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« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
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Publié dans le
numéro 010 (octobre 2011)
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Résumé de l’épisode précédent : Tourner autour. Lire. Choisir. Frédéric Joliot-Curie. L’invention de la bombe atomique. Fiction ? Maurice Pavy. Dans le Fort. Rachid Khimoune.
Deuxième épisode.
Pour qui s’intéresse à la question des sources d’information, il est d’usage d’opposer deux modèles d’enquête : l’enquête historique et l’enquête journalistique. La première fonctionne par recollation de sources, c’est-à-dire qu’elle en agglomérant les informations disponibles. La plupart du temps, écrites, mais pas uniquement - Lucien Febvre (l’école des Annales) : « L’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire, sans documents écrits s’il n’en existe point. Avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser pour fabriquer son miel, à défaut des fleurs usuelles. Donc avec des mots, des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champs et de mauvaises herbes. » Évidemment, l’historien peut, lorsque des témoins sont encore vivants, les interroger. Mais - je ne saurais le dire autrement - il les écoute, là où un journaliste les fait parler. C’est la force du journalisme : créer une information, et non pas simplement la relater. Sa force, quand il s’agit d’aller débusquer tel scandale, tel secret, tel non-dit. Sa force, mais sa faiblesse : un journaliste a besoin, quand il part en reportage, quand il enquête, de rapporter quelque chose. Un historien, non : le silence lui convient. L’absence de tout signe est signe.
Penser à tout cela, alors que je n’ai pas encore remis les pieds au fort d’Aubervilliers, m’a un peu apaisé : j’ai compris que ce que je reprochais au journalisme, c’était de créer obligatoirement les conditions permettant un récit. J’ai compris aussi pourquoi j’aimais tant enquêter à partir de sources préexistantes, et non pas d’aller interroger tel habitant, tel spécialiste. Pourquoi j’ai tant de plaisir à me plonger dans des rapports abscons, dans des blogs fumeux, dans des vieilles brochures municipales à propos du Fort : parce que tout ce qui est là, ce n’est pas moi qui l’ai suscité. Je l’ai laissé venir à moi, j’ai écouté ; et je vous le raconte.
En septembre 2002, des enseignantes de l’école Joliot-Curie, située en plein milieu de la cité de la Maladrerie, tout près du Fort, signalaient aux autorités un nombre particulièrement élevé de cancers touchant le personnel, apparus entre 1988 et 2002. « Les enseignantes s’inquiétaient de la toxicité des locaux de l’école et de l’environnement proche. En particulier les doutes portaient sur le Fort d’Aubervilliers, site d’activités militaires dans les années 1950, comme source possible d’exposition. » Une enquête est alors lancée par l’Institut national de veille sanitaire (INVS) ; en avril 2007, un rapport est publié. Je m’appuie sur lui. En premier lieu, l’enquête cherche à mesurer s’il y a plus de pathologies parmi les enseignants que dans l’ensemble de la population, à même âge, profession, etc. Ce n’est pas le cas, hormis pour les cancers du sein : « le nombre de cancers du sein signalés parmi les enseignantes serait supérieur dans un rapport de 6 au nombre de cas « normalement attendu » parmi les enseignantes si les cancers du sein y étaient apparus selon la même incidence qu’en population générale. » L’enquête se poursuit alors : « L’exposition à de fortes doses de rayonnements ionisants est le seul facteur de risque environnemental reconnu qui pourrait provoquer une telle diversité de pathologies simultanément. Or, le Fort d’Aubervilliers, fort militaire situé à moins de 500 m de l’école, a été le siège d’expérimentations radiologiques conduites par l’armée dans les années 1950. » On ne peut donc « exclure qu’il y ait eu un contact de la population de l’école avec cette source de rayonnements : en particulier l’enfouissement non autorisé de déchets radioactifs sous le site de l’école, avant sa construction » ne peut être écarté. Débute alors une campagne de mesure de la radioactivité, menée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), dans l’école et dans les rues menant vers le Fort. Résultats négatifs : « Toutes les mesures de radioactivité faites dans le quartier avoisinant le Fort se situent au niveau du bruit de fond de la région parisienne. Ce contrôle exclut la possibilité d’un enfouissement de déchets radioactifs aux alentours de l’école qui n’aurait pas été connu des autorités. » Suit toute une analyse de l’ensemble des données concernant le Fort lui-même : j’y reviendrai plus tard, je dois conclure cette histoire sanitaire (après tout, j’habite tout près, moi aussi). S’il n’y a pas rayonnements ionisants, on peut se « poser la question d’une exposition massive à un facteur de risque environnemental qui ne serait pas connu des scientifiques », les recherche s’appuyant « sur les connaissances scientifiques «du moment» ». Cette cause non encore décelable est peu probable, selon l’INVS : « le regroupement de pathologies très diverses plaide peu en faveur d’une exposition environnementale commune, fût elle inconnue. En effet plus les pathologies sont diverses, moins elles ont des chances de relever de causes similaires. » La seule hypothèse valable est donc la « fluctuation dans la survenue des maladies » : ainsi dans une ville de 100.000 habitants, si on prévoit la survenue de 9 nouveaux cas de cancers des ovaires en moyenne par an, cela peut se traduire ainsi : 2 cas la première année, 16 la deuxième année, 13 la troisième, 5 la quatrième. « Ces chiffres, pourtant compatibles avec l’incidence moyenne, vont néanmoins paraître anormalement élevés lors des deuxième et troisième années, pour la population mais aussi pour les professionnels de santé. » C’est un mécanisme similaire qui a pu jouer dans de cas de l’école Joliot-Curie : « il se peut que les évènements sanitaires signalés entre 1988 et 2002 fassent suite à une période de moindre incidence, sans que cela n’ait été repéré par les enseignants. Il se peut également que les années à venir soient caractérisées par une période de moindre incidence. » Bref, la conclusion dédouane le Fort : « le regroupement observé de pathologies cancéreuses relève principalement d’une conjonction de facteurs de risque individuels et de la fluctuation aléatoire de la survenue des maladies. »
Que le premier numéro du magazine de Libération, en novembre 1994, ait sa couverture consacrée aux « Secrets du Fort d’Aubervilliers » est un hasard qui ne laisse de me surprendre - c’est l’unique article consacré à la question jamais publié dans la presse française. Un lecteur m’écrit qu’il avait été frappé, à l’époque, par cet article : « le fort d’Aubervilliers, présenté comme un no man’s land aux portes de Paris, m’avait laissé un goût d’intrigue, avec un mélange de friche et de mystère historique à la saveur radioactive. Je m’étais fait la promesse (non tenue) d’y aller pour donner des contours plus précis à cette description. » Cela me rassure : je ne suis donc pas seul.
L’enquête du magazine de Libération est signée Jean-Philippe Desbordes, un journaliste spécialisé dans la question, notamment auteur de Atomic Park chez Actes Sud, mais aussi, pour la télévision, d’Irradiés pour la France, que je me souviens avoir vu lors de sa diffusion sur France 3 en 2004 (souvenir d’un soldat français présent lors d’un essai raté, au Sahara, qui se demandait si ça pouvait expliquer ses soucis de santé ; je regardais ses trois oreilles, ou quelque chose comme ça, avec effroi). Je reçois justement un mail qui m’informe de la sortie d’un nouveau livre de Desbordes (Les Cobayes de l’apocalypse nucléaire). J’écris à l’attachée de presse que je souhaite entrer en contact avec lui : pas de réponse. Je n’insiste pas : une source d’information que je forcerai à exister, ce n’est pas pour moi. Je suis historien, pas journaliste.
L’enquête de Desbordes est longue, minutieuse, un peu complexe à suivre. Elle n’évite pas les vieux clichés sur le Fort (« une enceinte sinistre et mystérieuse »), son environnement (« des immeubles sales marquent le territoire déglingué de la banlieue »), les jeunes des cités voisines vues par l’adjudant de garde à l’entrée du quartier de la gendarmerie (« ils s’infiltrent dans la caserne, volent des autoradios et taguent les cages d’escaliers » - soit dit en passant, si des militaires ont du mal à se défendre contre des voleurs d’autoradio, il y a lieu de s’inquiéter en cas de guerre mondiale), ou encore sur les punks qui, en 1984, lors des concerts de « Fêtes et forts », investissent le lieu : « Fallait voir tous ces types débarquer avec leurs crêtes de coq et leurs crânes rasés ! raconte Pierre Lavergne, qui en 1994 préside l’association des locataires du Fort. Ils m’ont créé des tas de problèmes. Des punks avaient même élu domicile dans les voitures. On a dû régler ça nous-mêmes. » Me revient à la mémoire un petit livre trouvé sur internet, où un auteur auto-édité fait le récit d’un marginal habitant à Aubervilliers rencontrant, de nos jours, un punk traînant autour du Fort. Ils confrontent leurs souvenirs des concerts des années 1980 : le livre n’a aucun intérêt, mais prouve la place qu’a le Fort dans la mémoire punk.
En une du magazine de Libération : « Les secrets du Fort d’Aubervilliers ». À l’intérieur, le titre est au singulier : il n’y aurait qu’un seul secret ? Celui de la casemate n°8 ? Quelques semaines avant la parution de l’article, une mesure de radioactivité a prouvé la présence, dans cette casemate en particulier, de strontium, « un isotope de l’uranium utilisé pour la fabrication de la bombe A ». C’est alors que Rachid Khimoune intervient dans l’article : récit (comme je l’ai fait ici le mois dernier) de son arrivée au Fort, dans un premier local puis sur les hauteurs du rempart : « Funeste décision. À cette époque, Rachid ne peut se douter que ce déménagement l’amène juste au-dessus d’un endroit qui, à première vue, ne se distingue pas du reste : la casemate n°8, repérée par la préfecture de Seine-Saint-Denis. Depuis, Rachid vit sur un nid de strontium. » Le journaliste article fait alors intervenir Raymond Sené, « chercheur en physique corpusculaire » qui compte « parmi les meilleurs spécialistes de l’atome ». Sené a fait son service militaire, comme Frédéric Joliot-Curie, comme Maurice Pavy, au Fort, mais au début des années 1960, dans un service de recherches sur le nucléaire militaire : le groupe Y. « Les terrains du fort d’Aubervilliers peuvent-ils avoir été contaminés à la suite des travaux du groupe Y ? Pour en avoir le cœur net, Raymond Sené décide de nous accompagner dans les fossés du fort, armé d’un compteur Geiger. Cet après-midi-là, nous ne trouverons rien. » Desbordes exhume ensuite une note de l’armée datant de 1957 et qui s’oppose à la création de la cité des Courtillières, juste au-dessus du Fort, arguant de la dangerosité du lieu. L’article se termine sur Rachid Khimoune, « beaucoup plus inquiet : «c’est quand même fou de savoir que [...] je vis au-dessus d’une casemate où il y a eu des expériences nucléaires» ».
C’est cet article que, dix-sept ans plus tard, je relis avec Rachid Khimoune, dont l’atelier est toujours à la même place. Il me regarde en souriant : « Alors... je vous avoue que l’alarmisme, comme ça, ne me déplaît pas. » Sous-entendu : on me laisse tranquille, en imaginant que je suis installé dans une zone radioactive. « À l’époque, c’est deux journalistes qui ont débarqué ici : ils travaillaient pour Cavada, pour la Marche du siècle. Ils accompagnaient Raymond Sené. » Qui parle des « corvées d’enfouissement » qu’il faisait lors de son service militaire. Et qui a son compteur Geiger. Khimoune est frappé par ce que lui dit le chercheur. Plus tard, au bistrot du coin, sur l’avenue Jaurès, à l’entrée du Fort, il parle avec des gendarmes de ces fameuses « corvées d’enfouissement » : « Un gendarme m’avait dit : «il paraît qu’il y a un gouffre au fond, là-bas.» Moi : «il est accessible ?» Lui : «oh non, surtout pas !» Il y avait donc une sorte de légende, qui recoupait ce qu’avait dit Raymond Sené sur l’enfouissement. Sené, je lui avais demandé ce qu’il enfouissait. Sa réponse était très vague. Pourtant, pour un physicien... »
Lors de la visite de Sené, Rachid Khimoune veut en avoir le cœur net : « «Ok, les mecs, on y va, avec le compteur, allez-y, passez tout en revue». D’abord l’atelier. Rien. On est partis chez Zingaro, à l’époque il n’y avait que les roulottes, on s’est tapé les fossés dans la boue, on est repartis tout au bout, tout ça avec le compteur. On y a passé tout l’après-midi. » Résultat : « rien du tout au compteur Geiger. » Du coup, selon Khimoune, Cavada n’a pas voulu du sujet des journalistes, qui se sont rabattus sur le magazine de Libé : « leur papier a déclenché une enquête administrative, avec des tests officiels. Et on a retrouvé, au fond d’un puits, une dose de radioactivité équivalente à une montre lumineuse... »
Perversité du journalisme : si l’article condescend à reconnaître, du bout des lèvres, qu’il n’y a pas de radioactivité mesurable (l’expression « cet après-midi là, nous ne trouverons rien »), le ton catastrophiste du magazine (nécessaire pour « survendre » l’information) vaudra à Rachid Khimoune quelques soucis. Le sculpteur est alors en train d’installer certaines de ses pièces à Chartres. L’opposition municipale fait photocopier l’article du magazine et l’affiche dans la ville, sur le thème : « les sculptures de Rachid Khimoune ont été faites au Fort d’Aubervilliers, elles sont donc radioactives... »
J’essaie de retracer plus précisément l’histoire des casemates 7 et 8. Les Joliot-Curie y travaillaient-ils sur les sels de radium dans les années 1920 ? Rien ne permet de l’affirmer. En revanche (à nouveau sur le rapport de l’INVS), à partir de 1952 le Fort est affecté au Service technique des armées (STA) pour expérimenter des « armes spéciales ». Les casemates 7 et 8 regroupent par ailleurs un centre de décontamination. Je cite le rapport in-extenso, ce n’est que du bonheur :
« Casemate 7 : le laboratoire
de radio-chimie qui regroupait :
- un bureau secrétariat, dont le
rôle essentiel était de tenir à jour le registre de doses ;
- la salle de comptage, destinée
aux mesures rapides des diverses activités ;
- le laboratoire, qui avait pour
fonction de préparer les solutions ou mélanges utilisés pendant
les expérimentations, mais aussi
employées à des essais de décontamination à petite échelle (sans précision sur ce critère) ;
- la salle de santé, qui renfermait
les appareils de mesures qui permettaient de connaître à tout instant les niveaux d’activité
dans la casemate 8.
Casemate 8 : laboratoires « chaud »
et « tiède » et installations « froides » (chaud, tiède et
froid devant s’entendre comme étant le niveau de radioactivité).
Les laboratoires « chaud » et « tiède », étaient situés en
partie nord de la casemate 8. Dans la chambre chaude étaient
effectuées les opérations de contamination, et dans la chambre
tiède les manipulations de décontamination. Ces pièces étaient
isolées du reste du laboratoire par des murs en béton et des portes
étanches commandées à distance. Par ailleurs, l’épaisseur du
mur de protection entourant la chambre chaude pouvait atteindre 150 cm
grâce à des blocs de béton « mobiles ». »
D’immenses cuves
permettaient de stocker l’eau nécessaire à ces travaux de
décontamination. Ce n’est qu’en 1999 qu’un caniveau enterré
menant à deux fosses sera découvert derrière la casemate n°8.
« Par ailleurs, une note de service du STA en date du 12
mars 1957, mentionnait également des travaux sur produits dangereux
et toxiques « mais sans danger pour les riverains si les zones de
sécurité sont respectées ». Des essais de matériels
(lacrymogènes et lance-flammes) étaient réalisés dans les fossés
sud-est. Des herbicides et des pesticides auraient été expérimentés
en 1951 dans les fossés du Fort (sans plus de précisions). En 1959,
le Fort était occupé, en plus du STA, par des activités liées à
l’automobile (réparation, réserve ministérielle, laboratoire du
service des essences...)
Outre les expériences du centre de
décontamination, des travaux ont été menés dans un centre
d’irradiations sur le dosage des produits de fission contenus dans
des échantillons de sols prélevés au Sahara après les retombées
radioactives (vers 1961) et pour la mise au point d’appareils de
détection de rayonnements ionisants (vers 1962). Ces travaux
faisaient intervenir le stockage et la manipulation d’ypérite, de
rayons X (casemate 42) et de sources de cobalt, césium, radium,
iridium. » Je ne me lasse
pas de la beauté des noms des éléments radioactifs :
j’imagine un poète contemporain un peu couillu qui nous referait
La prose du Transsibérien sur
l’énergie atomique.
De 1995 à 2003, décontamination et dépollution suivent leur cours. Jusqu’en 2004, sont entreposées dans les casemates 8 et 9 l’ensemble des déchets nucléaires ayant été trouvés sur place, notamment 63 m3 de la terre faiblement radioactive, stockée dans 71 « big bag ». Enfin, en 2009, l’inventaire national des déchets radioactifs, effectué par l’Andra, ne signale plus la présence de ces déchets : ils ont été évacués, probablement vers Cadarache (Bouches-du-Rhône), comme c’était prévu.
Je possède un don, un peu comme un super héros, qui est assez utile, non pas pour sauver la veuve et l’orphelin, mais pour profiter agréablement de balades urbaines. Lorsque je regarde un bâtiment, une rue, un carrefour, je « vois » son passé : je parviens à me projeter mentalement des images du même endroit jusqu’à cent ans auparavant, avec les gens de l’époque qui passent, les voitures qui ne sont pas les mêmes, les panneaux publicitaires qui ont disparu. Évidemment qu’il n’y a rien de surnaturel là-dedans, c’est juste une faramineuse recréation de mon cerveau qui agglomère et invente à partir d’images, de films, de romans ou de livres d’histoire. Dans le Fort, je me plante devant les casemates 8 et 9, qui sont murées. Comme Spiderman quand il doit escalader un mur, j’essaie de provoquer mes visions, je m’agite le cerveau, je ferme les yeux, je respire profondément, j’imagine être chaman, devraient apparaître les années 1950, les soldats en train de manipuler des fûts de produits toxiques, une camionnette qui se gare juste devant la casemate, un capitaine qui sort du secrétariat, mais : rien du tout. Mon super pouvoir ne fonctionne plus ; grillé par l’atome ?
Je viens d’écrire 18.200 signes sur la radioactivité au Fort. Et encore me suis-je retenu d’en faire plus. Mais il est temps de passer à autre chose. Guettant tout ce qui a trait au Fort, je m’étais inscrit à une visite organisée par le Conseil général de Seine-Saint-Denis à la gendarmerie du Fort d’Aubervilliers. Le thème était alléchant : « les coulisses du maintien de l’ordre ». En guise de coulisses, nous passons une heure et demi dans une petite salle à regarder des présentations powerpoint sur les nombreux métiers de la gendarmerie : passionnant. Ça devient franchement pénible quand ça tourne au café du commerce sécuritaire, l’intégralité des visiteurs étant des sexagénaires blancs réactionnaires qui s’effrayent de la montée de la délinquance. La seconde partie de la visite consiste dans le déballage du sac d’un gendarme mobile, devant une fourgonnette d’intervention : coudières, genouillères, casques, gants, etc. Trente minutes, et c’est fini. Moi qui pensais visiter les bâtiments construits le long des murailles du Fort, recueillir quelques histoires sur le passé militaire du lieu, depuis 1847 : chou blanc. Je glane néanmoins quelques informations intéressantes. D’abord (même si ce n’est pas un scoop), le fait que les gendarmes vont partir, d’ici deux ans et demi, restructuration de l’armée oblige : « Remarquez, c’est bien pour la ville d’Aubervilliers... Onze hectares à bâtir, quand même ». L’adjudant-chef va regretter les lieux : « pour moi c’est la plus belle caserne de la région parisienne ». Question d’un visiteur : « mais qu’est-ce que ça va devenir ? » Haussement de sourcils désolé du militaire : « des logements sociaux... » Murmures de désapprobation de l’auditoire.
Cela pourrait être pour moi le moment d’évoquer tous les projets que le monde moderne a voulu imposer à cette friche immense, projets avortant toujours, se heurtant à un mur invisible que nul ne comprend mais que je commence à ressentir : ce Fort est indomptable. Mais, d’abord, je vais aller explorer trois lieux mythiques qui se succèdent au nord des glacis : le serpentin des Courtillières, l’usine de L’Illustration, et la gare de Bobigny utilisée lors de la déportation des juifs français. À nouveau : marcher.