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G.R.O.S et gras

G.R.O.S et gras

G.R.O.S et gras
Mis en ligne le lundi 19 mai 2008 ; mis à jour le jeudi 15 mai 2008.

Publié dans le numéro VIII (mars-avril 2008)

cf aussi :
- Fumer ne tue pas
- Cinq = dix. L’exemple des fruits et légumes
- La naissance de la santé publique

La campagne contre l’obésité justifie les messages déversés sur nos téléviseurs. L’OMS parle d’une « épidémie ». Là encore, la réponse étatique ne convainc pas. En stigmatisant certaines catégories d’aliment (le gras, le sucré, le salé) et en culpabilisant les consommateurs, elle ne fait qu’accentuer les troubles du comportement alimentaire.

Vous avez envie de rillettes ? c’est trop gras et trop salé. D’un gâteau ? c’est trop gras et trop sucré. Mais avec un peu de bon sens, nous rétorquera-t-on, on comprend qu’on peut manger des rillettes ou des gâteaux de temps en temps. Si c’est du bon sens, pourquoi l’écrire ? Pour ceux qui ne savent pas. Parce qu’alors leurs yeux se dessilleront ? C’est là tout l’objet du débat. Pour les uns, ces messages responsabilisent. Pour d’autres, les messages sanitaires de l’État, en plus d’être inutiles, seraient totalement contreproductifs voire dangereux. « La responsabilité que l’on fait porter aux aliments gras ou sucrés dans les causes de l’obésité aboutit inévitablement, et même si l’on s’en défend, à leur diabolisation. Or la diabolisation des aliments constitue un obstacle grave à la lutte contre l’obésité en désorganisant les processus de rassasiement qui supposent à la fois une disparition de la faim et l’apparition d’un sentiment de satisfaction » [1] affirme ainsi le Dr. Gérard Apfeldorfer, vice-président du G.R.O.S., le Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids. Le G.R.O.S. affirme que les prescriptions diététiques et les régimes ne font qu’aggraver les troubles du comportement alimentaire — une thèse que nous partageons.

En prônant la consommation de fruits et légumes, et en diabolisant le trop gras, le trop sucré et le trop salé, l’État souscrit à « l’idée qu’il existerait des aliments grossissants et des aliments amaigrissants. Or rien n’est plus faux ! Nous sommes nombreux, petits et grands, à manger du chocolat et du fromage tous les jours, à boire des sodas sucrés, sans avoir pour autant de problèmes pondéraux. » Le G.R.O.S. rappelle à ce propos que les Américains ont réduit leur consommation de lipides en même temps qu’ils ont vu la prévalence de l’obésité presque doubler — d’où son indignation : « Affirmer dans un discours d’État que certains aliments doivent être mis au piquet car ils font grossir, aura plusieurs effets. Le premier sera d’augmenter la culpabilité des personnes qui les consomment et de les pousser à la restriction cognitive [cf.encadré] c’est-à-dire justement ce que l’on veut éviter. Le second effet sera de renforcer la stigmatisation des obèses : car n’en doutons pas, ils seront vus comme ceux qui ne savent pas se retenir, qui ne savent pas bien se tenir. »

À l’heure actuelle, le discours du G.R.O.S. n’est pas entendu par les institutions françaises. En Suisse en revanche, à Genève, le département de la santé a renoncé aux annonces stigmatisant certains aliments au profit des messages « Écoutez votre faim pour ne pas manger sans fin » et « Maigrir fait grossir... ». Certes, c’est mieux. On tentera un pas supplémentaire : pourquoi ne pas faire aucun message ? L’État croit avoir trouvé la parade à l’industrie agroalimentaire : sur des supports publicitaires, faire de la contre-publicité du Bien et du Bon à coup de slogans, là où la vraie responsabilisation du consommateur serait peutêtre de ne plus lui rebattre les oreilles. De même, il suffit de lire trois fois dans sa vie un magazine de défense des consommateurs pour se demander comment les industriels ont encore le droit de mentionner appauvri en sucre sur un soda au thé vert qui est plus calorique qu’un steak de 100g. Arrêter l’inflation des discours du type appauvri en..., allégé..., riche en... ne serait-il pas une manière simple de rendre au consommateur sa faculté de jugement face à la nourriture ? Nul doute que chacun s’en remettrait alors à ses sensations, et se rendrait compte que les rillettes pèsent plus sur l’estomac qu’une salade. Il y aurait des gros, des maigres, des obèses encore. Au fait, pourquoi ?

Pourquoi l’obésité semble en progression en Occident, et touche plus les pauvres ? « La réponse officielle des pouvoirs publics, des bien pensants, est de vilipender la junkfood, grossissante et pas assez chère ; les fruits et les légumes seraient quant à eux bien trop chers. [...] Mais on laisse de côté le principal résultat de cette étude : les femmes obèses, en précarité financière, seraient plus stressées et plus déprimées que la moyenne. Nous savons bien, nous autres cliniciens ayant affaire à des personnes en souffrance avec leur poids et leur comportement alimentaire, combien il est fréquent qu’on mange pour minorer sa souffrance psychique. [...] Manger n’est pas la seule façon de lutter contre le stress. Certes, il y a la relaxation, la psychothérapie et l’écoute du chant des baleines. Mais ces techniques sophistiquées sont réservées aux riches. [...] Vouloir modifier l’alimentation des personnes aux conditions de vie précaires en leur offrant des brassées de fruits et de légumes, en leur rendant plus difficile l’accès aux produits gras et sucrés, n’est qu’une forme pernicieuse de mépris ». On en revient toujours au même point : l’État voudrait effacer les conséquences au lieu d’agir sur les causes (emploi, logement, etc). Plus de fumeurs, plus d’obèses... Que des gens qui vont bien, ou qui font semblant !

 


 

 

 

 

 

POURQUOI MAIGRIR FAIT GROSSIR
90% des personnes qui perdent du poids après un traitement amaigrissant le reprennent dans les années qui suivent. Ce taux d’échec s’explique par la théorie dite de la « restriction cognitive » (1). La pratique des régimes amaigrissants induit une façon de s’alimenter gouvernée par des règles concernant les aliments et les quantités permis, et non plus par des critères internes de faim et de rassasiement. « L’expérience de Herman et Mack, en 1975, mérite d’être décrite : on donne aux sujets de l’expérience un repas constitué de crèmes glacées sans limitation de quantité, précédé ou non d’un ou deux milk-shakes. Les individus ayant une régulation alimentaire satisfaisante mangent moins au repas après avoir consommé deux milk-shakes. Mais d’autres personnes réagissent différemment : elles mangent davantage après deux milk-shakes. Ces personnes, qui sont en restriction cognitive, présentent donc un phénomène d’inversion de la régulation alimentaire : elle le justifient par le fait qu’ayant désobéi à leurs interdits, il ne sert plus à rien de se restreindre. Quand, pour une raison variable, la limite est transgressée, l’individu perd le contrôle de son comportement alimentaire et mange jusqu’à se sentir mal. Et cela n’est pas lié à la valeur calorique “réelle” de l’aliment. »1 La sensation alimentaire de satiété, brouillée, est remplacée par un comportement alimentaire issu de la frustration-culpabilité : « “Si je mange beaucoup d’aliments autorisés, je n’aurai pas envie d’aliments interdits” ; “Si je consomme un aliment interdit, je dois en manger beaucoup car je n’y aurai plus droit ensuite” » (1). Manger n’est plus réconfortant dans la mesure où on ne peut penser du bien d’aliments qu’on juge néfastes à son poids ou à sa santé. Les messages de l’État, en accréditant le caractère « malfaisant » de certains aliments, ne font qu’accroitre le cercle vicieux.

LA “FAT TAX”
Aux États-Unis, en vingt ans, le nombre d’adultes obèses a doublé. Dès les années 1980, Kelly Brownell, professeur de psychologie à Yale, propose l’institution d’une « fat tax » visant la junk food ; l’argent récolté servant à financer des programmes de prévention. Si les Américains ont renoncé à ce projet, l’idée revient régulièrement sur la table. En 2003, un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé s’y est déclaré favorable.

NOTES

[1] Cf. www.gros.org pour l’ensemble des propos cités, tirés des chroniques tenues par le Dr. Apfeldorfer sur ce site

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