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Publié dans le
numéro 32 (juillet-août 2009)
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Le lieu du crime
La villa de Robert Graton, manager du groupe, à 12 kilomètres au nord de Menton.
La propriété comprend, outre la villa, deux bungalows dans lesquels étaient installés les membres du groupe . Elle est située sur un petit promontoire naturel. La villa surplombe la route de Menton d’environ 5 mètres, de l’autre côté le bungalow des invités est deux mètres au dessus d’une rivière, profonde d’environ 60 cm seulement à cette saison.
Le bungalow de Jeanne et Pierre
Il est composé de quatre pièces : le séjour-cuisine, où donne la porte d’entrée où se trouvaient Jeanne et le magnétophone, avec la porte (fermée à clé de l’intérieur) et une fenêtre donnant sur la façade (fermée). Une chambre avec une fenêtre (ouverte) donnant directement au dessus de la rivière. Une salle de bains avec un petit vasistas donnant sur le côté droit (ouvert, avec des barreaux).
La victime
Jeanne Courtisse, 21 ans
Tuée d’une balle tirée dans l’oeil droit. Selon le médecin légiste, le coup a été tiré à environ un mètren du sang a dû gicler sur l’assassin au niveau du torse.
Elle était étendue au milieu de la pièce, et un pistolet était sur le sol à 50 centimètres de sa main droite. Dans la main gauche, elle tenait une enveloppe (voir « pièces à conviction »)
Le groupe « Joyeuse »
Fondé en 1981, il est issu de la fusion de deux groupes : Nouvel Ordre, groupe de Bernard Soumer et Stéphane Maurisse, et Varsovie, groupe de Jeanne Courtisse et Pierre Crochu.
Leur new-wave légère remporte un certain succès, en grande partie grâce à la voix de Jeanne, avec les tubes « J’ai perdu le contrôle » » en 1981 et « Ombres Chinoises » en 1982. Difficultés à terminer un second album, différends financiers et crises sentimentales ont beaucoup dégradé l’ambiance au sein du groupe ces derniers mois. Leur manager, Rober Graton, les avait invités à passer une semaine chez lui pour les ressouder et avancer sur leur album.
Les suspects
Présents près du lieu du crime le soir du 15 août, ils avaient tous un mobile.
Robert Graton, 37 ans, manager du groupe
mobile : Jeanne voulait prendre un nouveau manager
« Jeanne voulait revenir au ton de son groupe précédent, des chansons new-wave sinistres. Les autres membres du groupe voyaient que c’était risquer de tout foutre en l’air. Le soir de sa mort, on s’est disputés. Elle avait apporté un vieux classeur d’écolier sur lequel elle avait écrit des dizaines de chansons il y a trois ans, pour son groupe précédent. Je lui ai dit qu’il n’y avait rien à sauver, le ton est monté, j’ai fini par jeter le classeur par la fenêtre. Elle est sortie, moi je suis monté dans ma chambre. J’ai fini par aller prendre un bain pour me calmer. J’étais encore dedans quand j’ai entendu le coup de feu, j’ai cru à un feu d’artifice, mais quand j’ai entendu les cris de Nathalie. J’ai enfilé un caleçon et j’y suis allé.
Pierre Crochu, 21 ans, guitariste et parolier
mobile : jalousie. Pierre était le compagnon de Jeanne, qui le trompait avec Soumer depuis plus d’un mois.
« Hier vers 23h, on était dans le salon de la villa, il y a eu une scène très violente entre Jeanne et Graton. J’ai voulu aller la voir, mais Bernard était déjà avec elle. Quand je suis arrivé devant notre bungalow, j’ai entendu Jeanne qui criait « je vais tout lui dire à cette connasse comme ça tu seras bien obligé de divorcer ! ». J’ai alors pris ma voiture et je suis allé faire un tour à Menton pour me changer les idées. Je suis revenu vers deux heures trente, les pompiers et la police étaient déjà là. »
Stéphane Maurisse, 22 ans, guitariste, compositeur et parolier
mobile : jalousie professionnelle, Jeanne voulait l’exclure du groupe.
« Après la dispute, je suis resté seul dans le salon et j’ai un peu bu. Je m’étais assoupi quand j’ai été à moitié réveillé par le coup de feu. J’ai bien mis cinq minutes à émerger. Graton est rentré en claquant la porte, Il a dit : « elle s’est tuée ! la clé, ou est la clé ? », ça m’a complètement dégrisé. Je l’ai ensuite suivi jusqu’au bungalow. »
Bernard Soumer, 24 ans, batteur
mobile : Jeanne voulait avouer leur relation à sa femme pour l’obliger à divorcer.
Après la dispute avec Graton, j’ai suivi Jeanne, elle était furieuse. Elle m’a demandé d’aller récupérer son classeur, elle voulait se remettre au boulot pour prouver à Graton qu’elle avait raison. Au bout de cinq minutes j’ai accepté d’aller voir là où il était tombé, sur la route derrière la villa, mais il faisait trop noir. Je suis finalement rentré dans mon bungalow. J’étais en train de me coucher quand j’ai entendu le coup de feu. J’ai remis des vêtements et je suis allé voir. Graton était déjà là, les cheveux dégoulinants, en slip, Nathalie, en jean et haut de maillot de bain, le bas du pantalon trempé. Par la fenêtre, on voyait Jeanne gisant dans une mare de sang.
Nathalie Soumer, 23 ans
mobile : La jalousie, son mari la trompait avec Jeanne.
Après le dîner, vers 22h30, pendant qu’ils discutaient, je suis allée piquer une tête dans la piscine. Au bout d’environ 20 minutes j’ai entendu des cris. Jeanne est sortie en pleurs, suivie de mon mari. Quand j’ai vu qu’ils entraient tous les deux dans son bungalow, ça m’a énervé, je suis allée marcher sur la route pour me calmer. J’ai marché dix minutes vers le nord, la route était déserte. Je suis revenue par un chemin de terre qui longe la rivière. C’est alors que j’ai entendu le coup de feu : j’ai traversé en courant et je suis allée au bungalow. J’ai vu le corps de Jeanne par la fenêtre, j’ai crié, c’était fermé. Les autres sont arrivés. Graton est allé cherché un double des clés et il est revenu pour ouvrir, suivi par Stéphane, l’air hagard.
Pièces à conviction
Lettre trouvée sur la victime :
Dans une enveloppe format postal sur laquelle est inscrit en capitales :
POUR MAMAN
Ecrite au bic bleu sur un fragment de feuille A4 à petits carreaux. L’écriture est bien celle de Jeanne Courtisse.
(NDLA : idéalement un fac-similé plutôt que cette description)
« Maman, j’ai essayé, crois moi je t’en prie.
J’ai fait du mieux que je pouvais.
J’ai honte des choses qui me sont arrivées
J’ai honte de la personne que je suis »
magnétophone 8 pistes, sur lequel une bande en cours d’enregistrement se trouvait au moment des faits. Les seules empreintes digitales sur cette bande sont celles de la chanteuse.
0-14’12 : musique et voix de Jeanne fredonnant des chansons.
14’12 : porte qui s’ouvre. Jeanne : « Qu’est-ce que tu veux ? Bon, entre. »
Cri de Jeanne « Eh, ça va pas, laisse ce... » , détonation.
Pas, bruits assourdis.
15’10 Clé qui tourne dans la serrure, puis pas, bruits faibles impossibles à identifier.
17’ 58 Coups sur la porte, cris « Jeanne ! Jeanne ! » (voix de Nathalie).
Pendant trois minutes, coups sur la porte, Nathalie répète plusieurs fois « Au secours ».
19’10 bruit assourdi de chute dans l’eau, encore des cris de Nathalie.
23’00 Graton : « Qu’est-ce qui se passe ? » Nathalie : « Elle s’est tuée ! » Graton « Merde ! ». Graton dit quelque chose d’inaudible.
25’35 Bernard « Putain ! Qu’est ce qui se passe ». Conversation inaudible entre Bernard, Graton et cris de Nathalie.
29’31Brouhaha des voix de Graton, Nathalie et Bernard. Bruit de serrure. Ouverture de la porte, pas, cris de Bernard. « Touchez à rien » dit Graton. Bernard « Elle a laissé une lettre ». Nathalie : « On appelle la police ? »
30’12 Voix de Stéphane : « Qu’est ce qui se passe ? Oh merde ! ».
30’17 interruption de l’enregistrement.
Sur le bureau : deux blocs de papier à lettre blanc. Pochette contenant une dizaine de feuilles du même papier avec des ébauches de chanson, écrites par Jeanne ces quatre derniers jours.
L’arme du crime
révolver de calibre 7,65, deux balles dans le barillet.
Armé confisquée par un vigile lors d’un concert, trois mois auparavant. C’est Stéphane Maurisse qui l’avait récupéré. Le 13 août, lors d’une discussion houleuse, il l’avait sorti, Graton l’avait désarmé et avait emporté l’arme, qu’il avait posé sur une étagère dans son séjour. Personne n’est capable de dire à quel moment il l’a vu sur cette étagère pour la dernière fois.
La solution
La solution
Une partie de la solution de l’énigme se trouve dans la disposition du lieu du crime et dans la bande enregistrée.
La porte du bungalow de la victime était fermée à clé de l’intérieur. La bande son indique que le coupable a fermé la porte a clé alors qu’il était encore à l’intérieur (15’10). Il a donc dû sortir par une fenêtre : la seule qui était ouverte et permettait de sortir était celle qui surplombe la rivière.
La bande son indique un bruit de chute dans l’eau à 19’10 : c’est donc à ce moment que le coupable, sans doute surpris par l’arrivée de Nathalie et ses cris, a sauté par la fenêtre.
Cet indice permet donc d’innocenter Nathalie. On peut dès lors considérer son témoignage comme crédible.
Le second indice important est le mot mis dans la main de la victime pour faire croire à un suicide. Il est bien écrit par elle, mais d’où vient ce texte puisque ce n’est pas un vrai suicide ?
Il est écrit sur du papier à carreaux, alors que le papier trouvé dans le bungalow est du papier à lettre blanc. Il n’a donc pas la même origine. On sait que le soir même elle avait montré son « vieux classeur d’écolier » avec les textes d’anciennes chansons à la tonalité sombre. On peut supposer que ce texte provenait de ce classeur, qui n’a pas été retrouvé.
Le classeur a été lancé sur la route sous la villa, donc la route de Menton. Nathalie a emprunté cette route en direction du sud quelques minutes après la dispute. Elle aurait dû être dépassée par la voiture de Pierre Crochu, qui dit être parti vers Menton quelques minutes plus tard. Mais elle précise que la route est restée déserte. Stéphane Maurisse confirme pourtant le départ en voiture de Pierre Crochu. S’il n’a pas dépassé Nathalie, c’est qu’il s’est arrêté avant : justement pour récupérer le fameux classeur, dont il connaissait le contenu.
Laissant sa voiture sur la route, il est revenu et à mis en scène le suicide. Surpris par Nathalie, il est sorti par la fenêtre et a rejoint sa voiture, d’où il est finalement allé à Menton pour se faire un alibi.