Le chanteur a déclaré sur Tweeter, le soir même : « There was some talk of maybe being to playback but we decided against it and went live, live, live ! » (« On a discuté pour savoir si on allait chanter en playback mais on y a renoncé et on l’a fait en direct, direct, direct ! »). Cela sonne plus comme un demi-aveu que comme une dénégation crédible.
[4] S’agit-il, là encore, d’une rumeur ? -Un membre du site américain Skeptics (spécialisé dans la réponse aux rumeurs) répond que les seules mentions avérées de cette histoire proviennent d’une anecdote relatée à plusieurs reprises par Mary Pickford (skeptics. stackexchange.com/questions/9423/did-charlie-chaplin-lose-a-charlie-chaplin-look-alike-contest ). D’autres sources se réfèrent au livre de Joyce Milton, Tramp : the life of Charlie Chaplin, 1998 (non traduit en français), livre qui raconte l’anecdote et renvoie au Chicago Herald du 15 juillet 1915. Un autre membre de Skeptics demande à ses bibliothécaires de lui trouver l’article en question : on lui répond qu’il n’y a aucun article citant Chaplin dans ce journal à cette date.
[5] Impossible malheureusement de mettre la main dessus.
[6] Il existe beaucoup de sources et de commentaires fantaisistes sur ce Gustav Weler. Cf. deux ouvrages qui semblent à peu près sérieux : Daniel Girardin, Christian Pirker, Controverses : une histoire juridique et éthique de la photographie, Actes Sud, 2008 ; Denis Rigden, Kill the Fuhrer, Sutton Publishing, 1999.
[7] Et intitulé Une musique country-pop (sans garantie sur la traduction), la source la plus détaillée étant une interview parue dans Komsomolskaïa Pravda, le 4 avril 2008. Voir aussi, en anglais, The Daily Mail du 12 avril 2008. Ce que je raconte vient des propos de Dadaev, et doit donc être lu avec circonspection.
[8] Le doppelgänger est un mot allemand désignant le double.
[9] Cité par l’AFP, 26 septembre 2002.
[10] Article du magazine Format traduit dans Courrier international du 17 octobre 2002.
[11] Entretien donné au quotidien belge Le Soir -le 21 septembre 2011 lors de la sortie du film inspiré par sa vie, Devil’s double.
[12] Entretien donné à l’AFP le 12 mai 2004.
[13] Entretien dans L’Est républicain, le 14 mars 2010.
[14] Cité par Courrier international, le 6 mars 2008.
[15] Qui s’est confié, anonymement, au blog « Spy Talk » du Washington Post le 25 mai 2010.
[16] Voir les photos sur : http://www.cubadebate.cu/fidel-castro-ruz/2012/10/22/fidel-castro-esta-agonizando/
[17] Cité par Brian Moriarty dans sa conférence de 1999, intitulée « Who buried Paul ? », et disponible sur Internet. Sauf mention contraire, les citations proviennent de cette source. C’est moi qui traduis.
[18] Tous les anti-Paul-is-dead utilisent cette anecdote, mais sans jamais en citer la moindre source, si ce n’est en faisant remarquer que cela se voit sur le clip de la chanson « Rain », ce qui est en effet le cas.
[19] Développée dans « Rumeurs », R de réel, volume R, mai 2003.
[20] Jean-Bruno Renard, Rumeurs et légendes urbaines, PUF, 2002.
[21] Jean-Noël Kapferer, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, Seuil, 1987.
[22] Cf. son site kapferer.com.
[23] Dans Les Assassins de la mémoire, première édition 1981, dernière édition 2005, Points-Seuil.
[24] Parfois il faut bien s’incliner devant la magie d’Internet : quelques clics m’ont suffi pour retrouver Tim Harper sur Internet — « freelance writer, author, journalist, writing coach » sur nvo.com/timharper — et avoir quelques réponses par mail : oui je suis bien l’auteur de cet article fondateur, oui j’ai déjà répondu à des interviews sur le sujet, non je n’ai rien écrit moi-même là-dessus depuis.
[em] Lodi News-Sentinel, 11 octobre 1969, page 5. Lodi est une ville de Californie.
[25] Pour un recensement détaillé, outre le livre de Pacôme Thiellement et la conférence de Brian Moriarty, certainement la plus complète, voir la page Wikipédia en français fr.wikipedia.org/wiki/Légende_sur_la_mort_de_Paul_McCartney (bizarrement la version anglaise est nettement moins détaillée). -Du côté des pro-Paul-is-dead, voir le très fourni invanddis.proboards.com .
[26] Commentaire de Paul McCartney en 1974, cité par beatlesinterviews.org : « John était dans cette humeur-là. Il a eu envie de dire quelque chose qui sortait de nulle part : cranberry sauce. »
[27] Brian Moriarty affirme qu’on voit distinctement que c’est un P et non un D final sur d’autres photos non retenues pour la pochette.
[28] Cela dit, Paul McCartney a expliqué que, -si John Lennon pensait peut-être à Browne en écrivant la chanson, il avait lui toujours pensé qu’elle faisait référence un homme politique ayant abusé de drogues dans sa voiture (B.Miles, Many years from now, 1997.) Par ailleurs, les anti-conspirationnistes prétendent souvent que l’accident de cyclomoteur de McCartney a eu lieu alors qu’il était avec Tara Browne, ce qui embrume encore un peu plus la situation.
[a href="vimeo.com/50670386"] vimeo.com/50670386
[em] Wired, édition italienne, juillet 2009. Cité, traduit et commenté sur le forum invanddis.proboards.com .