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Un viager du regard

Un viager du regard

Un viager du regard
Mis en ligne le mercredi 2 juin 2010 ; mis à jour le mardi 1er juin 2010.

Publié dans le numéro 06 (24 avril-7 mai 2010)

Chaque catastrophe s’entoure de cernes qui forment une pluie acide de signifiants. La dernière tempête a confirmé la fragilité du littoral : l’océan joue des tours, violent et déroutant, il peut abuser de ceux qui le côtoient tel un paysage sauvage, le considérant comme un viager du regard.

Dans une anse de trente-cinq kilomètres en face de l’île de rupins de Ré, trois lieux aux noms à la forte charge symbolique : La Faute-sur-Mer, L’Aiguillon-sur-Mer et Charron. Ce dernier rame avec constance sur le fleuve Styx et chasse à coups d’aviron les cadavres flottants (39 exactement), il augure et clôt un étrange chemin de croix, sinistre aiguillon dans la plante du pied des administrations et des assurances. À qui la faute, un espace concentrationnaire de congés payés et de retraites torpillées s’est vu à l’occasion de cette « catastrophe naturelle » révélé dans tout son dénuement.

On ne peut habiter impunément un tel lieu-dit. Les lois sur le littoral sont accablantes. Comme si la mer était égale, étale et ne se vengeait pas des impudents qui cherchent un coin de sable sans histoires, un endroit peinard où mettre la balancelle et recevoir les petits-enfants. La notion de zones inondables perdure depuis le Moyen Âge, elle a subi des évolutions liées à l’édification des digues, à la notion de loisirs et à un goût débridé de la construction. La maison des rêves est devenue un enfer et tous ces gens aux racines trop neuves sont renvoyés à la cruauté du mirage : livrés sans étude de pérennité, ces lotissements sont autant de pièges à gogos. Les mairies font pression sur la direction départementale de l’Équipement afin d’octroyer à la pelle des autorisations pour les nouveaux arrivants qui représentent toujours une belle manne. Taxe foncière, école, parkings, commerces, licences. Il y a bien des campings quatre étoiles dans les lits du Tarn et de l’Ardèche !

L’accès à la propriété pour tous a créé le mirage d’une acquisition désinhibée ; les prix réduits qui sentent les bonnes affaires cachent souvent une désinvolture ou un statut incertain quant à la viabilité du terrain, aux possibilités d’assainissement ou tout simplement à la desserte.

Quand un nombre astronomique de décès renvoie la France à son statut de république bananière, la réaction des tutelles est le réflexe versaillais de l’épuration. Les dindons de la farce s’en sont pris au préfet de Charente-Maritime monté au créneau pour solder les doléances ; reçu à renfort de quolibets, il est retourné piteux dans son hôtel particulier de La Rochelle.

La Faute-sur-mer. Faute aux habitants.

Battre sa coulpe n’arrange pas les choses. Accepter sa déveine n’est pas permis à tout le monde.

Nous avons donc en France des clandestins autre part qu’à Calais. On leur interdit d’avoir un toit, de creuser une niche, de se considérer à l’abri. La perception de cette nouvelle précarité ne peut se faire qu’avec violence : l’imaginaire bradé à vil prix fait mal.

 

 

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