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Icade à Bagneux

Icade à Bagneux

Icade à Bagneux
Mis en ligne le lundi 25 juillet 2011.

Publié dans le numéro 005 (Mai 2011)

Bagneux, ancien village horticole sur la Nationale 20, à deux kilomètres au sud de Paris. Ses 68% de logements sociaux. Sa député-maire communiste qui reçoit au dernier étage d’un hôtel de ville stalinien, vestige de l’ancienne « ceinture rouge » de la capitale. Et ses habitants en lutte contre le promoteur immobilier Icade. Depuis trente ans, Bagneux est le principal champ de bataille d’une guerre pour le logement social, dont l’issue finale s’est jouée au milieu de l’été 2010.

[Voir aussi : Leur Millénaire.]

« Les Tertres », « les Cuverons », « les Marronniers »... Ces noms bucoliques désignent le grand ensemble de Bagneux II - la Fontaine, qui fut longtemps l’un des plus importants de France. En ce matin froid de janvier, les ouvriers s’affairent à la « rénovation » du quartier au milieu des grues, des palissades et des panneaux d’information de l’ORU [1]. Un centre commercial fantôme donne un aspect crépusculaire et incongru à cet éclat de ville posé sur l’éperon méridional du plateau de Bagneux, comme pour narguer la tache d’huile pavillonnaire qui dégouline en contrebas. Construit entre 1960 et 1962, la cité témoigne comme tant d’autres du rendez-vous manqué entre l’architecture et le logement pour tous : sept tours de douze étages, deux barres de 250 mètres de long (dont l’une a été démolie en 2010), douze immeubles de six étages. Comme tant d’autres, elle symbolise l’échec d’un projet social pétri de bonnes intentions, visant à sortir les citadins des taudis et à permettre aux familles de s’épanouir dans un cadre de lumière et de verdure. Comme tant d’autres, elle a été construite vite et mal, selon des procédures standardisées et avec des fonds publics. Et pourtant, la Fontaine n’est pas tout à fait une cité comme une autre : aucun de ses logements n’a jamais été une HLM.

Carte postale des années 1960

Leur histoire commence un peu plus tôt, à l’hiver 1954. Le cri de colère de l’abbé Pierre pousse l’État à doter la Caisse des dépôts et consignations (CDC) [2], financeur jusqu’alors passif et réticent du logement social, d’une filiale publique en charge des questions immobilières : la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC). Chapeautant une myriade de filiales HLM, la SCIC devient le bras armé de la construction des grands ensembles dans les banlieues. Elle s’impose en quelques années comme l’un des plus grands bailleurs sociaux d’Europe. La SCIC est également propriétaire, en son nom propre, d’un patrimoine résidentiel privé édifié avec l’aide de l’État et de la CDC, mais qui ne bénéficie pas de tous les dispositifs dédiés au logement locatif social. Ces logements sont dits « conventionnés » : en échange des financements publics accordés pour leur construction, le bailleur accepte, pour une période donnée et renouvelable, des plafonds de loyers et des conditions de ressources pour l’entrée des locataires. En d’autres termes, du logement social de fait et non de droit.


Au milieu des années 1970, Bagneux rassemble environ 4000 de ces « logements SCIC », concentrés au sud (la Fontaine donc) et au nord (la Pierre plate, le Rond-Point des Martyrs de Châteaubriant) de la ville. Il s’agit du parc le plus important d’Ile-de-France. Les relations avec ce bailleur mastodonte se dégradent rapidement. La SCIC est accusée de négliger l’entretien des immeubles. Selon Marie-Hélène Amiable, la député-maire de Bagneux, « il est de notoriété publique que la SCIC n’entretenait pas bien son patrimoine, allez demander aux autres maires de banlieue ! » [3] Richard Royau, président d’une amicale de locataires et habitant du quartier depuis 1969, nuance : « C’est vrai qu’il y a eu un certain laxisme, qui s’est accentué au fil du temps, mais il ne faut pas exagérer, la SCIC a entretenu comme elle le pouvait un patrimoine qui a vieilli vite et mal.  » [4] Bon gré mal gré, on change les portes cassées, on répare les ascenseurs, on repeint les halls d’entrée. Et on prolonge les conventions. Cet équilibre instable se rompt une première fois en 1982.


Moins de vingt ans après sa construction, la Fontaine a besoin de travaux de rénovation lourds, incluant la mise aux normes électriques et la modernisation de toutes les salles d’eau. Lors de la renégociation des conventions, la SCIC prend prétexte du chantier à venir pour réclamer une augmentation substantielle des loyers. Réunis en amicales de locataires, les 5000 habitants du quartier ne veulent pas en entendre parler : « Il était hors de question que l’on supporte seuls le coût des travaux  » (Richard Royau). Première manche : chantages et pressions pour obtenir la signature de nouveaux baux d’un côté ; pétitions, manifestations et grève des loyers de l’autre. Après sept années de lutte, les habitants obtiennent gain de cause et signent un protocole qui aboutit à une baisse des loyers d’environ 20% ! Du jamais-vu en France. Dans le journal municipal, les habitants de la Fontaine sont célébrés en héros : «  Ils ont fait plier le plus grand propriétaire immobilier de France ! » Ils ne savent pas encore que les conventions ont été prolongées pour la dernière fois.


Vexée, la SCIC abandonne petit à petit le quartier. Les immeubles ne sont plus entretenus, les espaces publics se détériorent, les « correspondants locaux » se font plus rares. À la fois cause et conséquence de cette dégradation, la population change de nature : ceux qui en ont les moyens quittent le grand ensemble et sont remplacés par des familles issues de l’immigration en situation de précarité sociale. Un cercle vicieux dont Marie-Hélène Amiable rend directement responsable la SCIC : « Leur politique de peuplement a changé, ils ont systématiquement concentré les populations les plus défavorisées dans nos cités. »


Au début des années 1990, la SCIC entame le « déconventionnement » systématique des 40 000 logements de son parc privé, c’est-à-dire la fin de ce statut hybride permettant de protéger les loyers. Parallèlement, réprimandée par la Cour des comptes pour « mélange des genres », la SCIC scinde ses activités en se transformant, en 2003, en deux entreprises : d’un côté, les logements HLM à proprement parler (groupe SNI [5]), de l’autre le secteur concurrentiel (Icade [6]), incluant la promotion immobilière... et la gestion du parc de logements SCIC. En 2006, Icade ouvre son capital à des actionnaires privés, la Caisse des dépôts conservant toutefois 61% des parts. Les logements conventionnés sont à l’opposé des objectifs du groupe qui est donc désormais coté en bourse, et qui lorgne sur les secteurs plus juteux des bureaux, centres commerciaux et autres parcs tertiaires.

Carte postale des années 1960

Avec l’entrée en scène d’Icade, le déconventionnement passe à une vitesse supérieure : à Bagneux, 2700 logements sont déconventionnés entre 2003 et 2006, contre 1300 entre 1993 et 2003. Le bailleur affirme vouloir ramener une « clientèle » plus aisée dans son parc, autrement dit des ménages solvables capables d’honorer des loyers plus élevés. Pour les élus de gauche et la CNL [7], aucun doute, c’est un choix politique de la CDC, poussée par l’État à mener une politique de rentabilisation financière de son parc : « Leur démarche, elle était simple, ils voulaient faire du fric », explique Philippe Denizot, secrétaire confédéral de la CNL ; « pour eux, le logement est devenu une marchandise comme une autre » [8]. Une démarche jugée d’autant plus scandaleuse que, comme le rappelle Guy Collet, adjoint au maire de Bagneux, « non seulement ce parc a été payé par l’argent des salariés [contribuables, NDLR] et des fonds publics, mais il est largement amorti  » [9].


Autant dire qu’à Bagneux, le déconventionnement passe mal. Les habitants prennent peur. Les élus montent au créneau. Janine Jambu, précédente maire (PCF) de la ville et député, fait un « ramdam terrible  », se souvient Sylvain Griffon, directeur de l’agence Icade-Patrimoine du sud des Hauts-de-Seine. Dans le cadre des discussions sur la loi SRU [10], elle propose même un amendement permettant la pérennisation du parc conventionné. Adopté par l’Assemblée nationale, il est annulé par le Conseil constitutionnel, saisi par la droite, au nom de la liberté contractuelle et de la concurrence. Les élus balnéolais ne baissent pas les bras : la commune rachète via sa SEM de logement (Semaba) les deux grandes barres de Bagneux sud, les Cuverons et les Tertres, afin de les faire revenir dans le giron social et de les sauver d’une démolition certaine [11].


Ailleurs dans la ville, les effets du déconventionnement se font rapidement sentir. « Partout en Ile-de-France, sur les sites Icade, c’est la même histoire : c’est la purge ! » enrage Philippe Denizot. Le nouveau bailleur « réduit à sa plus simple expression l’entretien et la rénovation du patrimoine  ». À la Pierre plate, la grande cité du nord de la ville dont les barres portent le nom de compositeurs romantiques, les amicales de locataires mettent des mois pour obtenir la réparation d’un ascenseur en panne ou d’une porte cassée. Sans parler des petits tracas du quotidien : « Rien n’était fait pour ramasser les ordures jetées par les fenêtres, entretenir les pelouses, gérer les parkings », se souvient Simone [12], habitante d’une résidence Icade du Rond-Point des Martyrs de Châteaubriant. À la Fontaine, les immeubles perdent leur gardien : «  Avant, chaque gardien avait sa loge, il surveillait les allées et venues, il recueillait les doléances des habitants » (Richard Royau). Un bureau d’accueil unique est installé, mais ses horaires d’ouverture sont limités et les équipes sont décrédibilisées par un turn-over à donner le tournis. « Que se passe-t-il chez Icade pour qu’une grande partie des gardiens du site de la Fontaine quittent leur poste ? » se lamente le journal local en décembre 2007. Les habitants se sentent abandonnés et méprisés : « Lorsque nous souhaitions vérifier les charges, il était difficile d’obtenir des réponses. Nous avions un peu l’impression qu’ils se moquaient de nous » (une habitante de la Fontaine).


Au cœur de toutes les inquiétudes et de tous les mécontentements, les loyers. Une fois déconventionnés, les logements SCIC reviennent à un statut de droit commun, c’est-à-dire sans clause particulière encadrant l’évolution des loyers : « Dans le privé, boum, tous les six ans, on passe au tiroir-caisse » (Marie-Hélène Amiable). Et le nouveau bailleur ne se fait pas prier pour en profiter. Ce sont d’abord les nouveaux arrivants qui paient la note : les logements libres sont reloués sensiblement plus chers. Mais les hausses de loyer touchent inéluctablement tous les habitants arrivant au terme de leurs baux. « Les loyers ont augmenté de 25 à 40 euros sur une période de six ans, ce qui aurait conduit à un doublement en douze à quinze ans  », explique Richard Royau. Motif avancé par Icade ? Les loyers précédents étaient « manifestement sous-évalués » par rapport au voisinage [13]. Argument recevable pour une partie des habitants, qui regrettent toutefois d’avoir été mis devant le fait accompli. Mais aussi vague de panique chez les ménages les plus modestes, pour qui ces augmentations imprévues, mêmes étalées sur six ans, représentent un effort considérable. Faute de pouvoir déménager, nombre d’entre eux s’inscrivent sur les listes d’attente pour le logement social (le vrai) à la mairie.

Carte postale des années 1960

Entre 2003 et 2008, les élus, les amicales de locataires et la CNL sont constamment sollicités par des habitants inquiets. Mais ils échouent eux aussi à trouver des interlocuteurs crédibles. Pétitions, manifestations, occupation du siège d’Icade au Kremlin-Bicêtre, rien n’y fait. « Il n’y avait pas moyen d’avancer le moindre Schmilblick. On n’arrivait plus à rien. [...] Vous leur crachiez dessus, c’était pareil, ils en avaient rien à faire », explique Philippe Denizot.


La charge est lourde. Chez Icade, on se défend mollement en rappelant, à juste titre, qu’« on ne peut pas tout [leur] mettre sur le dos  ». « Ces quartiers et leurs habitants ont été abandonnés par les pouvoirs publics, ils avaient atteint un stade avancé de dégradation quand on les a récupérés  », explique une ancienne salariée qui souhaite garder l’anonymat [14]. Pour elle, quand les situations urbaines et sociales étaient « moins compliquées », le bailleur a fait des efforts : « Allez à la Madeleine, c’est très beau. » La Madeleine, une résidence Icade du centre de Bagneux. Grilles à l’entrée, digicodes pour tous les immeubles, pelouses et plantations soignées, terrains de sports dont les filets viennent d’être posés, tout concourt à faire de ce quartier un bon élève de la « résidentialisation » [15]. Quant aux bureaux d’accueil, s’ils ont mal fonctionné, c’est surtout, explique l’ancienne salariée d’Icade, « parce que les responsables de site ont subi l’animosité des habitants et parfois des intimidations, en particulier à Bagneux sud  ». Elle relativise les hausses de loyer (« c’est juste un rattrapage par rapport à des loyers qui étaient restés très faibles grâce au conventionnement ») et elle met en avant les protocoles spécifiques négociés avec les associations de locataires. En oubliant de préciser que c’est la forte mobilisation des élus et des habitants qui a permis d’arracher leur signature : à Bagneux, le « rattrapage » pour les locataires déjà en place n’a commencé qu’à partir de 2006 et n’a concerné ni les personnes âgées ni les ménages les plus précaires.


Icade décide de se désengager au plus vite. Dès son introduction en bourse, la société commence à céder en bloc des logements à des bailleurs sociaux : 500 en 2006, 3000 en 2007, environ 5000 en 2008. En janvier 2009, Icade annonce vouloir se séparer de la totalité de son parc logement, rassemblant encore plus de 30 000 unités. Officiellement, il s’agit de se « recentrer sur les activités de promotion tertiaire et commerciale ». Officieusement, plusieurs anciens salariés de la société admettent que ce gigantesque vide-grenier sanctionne l’échec de la stratégie commerciale menée depuis 2003, visant à loger dans son parc des personnes aux revenus plus élevés.


Pour les élus communistes, la vente Icade cache des raisons encore beaucoup moins avouables : « Pour nous, c’est simple, il s’agit de faire une opération purement financière afin de rémunérer les actionnaires », explique Guy Collet. La perspective de voir ce patrimoine social vendu à la découpe à des promoteurs peu scrupuleux suscite de l’émoi bien au-delà de la place du Colonel-Fabien. Une mobilisation associative et politique de grande ampleur s’organise : proposition d’enquête parlementaire, lettres et pétitions au ministre du Logement, manifestations et nouvelles occupations sauvages du siège d’Icade, qui voit défiler toutes les amicales de locataires des quartiers et le ban et l’arrière-ban des maires de banlieue. De gauche comme de droite. Nombre d’élus UMP ne voient en effet pas d’un très bon œil la disparition de ce parc social de fait, pris en compte dans les quotas de logements sociaux imposés par la loi SRU : en repassant sous la barre des 20%, ils seraient contraints de construire de nouvelles HLM, au risque de prendre à rebrousse-poil leur électorat. La fronde gagne encore en intensité quand Icade annonce un prix de vente jugé exorbitant par tous les acteurs du marché du logement : 2,9 milliards d’euros ! « Ils voulaient vendre des logements amortis et réalisés à l’aide de financements publics au-dessus du prix du marché, ils sont pas bien ces types ! » (Guy Collet).


S’engage alors un grand marchandage entre Icade, l’État, les collectivités et les bailleurs sociaux. Des tractations souvent orageuses : « À plusieurs reprises, on a failli aller au clash avec l’État », affirme Guy Collet. Les élus balnéolais comptent parmi les négociateurs les plus coriaces. La société finit par céder et s’engage à vendre son patrimoine en bloc à des bailleurs sociaux, à un prix resté secret, mais qui serait moitié moins élevé que celui fixé en 2009. Un consortium de vingt-cinq bailleurs, organisé autour du groupe SNI, filiale de... la Caisse des dépôts, est constitué. Pas forcément de gaieté de cœur : « On a fait en sorte que les bailleurs s’intéressent à cette opération, on va dire qu’ils ne s’étaient pas bousculés pour acquérir un patrimoine souvent dégradé et concentrant des populations défavorisées.  » La vente est scellée en juillet 2010. Elle est le fruit d’un subtil compromis politique, économique et territorial. Ainsi, l’OPHLM 92, contrôlé par le conseil général des Hauts-de-Seine, a été exclu du tour de table pour Bagneux, qui se trouve dans ce département dirigé par l’UMP. « Devedjian [16] voulait tout racheter dans le département. Nous, on a dit : vous mettrez pas les pieds à Bagneux  !  » explique Guy Collet. Dans la ville, la SEM locale, la Semaba, rachète 911 logements pour 42 millions d’euros, essentiellement dans les quartiers sud. Domaxis, bailleur à vocation régionale implanté historiquement à Bagneux, en récupère 1441 pour 101 millions d’euros. Icade avait arrêté les relocations dès mai 2010 pour éviter l’engagement de frais supplémentaires dans la remise en état des logements : il n’y a pas de petites économies.

 

Tout est bien qui finit bien ? Icade n’a pas à se plaindre. La société souhaitait une vente rapide et unitaire ; elle a pu se débarrasser d’un coup de la totalité de son parc, y compris des ensembles les plus dégradés, comme les immeubles fatigués des Tertres, qui n’auraient jamais trouvé preneur sur le marché libre. Les élus estiment avoir remporté une victoire politique et rendu un grand service aux habitants. « Les habitants vont pouvoir continuer à vivre de manière sereine, sans éprouver l’angoisse du lendemain, de la modification de leurs baux et de la hausse de leurs loyers », estime Marie-Hélène Amiable. Un sentiment partagé par Richard Royau : « Le retour dans le logement social est une bonne chose. Les bailleurs sont sérieux et vont s’occuper de notre patrimoine, investir dedans. Et surtout, les loyers sont calculés sur la base des revenus et leur progression est régulée. » À Bagneux, les nouveaux bailleurs ont promis de réaffecter des gardiens dans les immeubles et se sont engagés à réaliser une série de travaux de rénovation. En attendant, Domaxis a déjà marqué son territoire en posant de nouvelles plaques à l’entrée des immeubles de la Pierre plate. Leur aspect rutilant contraste singulièrement avec les façades grises et décrépies du quartier. Last but not least, du nord au sud de la ville, la plupart des résidents ont eu de bonnes surprises en découvrant leur nouveau loyer.


Ce ne sera pas le cas de tout le monde. Les bailleurs finissent de dépouiller une « enquête sociale » destinée à adapter les loyers et les statuts des logements HLM aux ressources. Certains locataires, souvent des ménages anciennement installés et aux revenus décents, risquent de se retrouver assujettis à des « surloyers de solidarité ». « Et là ça peut dérouiller » (Philippe Denizot). Il est encore difficile de savoir quelle proportion d’habitants sera concernée. À Bagneux, le problème ne se pose pas immédiatement : les élus ont négocié avec le préfet des Hauts-de-Seine une exonération de tout surloyer pendant trois ans pour la commune. Mais après... Certains habitants déclarent vouloir jouer le jeu : « Toute médaille a son revers, il faudra l’accepter », admet Richard Royau. Mais le risque que le retour dans le secteur social entraîne le départ des ménages les plus aisés - tout du moins des moins défavorisés - est réel. Bagneux sud se viderait alors de ses dernières classes moyennes. Marie-Hélène Amiable ne cesse pourtant de répéter que « ce quartier a besoin plus que tout d’une chose, la mixité ».


Ce n’est pas la seule contradiction de l’opération, et la député-maire en est bien consciente : «  Dans l’intérêt des Balnéolais, la vente est une bonne affaire, mais sur le fond, c’est une autre histoire...  » À travers ses multiples dispositifs de prêt et de financement, l’État a payé deux fois pour ces logements : au moment de leur construction et au moment de leur rachat. « On aurait dû nous les donner », estime Marie-Hélène Amiable. Du côté de la CNL, on met en avant l’effort consenti par les habitants : « Si on prend en compte les loyers payés depuis quarante ans, la fiscalité locale et les emprunts financés par l’épargne, c’est bien l’argent des locataires qu’on ponctionne encore et encore » (Philippe Denizot). Quoi qu’il en soit, les sommes importantes consacrées au rachat du patrimoine Icade représentent autant d’argent qui n’ira pas à la construction de logements sociaux neufs. Un peu gênant pour le million de Français qui patiente sur les listes d’attente HLM. 

NOTES

[1] Opération de rénovation urbaine.

[2] Créée en 1816 et placée sous le contrôle direct du Parlement, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est une institution financière publique qui exerce des activités (normalement) d'intérêt général pour le compte de l'État et des collectivités territoriales, dans le domaine de l'immobilier, des assurances, des infrastructures, des services...

[3] Entretien du 26 janvier 2011.

[4] Entretien du 15 février 2011.

[5] Société Nationale Immobilière

[6] Comprendre : Immobilière CAisse des DÉpôts.

[7] Première organisation nationale d'habitants, la Confédération Nationale du Logement a pour mission principale de défendre l'intérêt des locataires et des accédants à la propriété.

[8] Entretien du 26 janvier 2011.

[9] Entretien du 2 février 2011.

[10] La loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, couramment appelée loi SRU, est un texte qui a modifié en profondeur le droit de l'urbanisme et du logement en France. L'article 55 impose aux villes de disposer d'au moins 20 % de logements sociaux sur leur territoire.

[11] La barre des Tertres sera finalement démolie en février 2010. Voir à ce sujet l'article « C'étaient les Tertres » dans Le Tigre quinzomadaire n°04 (27 mars 2010).

[12] Les citations d'entretien avec les habitants des quartiers, à l'exception de Richard Royau, proviennent du journal local, Notre journal de quartier, et d'un travail universitaire mené sur le relogement à Bagneux par Stéphanie Doucet : Évolutions et stratégies territoriales : la ville de Bagneux et les quartiers sud, hier, aujourd'hui et demain (Institut d'urbanisme de Paris, septembre 2010).

[13] Tout propriétaire est en droit de demander annuellement une augmentation de loyer proportionnelle à la variation de l'indice de référence des loyers (IRL). Il ne faut pas confondre cette révision avec l'augmentation que le propriétaire peut proposer à l'occasion du renouvellement du bail, lorsque le loyer est « manifestement sous-évalué par rapport à celui des logements comparables du voisinage » (article 17 c de la loi n°89 /462 du 6 juillet 1989).

[14] Entretien du 14 février 2011.

[15] Ce terme désigne un ensemble d'opérations censées améliorer le cadre de vie, la sécurité des habitants et l'appropriation des espaces publics, par exemple en posant des grilles à l'entrée ou en aménageant un jardin au pied de l'immeuble. Plébiscitée par les habitants, la résidentialisation consiste curieusement à proposer un programme d'intégration urbaine par la création d'entités spatiales repliées sur elles-mêmes.

[16] Patrick Devedjian est président du conseil général des Hauts-de-Seine depuis 2007.

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