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Tourisme équitable

Tourisme équitable

Tourisme équitable
Mis en ligne le vendredi 5 octobre 2007 ; mis à jour le mercredi 19 septembre 2007.

 
Publié dans le numéro I (avril 2007)

INTRODUCTION GÉNÉRALE DU TIGRE. Le point de vue de ces articles pourra prendre le lecteur à rebrousse-poil : tant mieux. Un journal n’est pas fait pour aller dans le sens du vent, dans une époque où il est de bon ton d’être ouvert aux autres cultures tout en les méprisant, et où acheter du café « commerce équitable » permet de se donner bonne conscience sur tout le reste. La démocratisation du voyage a mis des hommes « dépaysants » à portée de main. Tout le monde aurait envie de les voir « pour de vrai ». C’est une pulsion naturelle, de l’ordre de la sensation, de la fascination pour un « paradis perdu ». Mais une envie se réprime. La responsabilité de chacun est engagée. Voyager est un acte individuel. Décider de ne pas aller en certains lieux est un acte individuel. On ne s’improvise pas ethnologue en une semaine et avec une carte bleue.

Tout d’abord apanage d’individus qui souvent partaient sac à dos après avoir mûrement préparé leur voyage, le tourisme a été peu à peu récupéré par des agences spécialisées qui, à force de communication habile, ont réussi à se rendre incontournables. On a inventé dans la foulée l’écotourisme, puis l’ethnotourisme. On parle même aujourd’hui de tourisme équitable. Ces tours opérateurs et ces agences spécialisées qui s’attachent à entretenir une image d’originalité, à défendre une éthique voire une vraie vocation, se voient presque toujours bon gré mal gré entraînés dans la spirale de la rentabilité aux conséquences très souvent néfastes pour les communautés autochtones touchées par ce phénomène.

Quand l’écotourisme, l’ethnotourisme ou le tourisme équitable deviennent des affaires juteuses, alors les raisons s’égarent. Il ne faut pas se faire d’illusions, les circuits « discrets » d’aujourd’hui seront les autoroutes de demain. S’il s’agit au départ de commercer de façon minimaliste, en association ou en petite société, avec un nombre relativement réduit de touristes peu ou prou concernés et sensibilisés, l’objectif sera finalement d’exploiter au maximum le filon s’il paraît prometteur. Alors on se met à vendre de l’insolite, de l’inédit ou de l’aventure sans risque, de la femme girafe ou du Bushmen, du Massaï ou du monastère tibétain comme on proposerait n’importe quel produit de consommation.

L’éclat finissant de ces ultimes touches de couleurs exotiques attire la convoitise du voyagiste qui trouve là une nouvelle manne pour une clientèle qui a un jour rêvé de jouer à l’explorateur, et qui, comme par miracle, en échange d’un simple chèque, se retrouve prête à vivre son rêve clés en main, en toute sécurité, sans souci et en étant même assuré du steak-frites, de sa douche chaude et de son ballon de rouge quotidien.

Il y a les visiteurs, les peuples du Nord, et les visités, les peuples du Sud, ceux qui vendent, ceux dont on attend qu’ils donnent leur image, leur culture, leur âme. On effleure, on fait trop souvent le voyeur faute de n’être jamais voyageur, on vole des images, on viole des identités qu’on transforme en personnages folkloriques pour au bout du compte pouvoir dire : « J’ai fait l’Inde ou la Birmanie », et pourquoi pas « J’ai fait le pays Massaï ou les femmes girafes ». Les meutes de touristes remplacent peu à peu le voyageur solitaire. Les voyagistes ne s’en plaindront pas et encore moins les pays autoritaires ou totalitaires qui peuvent ainsi garder l’œil sur le touriste désormais bien canalisé derrière son guide officiel, tout en faisant main basse sur les devises générées au passage.

Ce tourisme-là s’introduit de façon de plus en plus brutale et massive dans les sociétés indigènes très fragilisées, et dont les traditions et la relation à l’autre sont aux antipodes des pratiques touristiques. Le concept de voyage organisé, autrefois limité à une clientèle de retraités attirés par le confort, un accompagnement culturel et surtout une sécurité maximale, est aujourd’hui en train de s’étendre à l’original, l’insolite ou l’inédit à tout prix. Les séjours organisés pour voir les derniers Bushmen sont malheureusement devenus presque banals.

Ces touristes-là ne voient pourtant généralement que l’apparence des peuples qu’ils visitent, leur manteau extérieur. Ils ne prennent conscience que très superficiellement des fondements de leur patrimoine culturel, de leur spiritualité, du sens profond des symboles et de l’âme collective qui régit toute société autochtone. Ils ne sont ni prêts, ni dans des conditions suffisamment favorables pour percevoir les signes qui s’offrent à eux.

Nos sociétés ont occupé les territoires des peuples autochtones, elles les ont dépossédés de leurs ressources naturelles, de leurs terres, les ont poussés à la conversion et réduit à néant leur spiritualité millénaire ; et voilà qu’en guise de coup de grâce nous envoyons nos touristes nourrir leur curiosité des couleurs finissantes d’un monde à l’agonie, comme s’il fallait se hâter de contempler les collections de ce musée à ciel ouvert avant qu’il ne soit remplacé par une galerie marchande. L’étape ultime avant la fin annoncée consiste à s’offrir des villages modèles, sortes de zoos humains où des figurants rémunérés reconstituent pour les touristes la vie rêvée d’autrefois. Ainsi ces villages Massaïs dédiés aux clients des safaris qui attendent l’explorateur en herbe aux portes des grandes réserves animalières, ou encore ce village Yagua du rio Napo qui, à la demande, n’hésite pas à se travestir en « yagua d’hier » mais peut tout aussi bien livrer du « Jivaro réducteur de tête ». Il suffit de remplacer les parures et de répéter les danses rituelles transformées pour l’occasion en piètres démonstrations folkloriques. Quand la tradition cède la place au folklore, alors on peut sans doute considérer que l’œuvre d’acculturation est arrivée à son terme. Ceci dit, on se demande parfois s’il ne vaut pas mieux encore que les touristes se précipitent dans ce genre d’endroits, plutôt que de les voir déferler dans les vrais villages qui ne sont jamais très loin. Malheureusement, avec le développement de l’ethnotourisme, il en restera toujours assez, grâce à ces agences bon ton, à s’aventurer en dehors des sentiers battus sur des chemins perdus qui, par voie de conséquence, deviendront très fréquentés eux aussi.

village ndébélé

Touristes visitant un village Ndébélé, en Afrique du Sud. PHOTO Patrick Bernard, 2003

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VILLAGES ZOO POUR LES KAYAN DE BIRMANIE
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Depuis plus de cinquante ans, les ethnies minoritaires de Birmanie, principalement constituées par les peuples montagnards qui représentent près de la moitié de la population totale du pays, sont les victimes de la dictature militaire qui contraint l’ensemble de la population à la soumission et au silence. Depuis quelques années, le régime birman semble vouloir profiter de la bienveillance des multinationales étrangères, et notamment de la compagnie pétrolière française Total, et des pays voisins comme la Thaïlande, pour développer le secteur touristique au mépris des droits les plus fondamentaux des peuples concernés.

Les investissements occidentaux en Birmanie dans les domaines énergétique et touristique contribuent à assurer la pérennité de la dictature en lui fournissant les moyens nécessaires à ses achats massifs d’armement qui lui permettent de maintenir la répression contre les populations civiles.

La politique d’ouverture au tourisme de la junte use sans scrupule de la contrainte sur la population, contrainte à des travaux forcés sur l’ensemble du territoire. Il s’agit là d’un véritable système d’esclavage mis en place par l’armée au service de la construction des infrastructures et au nettoyage du pays afin de le rendre « présentable ». La Birmanie et son régime militaire honni se doivent de montrer une façade lisse et respectable à ces hordes attendues de touristes avides des beautés de ce pays d’or et de lumière qui leur a été vendu comme l’un des plus beaux pays du monde.

Selon le nombre d’habitants que compte chaque village, les autorités décident du nombre de travailleurs forcés que celuici doit fournir pour une période donnée. Dans les villages des ethnies minoritaires, même les plus isolées, l’armée vient tous les mois ou tous les trimestres prendre des jeunes femmes et hommes. Ils sont emmenés sans ménagement comme porteurs sur les lignes de front ou utilisés à la construction des routes et des pistes dans les régions les plus hostiles.

La Birmanie est actuellement l’un des pays au monde où se pose de la façon la plus aiguë la question du tourisme et de ses effets inquiétants pour les populations subissant travaux, déplacements, et exploitation commerciale forcés.

Dans la région frontalière qui s’étire entre Thaïlande et Birmanie, non loin des camps où s’entassent des dizaines de milliers de réfugiés Karen, Shan ou Karenni qui fuient l’oppression de la junte militaire birmane, des acteurs peu scrupuleux de l’industrie touristique dans le Nord et l’Ouest de la Thaïlande ont multiplié les villages zoo. L’on y exhibe aux touristes pressés des tours opérateurs et des agences de trekking, contre un droit de visite, des familles entières issues des tribus les plus spectaculaires. Aux premiers rangs de ces tribus prises en otages, les familles Kayanes dont les femmes ont pour tradition — pour protéger l’âme de leur peuple — d’enserrer leur cou dans une longue spirale de laiton. Le chantage est sans ambiguïté : c’est accepter cette exhibition ou repartir en Birmanie à la merci des soldats de la junte.

Ces villages-zoos sont aujourd’hui répandus dans les régions de Mae Hong Sorn jusqu’à Thaton sur la rivière Kok, point de départ des nombreux trekking organisés dans les tribus montagnardes par les agences de Chiang Mai et des principales villes du nord de la Thaïlande. La plupart des touristes qui déferlent dans ces villages-zoos où sont exhibées les femmes au long cou ignorent tout du drame qui se joue à quelques kilomètres seulement, de l’autre côté de la frontière. Certains officiels thaïlandais se sont pourtant inquiétés de cette situation ambiguë. Poonsak Sunthornpanitkit, président de la chambre de commerce de Mae Hong Sorn, déclarait récemment dans un quotidien de Singapour : « L’exposition des Karen au long cou pour le plaisir des touristes pourrait nuire à la campagne de promotion du tourisme thaïlandais en cours, car la communauté internationale pourrait y voir une violation des droits de l’homme. » Certaines de ces femmes girafes sont aujourd’hui emmenées et exhibées dans les complexes hôteliers des principaux pôles d’attraction touristique du nord du pays, et jusqu’aux cités balnéaires de Pukhet ou Pattaya. Nous nous trouvons là face à l’un des excès les plus criants d’une forme d’ethnotourisme affligeante.

Articles parus dans la revue éditée par ICRA International : Ikewan (n°60, printemps 2006).

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