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Jean-Pierre R. & Patrick P. d’A.

Jean-Pierre R. & Patrick P. d’A.

Jean-Pierre R. & Patrick P. d'A.
Mis en ligne le lundi 2 février 2009 ; mis à jour le mercredi 4 mars 2009.

Publié dans le numéro 28 (nov.-déc. 2008)

17 octobre 2008. Je suis avec Jean-Pierre Raffarin, dans l’avion qui vole vers Québec, l’avion de la présidence de la République, Jean-Pierre Raffarin est tout seul, Nicolas Sarkozy est retourné dans sa chambre pour dormir, ou pour parler au téléphone avec sa femme ou pour discuter avec Jean-Daniel Levitte qui est à la manœuvre à cause de la crise financière, quelques rangs devant Jose-Manuel Barroso s’est endormi, il ronfle légèrement, Jean-Pierre Raffarin n’arrive pas à trouver le sommeil, tout à l’heure sur son blog il se fera poète, il écrira « l’avion présidentiel a longé le Saint-Laurent, illuminé par ses deux rives, rouges, oranges, jaunes... flamboyantes  » et « discussion passionnante avec Nicolas Sarkozy et José Manuel Barroso sur l’avenir de l’Europe » mais la discussion était loin d’être passionnante, le Président a parlé tout le temps et quand il ne parlait pas c’était pour envoyer des sms, bien sûr il a eu un ou deux mots gentils pour Jean-Pierre Raffarin, pour le consoler d’avoir échoué au à la présidence du Sénat, mais Jean-Pierre Raffarin n’est pas dupe, il sait très bien que l’Élysée a joué contre lui, pourtant il n’aurait pas fait d’ombre au président mais celui-ci ne lui pardonne pas d’avoir été son supérieur hiérarchique, en fait il ne supporte pas ce qui lui rappelle le temps où il n’était pas président, où il n’était pas avec Carla, où il n’était pas ce qu’il est maintenant, Jean-Pierre Raffarin soupire, il ne demandait pas grand-chose, il n’a jamais demandé grand-chose, en 2002 il savait bien que Matignon c’était trop pour lui, mais pouvait-il le refuser, la présidence du Sénat en revanche lui semblait légitime, il la méritait et la voulait vraiment, mais on l’en a privé, dans trois jours donc le 20 il sera rentré en France, il regardera sur France 5 le documentaire sur lui et les autres Premiers ministres, il ne se rendra sans doute pas compte qu’il n’est pas vraiment comme les autres, comme sans doute aussi Pierre Bérégovoy, mais il ne finira pas comme lui, il a la tête bien sur les épaules et les jambes bien sur la terre, c’est vrai que la vie paraît un peu fade ces temps-ci, mais il a un peu plus de temps pour s’intéresser aux autres, il y a trois jours sur son blog un de ses admirateurs a laissé un message pour dire qu’il ne pourrait plus écrire de commentaires pour des raisons de santé, Jean-Pierre Raffarin lui a laissé un petit mot, « toutes mes affectueuses pensées dans l’épreuve que vous affrontez », il pense à sa santé à lui aussi, Matignon l’avait laissé dans un état déplorable, et quand il voit Fillon et son dos il se réjouit d’en être sorti, il se sent en pleine forme, c’est toujours cela de pris, il se dit que non pas dans trois ans mais dans six ans il pourra peut-être tenter sa chance à nouveau au Sénat, après tout Alain Poher en était président a quatre-vingts ans, Jean-Pierre Raffarin se sent soudain un peu mieux, il a soixante ans.

20 octobre 2008. Je suis avec Patrick Poivre d’Arvor, il est 20h02, il a coupé le son de Laurence Ferrari, mais il ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil, chaque matin il se réjouit de la nouvelle baisse d’audience et il fait des sms de félicitations à David Pujadas dont la courbe ne cesse de progresser, tout à l’heure il zappera sur i>télé qui est venue l’interroger à propos de la mort de sœur Emmanuelle, cela le surprend toujours un peu de se voir à la télé ailleurs que sur le plateau de TF1, mais il va s’habituer, dès ces jours-ci parce qu’il prépare l’émission sur sœur Emmanuelle pour France 5 qui était prévue pour ses cent ans et qui est maintenue comme un hommage, il se demande s’il doit voir dans cette disparition un nouveau signe du destin, il y a trois jours donc le 17 il a regardé sur France 5 le documentaire sur lui et sur lui seul, il pense au double sens de l’expression « lui seul », c’est vrai qu’il se sent seul, il s’est toujours senti seul, encore plus quand sa fille Solenn est partie, les huit à dix millions de Français qui le regardaient tous les soirs pouvaient-ils compenser cette absence, ce documentaire donc de sa fille aînée Dorothée qu’il a eue à seize ans, ce film qu’il avait déjà vu en projection publique l’autre jour, mais dans son salon ce n’est pas pareil, il aime beaucoup le moment où il est dans la cabane de sa maison de Trégasteil, et qu’il dit (et c’était avant son éviction) que s’il doit rester quelque chose de lui ce sera sans doute un livre, il éteint la télévision et retourne à sa table d’écriture, il n’a de cesse de dire à tous ceux qu’il rencontre, connus et inconnus que l’antenne ne lui manque pas mais ce n’est pas totalement vrai, cette espèce de tension des dernières minutes avant le direct, cette façon de marcher à 19h58 vers le plateau en connaissant précisément le nombre de pas et le temps à la demi-seconde près pour être face à la caméra, cette lumière rouge qui s’allume et cette plénitude d’être celui qui, pendant une demi-heure, organise le monde, comme un symbole de ce qu’il a perdu il repense à ce mur de photos dans son bureau de TF1 où il côtoyait tous les grands de ce monde, Nelson Mandela, Bill Clinton, Mick Jagger, François Mitterrand, aucun roman au monde, aucun prix Goncourt ne viendra lui donner cette dose quotidienne d’adrénaline, il va écrire des papiers pour Paris-Match et faire des grandes interviews pour Arte, mais la vie n’est pas finie, au contraire, la vie continue, la vie continue, seul, il a soixante et un ans.

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