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Publié dans le
numéro VII (déc. 2007-fév. 2008)
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Premier acte. Le site bakchich.info [cf. les liens infra] annonce, dans une brève, le jeudi 4 octobre : « Cécilia Sarkozy pourrait annoncer ce week-end sa rupture avec son mari Nicolas. » (notons, d’ores et déjà, le conditionnel). Et détaille : « En marge de la réception à l’Élysée, le mercredi 3 octobre au soir, des parlementaires de la majorité [...] les conversations de couloirs tournaient largement autour de cette possible séparation du président et de sa Première dame ». Si l’information n’est pas directement sourcée, il est tout de même précisé qui (députés de l’UMP), quand (le 3, donc la veille de la publication), et où (réception à l’Élysée). Bien entendu, comme c’est maintenant le cas, nombre de sites internet d’information continue (L’Express, Le Nouvel Obs) ou de blogs, reprennent l’information, sans la développer outre mesure. Comme le note le site de L’Express : « Tant d’indécision, de contrepieds et de rendez-vous manqués ces derniers mois ont nourri les médias traditionnels, qui ne s’en sont pourtant emparés qu’avec circonspection. »
Deuxième acte. C’est plus que de la circonspection dont fait preuve Libération, c’est carrément de l’énervement. Dans un texte uniquement publié sur le site internet du journal, Laurent Joffrin, son directeur, s’en prend à « la rumeur et l’internet ». Nous sommes le lundi 8 octobre : « Tout est resté au niveau de la rumeur. Quelle rumeur ? Celle qu’a reproduite un site d’information qui fait profession de publier ce que les autres médias n’osent pas publier et reprise ensuite dans la blogosphère à l’infini : selon des sources anonymes à l’UMP, Cécilia devait annoncer sa rupture avec son mari avant la fin de la semaine. » Chaque mot est important. « Un site d’informations » : lequel ? Pourquoi Joffrin ne le précise pas ? Pour le coup, il s’agit d’une information, pas forcément inutile pour le lecteur qui ne sait peut-être pas d’où est parti, en premier, la nouvelle. « Devait » : Joffrin marque un point en démontrant que cela n’a pas eu lieu ce week-end ici, oubliant au passage que le texte original est au conditionnel : « pourrait annoncer ce week-end » n’est pas « va annoncer ». « Sources anonymes », enfin : on y reviendra. Joffrin poursuit son attaque, s’en prenant à la théorie selon laquelle « il existe une presse officielle complaisante et une autre presse, qui officie exclusivement sur le Net et qui, elle, ne recule pas devant la vérité. [...] Léger bug dans le raisonnement : l’annonce annoncée par la rumeur n’a pas eu lieu. Peut-être y aura-t-il séparation et donc annonce, cette semaine ou plus tard. Mais peut-être pas. En tout cas, la rumeur reproduite sur le Net était fausse. » Même si l’on n’en est qu’au deuxième acte, il n’est pas inintéressant de relire cette phrase en connaissant le dénouement : « peut-être y aura-t-il / la rumeur était fausse ». Dès lors que ladite « rumeur » était au conditionnel, on ne voit pas comment elle pourrait être qualifiée de fausse. Joffrin répond à cette objection : « le conditionnel, dans les journaux, est avant tout une hypocrisie : si l’on est sûr de son coup, on parle à l’indicatif ; et si l’on n’en est pas sûr, on ne publie pas. Quant à l’utilisation des rumeurs, elle suppose un luxe de précautions qui, manifestement, n’ont pas été prises. » L’attaque est ferme, dure, précise. Joffrin conclut : « C’est tout le problème posé par l’info qui circule sans aucune régulation sur le Net : elle nous fait régresser au XIXe siècle, avant le vote d’une loi sur la presse qui [...] stipule que la presse est libre sauf à répondre de l’abus de cette liberté. Un principe élémentaire dont beaucoup, sur le Net, se sont allègrement affranchis. Si tant est qu’ils en ont entendu parler... » Drôle d’accusation : un site internet de presse est soumis exactement aux mêmes règles légales que la presse écrite. Il a aussi un directeur de la publication, qui répond des propos tenus sur le site, et ce devant les tribunaux. La prescription est de trois mois après publication. Un droit de réponse existe, de la même manière que dans la presse écrite, selon l’article 6 IV de la LCEN, « Loi pour la confiance dans l’Économie numérique » du 21 juin 2005, loi qui a formalisé ou créé des règles pour le cas spécifique de l’information électronique (où l’hébergeur n’est pas directement responsable du contenu mis en ligne). Autant dire que si Cécilia Sarkozy voulait attaquer n’importe quel blog annonçant avec quinze jours d’avance sa séparation, elle pourrait le faire sans aucun souci.
Troisième acte. Le bal des rumeurs continue, un peu partout (radios, presse écrite traditionnelle, internet). Toujours rien de précis jusqu’au vendredi 12, où tout s’accélère à nouveau. Le site web de Libération écrit : « L’Elysée va annoncer le divorce des Sarkozy, selon l’Est Républicain ». Suit un court article qui donne la parole au journaliste de L’Est Républicain (« C’est un secret de polichinelle, franchement tout le monde le sait. ») et à une « source à l’Elysée, questionnée par Libération, [qui] a qualifié l’affaire de rumeur de salle de rédaction ». Le lendemain matin, le quotidien papier, légèrement schizophrène, s’en prend à nouveau à cette rumeur, sous la plume d’Antoine Guiral et avec un titre insolent : « Les Sarkozy toujours mariés » En effet, dans la journée de vendredi 12, aucune annonce n’a été faite. Libération continue à être agacé : « Que les choses aillent mal entre les époux Sarkozy est une évidence que même les conseillers du Président (hors micro) ou de pseudo-intimes de Cécilia finissent par admettre. D’où la course au (faux) scoop, à la rumeur relayée à la va-vite sur le Net. Pour l’heure, la seule info reste que les Sarkozy n’ont rien dit quant à l’avenir de leur couple. » Étonnante conception du journalisme : tant que personne n’a fait de communiqué officiel, il n’y a pas d’information. Quant au concept de (faux) scoop, il laisse songeur : est-ce à dire que ce n’est plus un scoop ? Que l’information est déjà trop éventée pour mériter ce titre ?
Quatrième acte. Mercredi 17 octobre. Un grand titre à la une du site de Libération : « Les Sarkozy auraient matérialisé leur séparation ». Oubliée, la phrase de Joffrin selon laquelle « si l’on est sûr, on publie à l’indicatif, si l’on n’est pas sûr, on ne publie pas » ? Alors, sûr, ou pas sûr ? Le texte est court, et reprend en majorité les informations d’un autre site internet : « Le président Nicolas Sarkozy et son épouse Cécilia ont matérialisé devant un juge leur procédure de divorce, croit savoir mercredi Le Nouvel Observateur. » On est ici à la fois dans la rumeur (titre au conditionnel) et dans la course au (faux) scoop, tout en prenant des pincettes presque accusatrices (« croit savoir »).
Cinquième et dernier acte. Jeudi 18 octobre au matin (alors que l’ensemble des transports publics sont en grève contre la réforme des régimes spéciaux de retraite), Libération publie une grande photo de Cécilia Sarkozy (avec Nicolas, de dos), et, sous le titre « Desperate Housewife », annonce : « Selon nos informations, Cécilia Sarkozy s’est rendue lundi au tribunal de Nanterre pour déposer une requête de séparation à l’amiable. Un document qui a été remis au Président ». « Selon nos informations » : les articles sont écrits mercredi soir, plus de douze heures avant le communiqué de l’Élysée qui confirmera la séparation (puis le divorce). L’article commence par ces mots : « Le divorce entre Nicolas et Cécilia Sarkozy est enclenché. Lundi soir, en dehors des heures ouvrables, madame s’est discrètement rendue au tribunal de Nanterre, accompagnée d’une avocate, afin d’entamer une procédure amiable. » Et dévoile enfin qui a tout balancé : « L’information, dévoilée hier par le Nouvel Obs et LCI [...] a été confirmée de source judiciaire à Libération. [...] Tout est bouclé, croit savoir une source judiciaire. ». « Source judiciaire », certes, mais totalement anonyme. Entendons-nous : pas anonyme pour l’auteur de l’article, mais anonyme pour le lecteur, selon le principe bien connu de la protection des sources. Mais alors, quelle différence avec les « sources anonymes » qu’attaquait Joffrin lorsqu’il évoquait la rumeur lancée par bakchich.info ? La différence est pourtant évidente : Joffrin la donne dans l’éditorial qu’il publie le même jour sous le titre « Leçon paradoxale » : « Un journal doit publier des informations et non des rumeurs. Pour cette raison, Libération n’avait pas, jusqu’à présent, sinon avec une prudence de Sioux, évoqué la rumeur d’une séparation du couple Sarkozy, qui courait Paris depuis plusieurs jours. Les choses viennent de changer : selon nos informations, recueillies de source judiciaire fiable, l’épouse du président de la République a bien procédé lundi à une démarche auprès de la justice. » Non seulement la source est judiciaire, mais en plus elle est fiable... Certes, on peut donner quittance au patron de Libération du fait qu’il ne s’est pas trompé dans les dates, lui. En revanche, il reste toujours un « léger bug dans le raisonnement » de Joffrin, car, selon les termes employé par son journal quelques jours auparavant, « pour l’heure, la seule info reste que les Sarkozy n’ont rien dit quant à l’avenir de leur couple. »
C’est la seule leçon de cette histoire : l’info de Libé n’est pas plus sourcée, pas plus fiable que celle de bakchich. Elle vient juste beaucoup plus tard, et au bon moment : elle a raison de fait, pas de droit. Aucune des leçons de morale de Joffrin ne résistent à l’examen. Et on peut se demander pourquoi « la presse officielle complaisante », terme que réfutait Joffrin, n’a finalement sorti l’information sur le divorce que le jour d’une grève massive, sachant très bien que l’une des deux informations, voire les deux, seraient amoindries par cette juxtaposition.