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Marco Pantani

Marco Pantani

Marco Pantani
Mis en ligne le samedi 14 février 2009 ; mis à jour le dimanche 14 février 2010.

 
Publié dans le numéro 28 (nov.-déc. 2008)

Marco Pantani, né à Cesena en 1970 et mort à Rimini en 2004, a, dans sa courte existence, fréquenté les sommets en dents de scie. Gloire et déchéance, apothéose et déclin ; il a donc tout du héros romantique non pas abattu en pleine gloire mais relégué, abattu dans la coursive alors que le rideau est baissé et les lumières éteintes.
Grimpeur élancé, sans gras, comme les Italiens et les amateurs de la petite reine les aiment : Fausto Coppi, Charlie Gaul, Bahamontes. Sac d’os, nerveux et bronzé, la boule à zéro, un sourire d’enfant farceur et naïf, bandana de couleurs vives, il écourtait la relation pour sortir une blague ou faire un jeu de mots à la Dennis (le cousin de Charlie) dans Linus.
Surnommé le Pirate, il flinguait les courses de côtes. Trois, quatre cols dans la même étape ne lui faisaient pas peur. Palmarès époustouflant, d’étapes de montagne du Giro, de la Vuelta et du Tour qu’il remporte en 1998, il en a gagné plus de dix-huit en cinq ans. Seul, Coppi dépasse ce score. La façon de démarrer, de décocher sa flèche et de quasiment emballer un sprint sur des côtes à 6 ou 8 %, sentait le roussi disent les mauvaises langues. La dope. Pour secouer la course avec une telle patate, il faut abuser du bidon bidouillé.
A Rimini, sur l’Adriatique, le Lido est interminable. Des kilomètres de plage dont Buren s’est inspiré pour ses cabanons à rayures avec mamas, glacières, gelatti. Le monde de Cartier-Bresson à la carbonara. Station populaire du type de Southampton ou Saint-Raphaël ou encore les pédiluves salés de la Costa Brava (Ronda et Benidorm, de jolis bagnes sur mer). Natif comme Fellini de la proche région de cette ville-barbe à papa, notre héros allait chercher la montagne derrière, à quarante bornes. Des dizaines de courses régionales, des décathlons et rallyes à étapes.
Dans le vélo, chacun son truc. La typologie de la corpulence définit le genre où ils brillent : le sprint, la route, la poursuite ou la grimpe.
Le poids, l’enroulé, la capacité à garder le sel, un cœur aux palpitations plus lentes. Une chimie organique pour chaque dossard de peloton. Le caractère explosif du style de Pantani que l’on retrouve chez un autre jeune italien d’aujourd’hui, Rosso, consiste dans l’art de la rapine ; l’un comme l’autre montent à l’abordage et continuent leur effort quand ils s’arrachent, quand ils jubilent de « sauter » des concurrents, besognant leur pédalier. Escapade fulgurante et enchanteresse. L’apparente facilité presque de la désinvolture a fait soupçonner l’existence de produits illicites, moteurs de ce panache. Malheureusement vrais pour nos deux champions. Sang recyclé pour le jeune espoir OPB, OPA sur sa carrière et schnouf pour le flibustier.
Il Pirato a découvert la cocaïne dans une boîte de nuit en 1996, « La vénus du Vésuve », au col de Montemaggiore. Gratuite, donnée, il a dansé, frimé, levé des poulettes, Miss Rialto sur son futon à damiers. Il y a sombré, s’est fait sevrer, a rechuté, a commencé une thérapie avec Zanetti, un mage qui soigne toujours la fille d’Aldo Moro ; celui-ci (Z) l’a mis à l’opium ; tous les produits dérivés y sont passés.
Et la nouvelle foudroyante est tombée il y a plus de quatre ans : Marco Pantani a été trouvé mort dans une chambre d’hôtel de Rimini. Pas au champ d’honneur, il a rejoint la cohorte des champions cyclistes flingués par la drogue : Simpson sur les pentes du Mont Ventoux et une kyrielle de gloutons d’amphétamines rincés sous les trombes d’eau, descendant dans le brouillard.
La fraîche gloire, le baratin luxurieux, le goût de l’éclat, fauchés.
L’élégance de la gagne, cet art de sortir du lot à la sortie d’un lacet sur un coup de pédale. Une accélération spontanée et néanmoins ourdie, une façon d’embrayer par le langage, par la pique. Le Pirate, l’homme aux oreilles de chou, s’est fait rogner la moelle. Les derniers temps, les cafetiers de Cesenavecchia, les pêcheurs journaliers et les plagistes ont assisté à la descente d’Orphée, ont vu les sacs plastiques, les yeux larmoyants et vingt kilos de plus sur un petit gabarit transformer un athlète en zombie. Devenu l’otage de requins de la nuit, égaré sur les pistes de danse, en reprenant tout le temps du produit, ricanant et plein de tics, écarquillant les yeux jadis malins, il n’a plus retouché le cyclo.
Le flambeur incendié, le Phénix ne s’est pas relevé de la moquette du môtel Le Rose, il a fermé les écoutilles et a grillé le circuit des connexions ; déprogrammé, abusé, il campeo a rejoint la cohorte des bannis. La maison familiale qu’il a quittée pour l’enfer a gardé la haie taillée en vélo dans le jardin devant l’entrée. Sa mère ne croit pas à l’overdose. Le pantin ne représente plus rien. Elefantino à la ramasse, dorénavant poster sur les murs de chambrées, son jarret d’acier tel le bras manquant de la Victoire de Samothrace ne représente plus qu’un rêve aboli.

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