Dans l’arrière-boutique des ship managers
Dans l’arrière-boutique des anthropologues
« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro VIII (mars-avril 2008)
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Savez-vous la dernière ? Nous n’avons plus le droit de grignoter. C’est un ordre : écrit à l’impératif, comme il se doit. Pour votre santé, ne grignotez pas entre les repas, nous dit-on en bas d’une publicité pour un fromage ou un dessert. Jusqu’à la fin du vingtième siècle, le verbe grignoter était réservé aux petits rongeurs. Les écureuils grignotaient. Les souris grignotaient. Les nourrissons, à l’âge de leurs premières dents, grignotaient. De petites miettes tombaient sur la nappe, et c’était mignon. Le Littré disait, grignoter c’est manger doucement en rongeant. Ces temps-là sont révolus. Les écureuils sont de dangereux boulimiques en puissance. Nous sommes entrés dans un ordre nouveau, qui grave dans le marbre de nos téléviseurs : pour votre santé, ne grignotez pas. Et c’est ainsi que naquit, en 2006, année de la mise en œuvre du deuxième Programme National Nutrition Santé (PNNS) [1], le Paradoxe de Germain Nouveau.
Germain Nouveau (1851-1920) était un poète qui écrivit un Sonnet d’été d’où sont extraits ces vers :
Quand nous aurons faim, pour toute cuisine Nous grignoterons des fruits de la Chine
Le poète, en bonne compagnie, s’apprête à grignoter des fruits.
Dilemme, affreux dilemme ! Germain Nouveau se doit de manger cinq fruits
et légumes par jour, mais Germain Nouveau se souvient du message
étatique tu ne grignoteras pas : que doit-il faire ? Tempête sous un
crâne. L’âne de Buridan avait le choix plus facile. Pour résoudre cet
affreux cas pratique, nous lançons une grande consultation démocratique
nationale. CEUX QUI PENSENT QUE GERMAIN NOUVEAU DOIT GRIGNO TER DES
FRUITS, TAPEZ 1. — CEUX QUI PENSENT QUE GERMAIN NOU VEAU NE DOIT PAS
GRIGNOTER LES FRUITS, TAPEZ 2... On en est là.
Dans le Tigre [déc. 2007, vol.7], nous avons publié une photographie de Pékin, à la veille des Jeux Olympiques. On y voit une affiche étatique qui dit : soyez joyeux. Évidemment, on se gausse. Ah, ces dictatures ! Vraiment trop drôles. Notre Bible de pacotille qui nous dit de mangerbouger.com, on n’y pense pas. On trouve ça normal, et on retourne railler les tenants de l’islam qui interdisent la représentation du prophète, avec un regard vaguement condescendant : les pauvres, ils ont peur d’une image. Pendant ce temps, notre iconoclasme national gomme la cigarette de Sartre sur les timbres. À l’époque des faits, beaucoup de monde a trouvé cela excessif. N’empêche que la cigarette, elle n’est pas revenue. La tête baissée, les journaux ont suivi la recommandation de ne plus publier de photographies de fumeurs [2]. Les scénaristes télévisés ont emboîté le pas. Continuons dans cette voie saine. Continuons à attraper le Mal et ses grandes piques. L’État ne veut plus de cirrhoses ? Vive Al Capone, c’était tellement bien, la prohibition ! Non ? Et cette époque merveilleuse où les dirigeants donnaient l’exemple : Hitler, Mussolini, Franco, ces vertueux non-fumeurs sportifs qui haussaient le menton devant ces affreux fumeurs, Roosevelt, de Gaulle, Churchill ? D’ailleurs, qu’il était gros, ce Churchill ! Quelle horreur ! Il mangeait à la fois trop gras, trop sucré, trop salé, c’est sûr et certain. Un mauvais citoyen.
Il est interdit de tuer ; fumer tue, or fumer est permis. On appelle cela un sophisme. Sauf que l’erreur de raisonnement ne se situe pas dans la conclusion, mais dans la phrase : fumer tue. Car non : fumer ne tue pas. D’ailleurs les fumeurs espagnols savent, eux, que fumar puede matar : fumer peut tuer ; un fumeur peut mourir d’avoir fumé. L’État français a fait fort : il a enlevé le caractère hypothétique de la relation. Fumer tue, une fois pour toutes. Ce que même le lapin de la RATP sait, l’État français ne le sait pas. Car le lapin de la RATP dit : tu peux te faire pincer très fort, le lapin n’a pas dit : quand tu mets tes mains sur les portes, tu es en train de te faire pincer très fort. Le lapin n’est pas con, il sait que s’il disait ça, plus personne ne le croirait. Les alcooliques ont eu plus de chance, lobby du bon vin français oblige. Non seulement ils ont le droit à la vérité, à savoir que c’est l’abus d’alcool et non l’alcool qui est dangereux pour la santé.
Quand je vois des fumeurs sortir leur paquet de cigarettes, je ne comprends pas. Qu’ils se laissent culpabiliser et insulter, ni plus ni moins. Dans un bar, dans la rue, au nom de quoi supporte-t-on ces mots qui nous entourent, ces petites phrases dans les sacs et dans les doublures de vestes, ces mots qui disent la mort, l’impuissance, la stérilité, ces mots qui ne veulent rien dire puisqu’ils fument quand même, ces mots qui les traitent d’assassins pendant qu’ils prennent une bouffée de plaisir ou de soulagement ? Alors le bon vieux débat : c’est un plaisir, disent les uns ; c’est une drogue, disent les autres. Sachant que tout plaisir est une drogue en puissance, quand on a dit ça, on n’a rien dit. La limite est ténue. Un usage excessif du manger, du fumer, du boire, du PMU, du sport même, etc., etc., transforme un plaisir en dépendance. L’opposition est stérile, et c’est dans cette opposition stérile que nous pataugeons.
J’entends déjà crier les convaincus de la nouvelle morale : mais quand même, ça tue ! C’est la première, deuxième, énième cause de mortalité !
Cet argument est irrecevable. Car il faudrait alors stigmatiser en grandes lettres, avec autant de naïveté et de véhémence, les autres causes de mortalité. L’exposition abusive aux rayons du soleil multiplie par x les risques de cancer ? bronzer tue. On attendra sereinement le printemps : quand les antitabac ricaneront à l’idée que les fumeurs squattent les terrasses, cumulant le cancer de la peau et celui du poumon, puis leur reprocheront de leur voler le soleil fournissant la vitamine D, ce puissant régulateur de la bonne humeur — faudra choisir entre la dépression et le cancer du poumon. On pourrait continuer comme cela, à coup de grandes phrases tronquées. La sédentarité multiplie par x le risque de maladies cardiovasculaires ? ne pas faire de sport tue. Les sports à risques sont plus à risque que les autres ? La haute montagne tue, le parapente tue.
On peut en écrire des pelletées, des messages sanitaires pour les programmes de santé publique à venir. Sur sa propre mort et sur l’assassinat présumé de ses voisins. Oui, vous avez reconnu le fameux « tabagisme passif », dont les chiffres restent extrêmement controversés. En dépit de ce fait, chaque jour, les fumeurs se voient dire, vous nuisez à la santé de votre entourage. Un nuisible, vous savez, comme les taupes et les ragondins. Quand je vois un fumeur, j’ai envie de lui dire non, vous ne nuisez pas à ma santé. Vous déposez une odeur sur mes habits, certes. Vous me faites picoter les yeux, certes, à l’instar des tapis en laine, des livres et des chats. Va-t-on poser une pancarte sur les chats, à cause des x % allergiques ? Être un chat nuit gravement à la santé de son entourage. Étant donné la hausse du nombre des allergies, les ordres de grandeurs sont peut-être même en défaveur du chat. Comme ils sont, bien évidemment, en défaveur de la voiture. Votre propre automobile nuit gravement à votre entourage. Voilà un fait indiscutable : un pot d’échappement vaut bien une cigarette. On l’attend de pied ferme, le débat sur l’automobile passive, sur ces assassins en puissance que nous sommes tous. Et la propreté passive ! Les nettoyants ménagers diffusant des particules cancérigènes, on le sait. Et les peintures, et les moquettes ! À la lecture du dernier rapport [3] sur la question, on pourra bientôt écrire : l’abus de propreté nuit à la santé ; pour votre santé, ne décorez pas votre intérieur.
Pendant la campagne électorale de 2002, les « chiffres de l’insécurité » ont fait l’objet d’une inflation du discours politique et médiatique. Beaucoup de voix se sont alors élevées contre la fabrication médiatique d’une société où le pire arrive à tous les coins de rue, et où chaque jeune est un délinquant en puissance. Le procédé est exactement le même en matière de santé publique, or personne ne s’émeut. On sort des chiffres, on les monte en épingle. Dans certains pays, des images obscènes suivent : des gros plans de poumons dévastés et des dents noircies, comme au temps du docteur Knock [cf.p.66]. Et à quand les films sur les grignoteurs devenus obèses, avec de la cellullite et de la merde en gros plan ?
Le procédé est le même que celui des marchands de bonnes œuvres qui, pour « frapper fort » les esprits, disent : toutes les x secondes, un enfant / une femme / une forêt meurt. En plus d’être un non-sens mathématique, ces chiffres sont moralement abjects. Ils stipulent que l’action juste doit être sous-tendue par le palmarès du plus macabre [4]. Ils ne sont rien d’autre que de la propagande ou du marketing, au choix : une image en gros plan qui frappe les esprits, mais qui est fausse. Manger trop gras tue. Oui mais manger trop maigre tue aussi. Alors il faudrait alors un message pour les anorexiques, et un autre pour les boulimiques ? Puisque notre société serait un peu des deux. Hélas, les quelques voix de bon sens qui s’élèvent dans le débat [cf. p.30-31] ne sont pas entendues.
Le paradoxe, c’est que les gouvernements successifs ayant mis en place ces mesures ont conscience d’infantiliser les foules, mais s’en excusent : c’est pour le bien du corps social. Faut des messages forts. Faut leur faire peur. On touche là le point nodal : la différence entre légiférer et faire de la propagande. La législation sur le tabac ne date pas d’hier.
Dès le XVIIe siècle, des interdictions de fumer dans certains lieux ont été mises en place, notamment pour éviter les risques d’incendies. Une ordonnance de 1846 interdit de fumer dans les voitures de chemin de fer hormis dans les compartiments fumeurs ; en 1873, ce sont les bureaux de poste, la Bourse et le bois de Boulogne qui deviennent des lieux non-fumeurs. La propagande non plus ne date pas d’hier : à la fin du XIXe siècle, la Société contre l’abus du tabac édite ainsi des brochures contenant des lectures morales [5] : « En cinq jours, un fumeur consomme 0,5 kg de tabac valant 12 francs le kg. On demande 1) Ce que cette habitude de fumer coûte chaque année à celui qui l’a contractée. 2) Combien de litres de vin il pourrait acheter si un hectolitre de vin coûte 40F. » La Société lance également un appel mémorable aux parents afin qu’ils « impriment une crainte salutaire à leurs enfants », munis de ce conseil efficace : « les menacer, lorsqu’ils ne sont pas sages, de les faire fumer, et au besoin les forcer à respirer la fumée ».
On en est revenus là. La fin justifie les moyens, se dit l’État. Qu’on appelle cela propagande ou marketing de la santé publique, au final, il s’agit de manipuler les foules, en l’occurrence en les culpabilisant. Ce n’est pas de la culpabilisation, c’est de la responsabilisation, nous rétorquera-t-on. Reste la question : cette culpa/responsabilisation estelle une pratique politique acceptable ? Les gouvernements successifs disent vouloir préserver la santé collective. Ce faisant, ils ont dangereusement empiété sur la morale et la philosophie. Nous vivons dans un État qui, tel un parent incompétent, en est réduit, pour sauver la face de son autorité émoussée, à faire peur. Nos dirigeants devraient relire cette phrase de Kant : « Un gouvernement fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, semblable à celle d’un père envers ses enfants, c’est-à-dire un gouvernement paternel (imperium paternale), où donc les sujets, comme des enfants mineurs qui ne peuvent distinguer ce qui leur est véritablement utile ou nuisible, sont réduits au rôle simplement passif d’attendre du seul jugement du chef de l’État qu’il décide comment ils doivent être heureux, et de sa seule bonté qu’il veuille bien s’occuper de leur bonheur : un tel gouvernement est le plus grand despotisme qu’on puisse concevoir. » [6]
Quels sont les leviers de l’action publique pour préserver la santé publique ? Une politique plus globale : légiférer en amont. L’empiètement sur la liberté individuelle de chacun est un mécanisme autre. Le citoyen est libre de fumer ou de ne pas fumer, de manger de la salade si ça lui chante et des rillettes s’il en a envie. L’État est libre d’interdire ou non des produits à la vente. Vous ne voulez plus qu’on fume ? Interdisez de fumer. Le Bhoutan l’a bien fait, en 2004, sous les applaudissements de l’OMS. Mais là, plus personne... Le rédacteur du rapport de l’Assemblée Nationale, qui y a bien pensé, a jugé cette hypothèse « politiquement impraticable. On ne peut pas interdire un produit que 30% des Français consomment régulièrement ». Avant de poursuivre avec lyrisme : « On ne peut pas non plus, à moins de transformer une action de santé publique en combat idéologique, oublier le goût particulier qu’il a donné à d’innombrables chefs d’œuvres littéraires et cinématographiques, dont des générations entières ont été nourries. Pour beaucoup, il a donc été un vecteur exceptionnel de partage et de convivialité dans toutes les circonstances de la vie. Cela nous rappelle que les consommateurs de tabac ne sont en fait que des héritiers — et souvent des victimes — d’un certain mode de vie, mais en aucun cas des délinquants, et que s’il doit être ferme, le discours public doit aussi rester respectueux des choix de chacun. » [7] Fini, le mode de vie de partage !
Passons sur cette contradiction pour en venir à l’essentiel. Tout État est libre d’agir non sur la liberté individuelle des citoyens, mais sur l’arrière-plan au sein duquel elle s’inscrit : un gouvernement est fait pour agir sur la composition des choses. Le travail de l’État est de réglementer la composition des cigarettes [8], de réglementer l’usage des additifs dans l’alimentation, l’usage des produits phytosanitaires, l’usage des substances toxiques dans les matériaux de construction, l’usage des médicaments mis en vente, etc. Alors ne soyons pas poujadistes : on le sait bien, que l’État travaille aussi sur ces questions. Mais voilà, sur ces sujets-là, le courage est moins de mise. Les évolutions sont plus lentes que lorsqu’il s’agit de campagnes d’éducation des foules.
L’OMS donne la définition suivante de la santé : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. [...] Il s’agit d’un état de bien-être dans lequel la personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et fructueux et contribuer à la vie de sa communauté » [9].
Bien des fumeurs, des grignoteurs et des mangeurs de trop sucré, trop salé, trop gras, répondent à ce critère. Ils y répondront sans doute moins lorsqu’ils auront été matraqués par des messages jouant sur le ressort de la peur et de la culpabilité — or le stress et le manque d’estime de soi ne font pas bon ménage avec la santé.
D’où l’on déduit en toute logique que l’État nuit gravement à notre santé psychologique. Si on sait que le cancer tue, on sait aussi que l’auto-dénigrement n’a jamais aidé personne à guérir d’un cancer. Le Cardinal Richelieu disait : « Un mal qui ne peut arriver que rarement doit être présumé n’arriver point. Principalement, si, pour l’éviter, on s’expose à beaucoup d’autres qui sont inévitables et de plus grande conséquence ».
Construire une société dont les bases sanitaires sont la peur et la honte est un mal que ne mérite peut-être aucune campagne de prévention.
Et puis personne ne pose jamais la vraie question : cher gouvernement qui voulez tant notre bien, vous aimeriez que ce soit quoi, dans la société idéale que vous bâtissez, la première cause de mortalité ? Puisqu’il en faut bien, des causes de mortalité, non ? Il est peut-être là, le vrai problème : l’État voudrait nous rendre immortels, et ce faisant il nous empêche de vivre.
POUR OU CONTRE LA CIGARETTE ?
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LE TIGRE OFFRE DES ARGUMENTS SOLIDES AUX DEUX CAMPS :
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UN DERNIER POINT...
DE LA CONVIVIALITÉ DES ANTIDÉPRESSEURS
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Reste un dernier point, polémique, peu abordé. Ce point a été écarté
d’un revers de main à l’Assemblée nationale [10]. Il s’agit du transfert des addictions,
c’est-àdire la question de savoir si quelqu’un qui arrête de fumer se
reporte sur l’alcool, ou sur la nourriture. La logique voudrait en
effet qu’un geste qui a une fonction sociale, ou une fonction
psychologique certaine, doive être remplacé par quelque chose d’autre.
Cas favorable : j’arrête de fumer, je fais du sport, je me sens mieux,
mon stress est évacué dans un nouveau plaisir. Cas défavorable :
j’arrête de fumer, c’est dur, c’est la déprime, je vais voir mon
généraliste, il me prescrit un patch, ce n’est pas suffisant, il me
prescrit des anxiolytiques ou des antidépresseurs. Sujet hautement
tabou.
Certains nient ce risque, ainsi Bertrand Dautzenberg : « Le risque d’un transfert de l’addiction est pratiquement nul : chez les adolescents, c’est même le contraire. Lutter contre le tabac chez les jeunes, c’est également lutter contre le cannabis et contre l’alcool. Prétendre que la somme des vices est constante est d’une totale stupidité et contraire à la réalité, si ce n’est dans 5% des cas, liés à des problèmes psychiatriques lourds. L’expérience constante prouve que lutter contre une drogue en élimine d’autres. ». Pourtant, le rapport de l’Assemblée nationale sur le bon usage des substances psychotropes (2006) [11] est édifiant. Il est même particulièrement inquiétant, quand on sait la banalisation de leur consommation en France, dans un contexte où 80% de ces médicaments sont distribués par des médecins généralistes : un Français sur trois y a déjà eu recours. Le rapport ne cache ni les effets secondaires, ni la difficulté du sevrage, ni le flou total en matière d’effets secondaires : « S’il est important de connaître l’impact en termes de bénéfice et de risque de tout médicament mis sur le marché, ceci est particulièrement crucial pour les médicaments psychotropes du fait que leur cible thérapeutique porte sur les fonctions les plus spécifiquement humaines, de par leur capacité à modifier les émotions, les activités intellectuelles et relationnelles des sujets qui en font usage. Il est, de plus, indispensable d’évaluer l’impact des psychotropes en conditions réelles d’utilisation à l’échelon de la population traitée, car du fait de l’importance de la population exposée à ces médicaments (plus du quart de la population française de plus de 65 ans, par exemple), l’impact en santé publique d’un effet adverse, même rare ou de poids modeste, peut être considérable. Or, on ne dispose actuellement en France que de très peu de données de ce type. Par exemple, on ne connaît pas à l’échelon de la population française le nombre de cas d’accidents de la voie publique, de chutes ou d’altération des fonctions intellectuelles chez la personne âgée, de diabètes ou de suicides induits par ces médicaments, et donc potentiellement évitables par une utilisation plus rationnelle. »
Ce qui nous ramène à une évidence oubliée : boire un verre de vin, manger ou fumer sont des comportements éminément sociaux. Ces gestes sont compris de manière tacite. Avec tout ce que compréhension veut dire : multiplicité des facteurs (réponse au stress, aide à la concentration, saveur d’un instant). La cigarette, comme d’autres comportements, est un exutoire social relevant de la liberté individuelle. De même qu’on a le droit d’être gros ou maigre parce qu’on est inquiet, ou de boire un peu plus que de raison, ou de... On ne nie pas que chacun de ces comportements puissent déboucher sur des problèmes réels (alcoolisme, obésité, etc.). On dit juste que ces comportements sont les réponses visibles aux aléas de la vie. En les culpabilisant, l’État est en train de les transformer en un acte médicalisé et de favoriser la réponse invisible et non sociale au stress : les psychotropes. Aujourd’hui, les fumeurs culpabilisés vont dans les pharmacies. Ainsi un ancien plaisir est devenu un motif de honte remboursé par la sécurité sociale. Beau travail.
LETTRE À MADAME ROSELYNE BACHELOT
MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA JEUNESSE ET DES SPORTS
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Madame la ministre,
Je me permets de vous alerter sur une cause de mortalité qui, me semble-t-il, devrait guider vos prochaines directives en matière de santé publique. Les plus grands scientifiques sont formels : tuer tue. Le Surgeon General* et les derniers rapports en date [ici une bibliographie en anglais] ont établi un lien de causalité indiscutable entre le meurtre et la mort.
La population potentiellement à risque est terriblement élevée : ce sont près de 99,98% de nos concitoyens qui seraient directement menacés de mourir s’ils étaient la cible d’un meurtre. Aussi, me semble-t-il, ne pas favoriser les comportements à risque devrait être l’une des priorités du gouvernement. L’une des mesures les plus à même de sensibiliser nos concitoyens à une prise de conscience profonde du problème serait de ne pas favoriser une représentation positive de la mort, et ce dans tout support que ce soir : littérature, cinéma, médias. La presse et les télévisions pourraient signer un code de bonne conduite. Il devrait rester suffisamment de grandes œuvres internationales, telle La Petite maison dans la prairie expurgée de quelques scènes, pour ravir l’ensemble des classes d’âge de la population qui, rappelons-le (sondage IPSOS 2003), est à 54% favorable ou plutôt favorable à une réduction de tous les types de violence trop violente. On pourrait aussi imaginer une campagne télédiffusée à heure de grande écoute : « le saviez-vous ? vous allez mourir » qui permettrait à toutes et à tous de prendre conscience des risques de la vie à long et moyen terme. Ainsi, un jour peut-être, au terme d’un long processus citoyen, les adolescents afficheraient des stickers du PNNS dans leur chambre plutôt que le poster de James Dean.
Bien cordialement,
Un administré en (très) bonne santé.
[1] Cf. www.mangerbouger.fr pour les documents sur le P.N.N.S
[2] La presse féminine a signé en 2001 un code de bonne conduite, « Pages sans fumée » (lisible sur www.inpes.sante.fr). On notera l’article courageux d’Alix Girod de l’Ain dans Elle, « Je me souviens de la cigarette » (31 décembre 2007)
[3] Rapport n°3088 sur la pollution de l’air, 2001
[4] Cf. « Bons combats, mauvais chiffres », Que Choisir, nov. 2007
[5] L’anti-tabagisme de la fin du XIXe siècle a-t-il été relégué aux oubliettes jusqu’en 1976 (campagnes anti-tabac lancées par Simone Veil), et pour cause : le lien entre le tabac et le cancer du poumon a été établi par la médecine nazie, dans des travaux qui seront longtemps discrédités.Cf. Robert Proctor, The Nazi War of Cancer, Princeton University Press, 2000
[6] Kant, Sur l’expression courante : c’est bon en théorie..., 1793
[7] Assemblée nationale, Rapport n°3353 sur l’interdiction du tabac dans les lieux publics, 2006
[8] Sur la composition des cigarettes, cf. Haro sur les fumeurs !, biblio
[9] Pour les textes de l’O.M.S., cf. www.who.int/fr/
[10] Assemblée nationale, séance du 10 juillet 2003
[11] Rapport sur le bon usage des médicaments psychotropes,www.assembleenationale.fr/12/rap-off/i3187.asp