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« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro IX (mai-juin 2008)
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6 avril 2008. Je suis avec Dany Boon, dans le studio du vingt-heures de France 2, Laurent Delahousse fait son plus beau sourire, demande si le record de La Grande Vadrouille, 17 millions de spectateurs, a été dépassé, Dany Boon élude, le record sera battu, mais c’est encore un peu tôt pour le dire, maintenant il a Titanic et ses 20 millions en ligne de mire, Dany Boon dit pour la millième fois, « je suis très heureux, je vis un grand moment de bonheur », mais il a de plus en plus de mal à mentir, plus tard dans l’interview il redit « je vis un grand bonheur » mais cette son visage exprime l’exact contraire, la tête penchée et l’air épuisé, c’est pesant d’être devenu le réalisateur français qui a fait les meilleurs scores de l’histoire du pays, c’est lourd de se faire traiter de biloute dans la rue, c’est écrasant d’être devenu si riche si vite, maintenant Dany Boon est plusieurs fois millionnaire en euros, demain il a rendez-vous avec son conseiller fiscal, il va falloir mettre en place des stratégies profondes de contournement lui a dit ce dernier au téléphone, il n’a plus que des rendez-vous de ce genre en ce moment, et avec la promo qui continue sans que ce ne soit vraiment utile, le 20-Heures s’arrête, Dany Boon se fait démaquiller, c’est pratique parce qu’il peut cacher cette petite larme de fatigue ou d’énervement, ou alors il pleure parce qu’il sait que demain, et encore le lendemain, et encore le jour d’après, et encore pour plusieurs années, peut-être pour toute sa vie, il sera monsieur « Les Ch’tis », il pense à sa vie d’avant, juste être un comique, jouer au théâtre, partir en tournée, être connu mais ce qu’il faut, là même quand les boss de chez Pathé le regardent bizarrement, comme s’il était d’une autre engeance, comme s’il était à lui seul l’homme qui a sauvé le cinéma français, Dany Boon rallume son téléphone portable, il essaie de croire qu’il a un avenir, il va encore avoir des dizaines de sms qui vont lui dire « bravo biloute », il n’en peut plus, il essaie de se souvenir pourquoi pendant toutes les années difficiles il a rêvé de succès, il se lève, il va rentrer s’enfermer chez lui, il a 41 ans.
9 avril 2008. Je suis avec Philippe Manœuvre, il est 23h20, « Nouvelle star » se termine, il a enlevé son blouson de cuir parce que le jury s’est déclaré rock et rebelle, ensemble ils ont décidé, mais c’était une idée de Lio, de brûler leur joker permettant de sauver juste une fois un candidat, ils l’ont fait et dans cinq minutes la productrice va venir gueuler, c’était bien la peine d’instaurer une astuce de tension dramatique supplémentaire pour qu’elle soit gâchée dès le premier soir, Philippe Manœuvre sourit en coin, il est content d’être revenu à la télé, il est content que tous les chanteurs en lice s’amusent à imiter sa voix, et puis on le laisse faire un peu l’érudit sur l’histoire du rock, mais il y a le problème Virginie Efira, non seulement elle mais tout ce qu’elle représente, pourtant il ne peut pas dire qu’il est naïf, en 1982 il participait déjà aux « Enfants du Rock », mais ce qu’est la télé de maintenant le dépasse, sur le bandeau qui le présente il est écrit « spécialiste du rock, rédacteur en chef » sans la mention de son journal, Rock & Folk, comme si c’était rédacteur en chef c’était un métier en soi, pourtant Philippe Manœuvre a adoré la première partie de l’émission, les castings dans toute la France avec l’espoir d’être surpris, d’être bouleversé par une voix, et le bonheur quand ça arrive, mais maintenant c’est une émission de variétés comme les autres, maintenant il sent qu’il est là pour la caution rock, mais finalement est-ce qu’il n’a pas toujours été ça, une caution rock, il se souvient qu’au lycée c’était le seul moyen pour séduire les filles, leur parler avec les yeux qui brillent d’une musique qu’elles ne comprenaient pas, finalement Virgine Efira est comme elles, Philippe Manœuvre remet lentement son blouson en cuir, il fuit la caméra de W9 qui voudrait encore le faire parler, il n’a plus à rien à dire, il va retrouver ses vrais potes, Dahan et Dionnet, il va retrouver son vrai monde, il a 53 ans.