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Bijoutier

Bijoutier

Bijoutier
Mis en ligne le mercredi 5 janvier 2011 ; mis à jour le mardi 4 janvier 2011.

Publié dans le numéro 33 (sept.-oct. 2009)

Christian, 46 ans, expert en bijoux

 

Vous aurez peu de gens qui vous ont parlé comme je vous ai parlé cet après-midi, parce qu’il faut garder un certain mystère dans cette profession. Le bijou a toujours été une source de mystère. On ne déclare pas le bijou dans les successions par exemple. C’est quelque chose qui passe à l’as, qu’on peut emporter dans une poche. C’est ça qui est fascinant. Le problème avec le bijou c’est que c’est un produit qui anime beaucoup de fantasmes et vous pouvez avoir très vite des problèmes de sécurité, donc c’est bien une certaine discrétion. C’est pas forcément dans une mallette que je vais mettre le bijou, mais dans la chose la plus anodine possible, dans un plastique de supermarché. Si vous voulez trop briller dans le bijou... Il faut respecter cet anonymat, sinon vous êtes cuit.

J’ai des clients qui sont collectionneurs donc qui me demandent de rechercher telle pièce. Je fais les ventes aux enchères à Paris, à Genève, à Londres et puis sinon j’ai des clients que je sais qui ont telle pièce, donc je leur demande s’ils ne veulent pas la vendre. Tout est une question d’information en fait. En plus, je suis fils de flic, donc en fait j’ai toujours ce côté de vouloir essayer d’enquêter. Moi depuis tout enfant, ça a commencé chez ma grand-mère, j’adorais aller dans son armoire, fouiller dans ses tiroirs, ouvrir des boîtes, regarder ce qu’il y avait dans les boîtes, et puis découvrir toute l’histoire parce que ma grand-mère venait derrière moi et me racontait toute l’histoire du bijou... Elle avait des bijoux entre guillemets historiques, elle avait un petit héritage, de choses, qui étaient modestes somme toute maintenant que je le vois. Ma mère aussi était fleuriste, elle avait une bonne clientèle et j’adorais que les clientes montrent les bijoux. Et déjà ça me faisait complètement rêver. De voir une bague briller, ça me faisait rêver à une autre vie tout simplement. Même si la mienne me paraissait sympathique, je me disais tiens qu’est-ce qu’il y a derrière ces bijoux-là ?, et je rêvais de ce que les gens faisaient... En fait, j’ai accompli mon rêve. Donc chaque fois que je vais dans une maison, que je pénètre un lieu, c’est encore ça, chaque fois je vibre après ça. C’est pas tellement pour l’histoire de l’argent que je vais me faire après. Ce qui m’a toujours animé, c’est l’esprit de la découverte. J’avais envie d’une vie plus d’aventure et c’est vrai que c’est un métier qui réserve de jolies surprises.

Quand vous expertisez ou quand vous achetez, vous allez dans l’intimité des gens qui sont en face de vous. Le bijou appelle beaucoup le souvenir. Parfois je suis reçu chez mes clients sur le lit à côté de leur coffre. Y a beaucoup d’affect, d’angoisse, d’histoires tristes. Des divorces, des décès. Y a beaucoup d’histoires de souffrance dans le bijou. Y a pas de voile en fait, les gens sont tels qu’ils sont. Là, ils peuvent pas bluffer. J’ai une cliente que je connaissais, qui est une femme d’un diplomate, très bourgeoise, qui m’a toujours très aimablement reçu... et puis dernièrement je sais qu’elle voulait faire expertiser des bijoux, et elle m’a dit, elle était complètement déstabilisée : vous savez Christian, j’ai honte de vous montrer les bijoux parce que j’ai peur qu’ils soient faux. Et donc ça veut bien dire que là elle n’avait pas enlevé son voile. Elle a peur de la vérité quelque part. Donc vous voyez ce sont quand même des moments forts.

Ce qu’il y a d’intéressant avec les collectionneurs, c’est qu’à leur contact vous apprenez beaucoup de choses, ce que vous n’apprenez pas avec les experts. Parce qu’ils sont monomaniaques, ils vont aller jusqu’au fond de la chose. La chose qui me dérange plus c’est qu’ils ne vont plus penser qu’à ça. Avec l’âge, ça m’effraie un peu parce que c’est toujours un peu comme un manque. Et une fois qu’ils ont comblé le manque, ils s’en foutent finalement de l’objet, ils passent à autre chose. Moi j’ai collectionné en fait, mais je m’amuse maintenant, c’est-à-dire que j’ai du plaisir à acheter des choses qui me plaisent, mais j’ai grand plaisir à les revendre, dans la mesure où ça m’est passé entre les mains, j’ai déjà ce plaisir. Quand j’achète un collier, je l’aime bien, je le porte. Je sais pas, je me sens de porter, des bijoux d’artistes par exemple. Il m’est aussi arrivé de porter une rivière de diamants... Mais je crois qu’on n’est jamais vraiment propriétaire des objets, on est tous de passage, donc on détient à titre temporaire tout ça. Je garde rien, je vis maintenant avec le minimum. Donc quand je rentre chez moi, je me lasse pas de chez moi. J’ai pas de meubles. Des tableaux, j’en ai quelques-uns que je fais tourner. Mais j’aime pas les objets. Pour chez moi non, j’ai pas envie. Je me pose beaucoup de questions à ce propos-là. C’est pour ça que je me suis beaucoup intéressé ces dernières années à la création, à tout ce qui se fait dans le bijou contemporain, plutôt qu’aux choses du passé. Plus je vieillis, plus j’ai envie de me détacher de ce qui est matériel. Je travaille avec la matière, et c’est très pesant en fait, ça pèse beaucoup. Et je me demande toujours à quel moment je dois m’en séparer, j’ai toujours ce doute de me dire c’est bien de vivre sans rien, et à la fois c’est très difficile de se dire je vais plus rien avoir en fait. J’y songe.

C’est quand même un plaisir de pouvoir avoir eu quelque temps des objets et puis poum de les vendre et d’avoir le plaisir de les voir dans des collections ou parfois dans des musées, en me disant finalement j’avais eu le bon œil, je m’étais pas trompé. Parce que quand vous êtes professionnel vous achetez des choses qui sont pas forcément aimées de la masse. Donc en fait on devient un peu élitiste... par exemple vous qui êtes néophyte, vous allez peut-être aimer ou détester, mais vous n’allez pas comprendre pourquoi j’ai acheté cet objet, parce qu’apparemment y a rien de rare. Mais, derrière ça, y a un créateur... Par exemple, je vais pas forcément m’intéresser à des choses évidentes comme des choses endiamantées ou des choses sur or. Mais je vais m’intéresser à des choses plus pauvres par exemple, si ce sont des joailliers extrêmement exclusifs ou révolutionnaires. Ce que j’aime ce sont les bijoux-objets, ce sont des bijoux très forts, souvent des commandes spéciales pour des femmes ou des hommes de caractère... alors ça peut être un bijou XVIIIe, ou un bijou mérovingien. Y a des choses très très émouvantes. Ça peut être un bijou en bronze doré de Line Vautrin qui, avec toute sa poésie, avec tout ce qu’il porte, peut être très excitant pour moi. Bon je suis pas le seul bien sûr, mais ça reste dans un certain sérail. Ce sont des choses très intellectuelles que j’aime dans le bijou. C’est une question de choix aussi. J’aurais pu choisir d’acheter de l’or au kilo, des gourmettes en or... chose attention que je respecte parfaitement. Si on peut trouver de l’intérêt à ça c’est formidable. Mais moi j’ai un œil un peu plus sélectif on va dire. Et c’est ça qui m’amuse, de me distinguer de ce flot d’or qui ne m’amuse pas du tout.

Ça vient de tout un cheminement, je me suis fait un certain œil aux bijoux, et c’est comme ça que je peux vraiment distinguer ce qui m’intéresse. Avec internet, les gens ont l’habitude de tout savoir, de tout connaître tout de suite. C’est pas comme ça dans cette profession. Il faut du temps pour connaître les objets, les prix, les clients. C’est un peu une profession de la préhistoire en quelque sorte, j’ai l’impression d’être un dinosaure. C’est un monde à part, mais je ne me considère pas comme appartenir au sommet de l’Olympe. Et en plus on va chez des clients de tous types sociaux, faut rien négliger. Moi je sais que ma première grande affaire c’était avec une concierge d’Aulnay-sous-bois. C’est pour ça que je suis arrivé à cette démarche d’être dedans sans être non plus dépendant de ça en fait. J’appartiens à aucun milieu, je suis très iconoclaste, j’ai toujours refusé d’appartenir à des clubs. Parce que ça me pompe l’air. Y a des choses un peu plus sérieuses.

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