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Imprimer le Monde, 2

Imprimer le Monde, 2

Imprimer le Monde, 2
Mis en ligne le mardi 16 mars 2010 ; mis à jour le samedi 27 février 2010.

Publié dans le numéro 02 (27 février 2010)

On n’est jamais assez précis. La rencontre du vendredi 12 février, rue de Varennes, a réuni une délégation syndicat et patronat du Monde et les représentants des pouvoirs publics. Une première entrevue entre les délégués syndicaux et l’ensemble des patrons éditeurs, le mardi 9, avait laissé augurer une solution positive. Elle confirmait officiellement la volonté de maintenir le site industriel d’Ivry et l’intention d’obtenir des fonds publics. Malgré les promesses, la réunion du vendredi n’a pas vraiment abouti.

 L’édition du Monde du même jour publie la photographie d’un employé de Sotheby’s présentant un melchior et j’apprends qu’il s’agit d’une bouteille équivalent au contenu de vingt-quatre bouteilles ; le vin est rouge et, accessoirement, il vient de Saint-Emilion ; la bouteille est estimée à 5470 euros, soit un peu plus de cinq mois de smic et si la précison va de soi il va de soi qu’en général on ne la donne pas. Par ailleurs le journal informe d’un appel à une journée de grève chez Ikea le lendemain ; la nouvelle tendrait à démontrer que le patronat même scandinave reste le patronat et que les actionnaires n’ont pas d’âme. Enfin je m’étonnerai toujours qu’on ose se prévaloir, par ces temps de détresse, d’une baisse moins marquée du nombre d’emplois. A part ça, le ciel est gris et venteux.

 Mais revenons à ma rencontre avec les ouvriers de l’imprimerie. Elle a eu lieu au siège du syndicat, à la Maison du livre CGT, boulevard Blanqui, face au métro aérien, à quelques encâblures du siège du Monde et de feu l’Institut Maurice-Thorez. Le bâtiment abrite la chambre syndicale des typographes et le syndicat des rotativistes. Il doit dater des années trente. Il est en pierre, il compte six étages, les escaliers sont larges, j’ai oublié de compter les marches. Le secrétaire général m’accueille. La poigne est franche, mon oeil averti me laisse supposer que le bonhomme a dû jouer au rugby. Marc me propose un café, je ne vois pas la machine mais le café est bon, italien. En attendant deux de ses camarades qui travaillent à l’imprimerie, on patiente cinq minutes dans la salle de bibliothèque occupée par des grandes tables de bois brun, style années cinquante. Au mur, il ya un buste de Jaurès, un portrait de Marx de facture moderne, une eau-forte représentant la mort de Baudin, le député républicain tué sur les barricades le 2 décembre 1851. Plusieurs bibliothèques vitrées, en acajou, abritent des rayonnages de livres. J’éprouve la tentation d’en faire le recensement mais ce n’est pas le moment. Au passage, j’ai la surprise d’y voir, sous le titre Désobéir le fameux traité de La désobéissance civile, écrit à l’époque de Baudin par notre maître américain Thoreau. Il voisine avec les oeuvres complètes de Jaurès, les oeuvres non moins complètes mais moins connues de Coeurderoy, un autre contemporain de Baudin qui écrit Hourrah ! ou la Révolution par les Cosaques et le publie à Turin, les oeuvres complètes des classiques du syndicalisme et du socialisme, quelques Tolstoï, des romans de Zola, les Maximes de La Rochefoucauld, la Vie de Jésus par Renan, la collection de la revue Les temps modernes, des vieux registres manuscrits, des ouvrages de Kropotkine dont La conquête du pain, et je pense qu’en cherchant bien on aurait pu trouver le petit Verlaine où « les roses étaient toutes rouges ».

 Martial et Didier arrivent de l’imprimerie. Après un nouveau café, on en vient très vite à ce qui nous réunit, le conflit à l’imprimerie du Monde. Je commence par leur présenter Le Tigre, qui est quand même moins connu que Le Monde, il faut dire les choses comme elles sont. Puis j’essaie d’expliquer ce que je compte écrire et à peu près comment. En l’occurence, j’aimerais bien comprendre comment on en est arrivé là.

 A eux trois, ils me dressent un tableau précis du sujet. Bien entendu, on ne peut se passer d’une mise en perspective historique. Le site a donc été ouvert en 1988 avec deux rotatives. L’imprimerie a accueilli en 2003 Les Echos et acheté une troisième rotative. Aujourd’hui il faut moderniser l’imprimerie, à savoir acheter une rotative neuve, donc dégager vingt à vingt-cinq millions d’euros. La logique paraît d’autant plus évidente que, en juin 2004, un accord négocié avait garanti le maintien du statut et une perspective d’avenir en «échange» de la suppression de 30% des effectifs. A ce point, les trois syndicalistes, en choeur, me précisent qu’il n’y a pas eu de licenciement, pas de chômage, que les quatre-vingt douze postes supprimés l’ont été sous forme de départs en pré-retraite. Dès lors, tout s’est fait «en sifflet» jusque fin 2008.

 Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que la question du statut de salarié du livre au Monde est centrale. Les ouvriers du livre tiennent à leur conventions collectives, aux droits qu’ils ont conquis et qui sont aussi le contrepoint de leurs devoirs, le travail la nuit, les week-ends, les jours fériés, sauf ce joli 1 er mai.

 On sait que le groupe est en déficit, on suppose que la direction en joue et on peut deviner que les stratégies divergent. L’essentiel de la question est là.

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