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Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro 06 (24 avril-7 mai 2010)
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« Si la mort venait me dire il te reste que vingt minutes... Ben j’aurais souhaité la paix... Et j’aurais rappé dix minutes... » C’est fini. Je n’ai jamais parlé avec Diam’s, mais à vrai dire je m’en doutais, Sébastien Catillon ne m’a pas rappelé (en revanche il répond au Monde, sympa), à un moment j’avais caressé l’idée de voir Joey Starr pour lui parler de Diam’s qui l’a plusieurs fois cité comme modèle (« je rencontre mes légendes Joey Starr et Kool Shen »), et puis à quoi bon ? Le voyage, je l’ai fait. Pas seulement chez Catillon ou au concert d’Orléans, le voyage dans cette drôle d’histoire de quelqu’un qui ne veut pas parler aux journalistes et qui me parlerait au motif que les ennemis de mes ennemis sont mes amis ? Je me suis assis, un casque sur les oreilles, et j’ai réécouté le disque, en ne faisant rien d’autre, et j’ai pensé qu’elle avait raison quand elle a dit que toutes les réponses étaient dedans : ça aurait servi à quoi, de la voir ? À rien, sauf bien sûr, peut-être, à devenir pote avec elle. Alors j’ai réécouté le disque en me demandant ça : est-ce que je pourrais être pote avec elle ? Il y a tout son côté gentiment démago, « les plus grandes stars ne sont pas Diam’s et Jamel mais surtout l’abbé Pierre et sœur Emmanuelle », « avec les politiques français, j’ai clairement lâché l’affaire, franchement qu’est-ce qu’ils vont faire pour sécher les larmes de nos mères », mais aussi carrément poujadiste, « l’État qui débloque des milliards mais jamais pour le contribuable », « à gauche à droite ils veulent tous se ressembler ils veulent tous le beurre et l’argent du peuple », censément gauchiste, « qui freinera la dérive de ce pays sadique et capitaliste », « ce pays n’a qu’une seule valeur : le cours de la bourse », clairement réac, « où sont les modèles où sont les repères quand je vois des jeunes insulter leurs mères », « si les hommes se fixaient moins sur le paraître et la carrure peut-être que Minnie serait moins avide d’oseille pour sa parure ». Il y a deux trois moments politiques que je partage, mais c’est une minorité, « ce pays c’est une banlieue qui aimerait qu’on la regarde », « on sucre des postes dans les écoles », je préfère les passages sur la célébrité, « ça me gêne tous ces regards, ces filles en larmes quand elles me croisent », « je ne veux plus qu’on m’observe », « j’aime l’amour qu’on me porte mais pas qu’on me surestime », « on me shoote à loisirs pour ça que je tape des photographes », « moi comme une tache j’ai couru après le commerce et les dollars au point d’avoir au poignet la même Rolex que Nicolas », « ils sont mignons, à les entendre, il faudrait ressembler à tout le monde », et sur le rap, « je fais du rap ne confondez pas avec le slam, chez nous il y a de la rage et du style en plus d’avoir une âme, on n’est pas là pour plaire », « j’suis rappeuse, pas chanteuse, hein, qu’on s’entende bien ; j’suis hargneuse, pas chanceuse, donc je n’vous dois rien ».
Avec ces derniers mots il m’est soudain apparu comme une évidence que, au-delà de la question du voile, dans l’agressivité ou le dédain des journalistes (ces jours-ci encore, parce qu’à la clôture du Printemps de Bourges, le 18 avril, Diam’s a chanté devant une salle à moitié vide), il y avait quelque chose comme de la déception, avec le disque précédent elle était en train de devenir une vraie star de la variété française, avec, en prime, son côté issue-de-l’immigration qui en faisait ce qu’on appelle une « cliente idéale » pour les médias, et puis : crise existentielle, remise en question, et donc ce nouveau disque qui non seulement s’éloigne de la variété, mais surtout qui porte la trace de ses interrogations d’artiste. Alors oui, moi aussi, comme tout le monde au début j’ai été déçu. Mais (avec un peu de recul) : j’ai aimé qu’elle nous balance à la gueule ce qu’elle avait vécu, sans filtre presque, sans recul c’est certain, mais : et alors ? Et alors ? Elle fait ce qu’elle veut, non ?
Et puis il y a ces trois ou quatre chansons qui se relient toutes à la même histoire, au-delà de la dépression, de l’internement, cette histoire avec cet homme marié, cet homme à qui envoyer un S.O.S., au sens littéral du terme, pour se sauver elle, pas lui, « Dieu que ma plume aimerait te blesser si tu m’écoutes dans ta voiture », « que s’éteignent toutes les lumières car depuis toi je suis aveugle », « est-ce que tu penses à moi dans les bras de ta femme, je l’espère », « j’ai tenté de te détester, mais moi la haine je sais pas », « malgré le temps qui passe, l’amour, les hommes qui me chassent, moi dans ma tête y’en a que pour toi », « je veux te toucher, je veux t’atteindre, je veux que coulent sur tes joues ces larmes », « s.o.s., s.o.s., s.o.s., s.o.s. que tu pleures dans le fond tout comme moi », alors l’Afrique, l’humanitaire, le voile, la politique, Peter Pan, la dépression, le Lexomil, de tout ça il ne reste rien, ou plutôt si il reste un bon vieux quelque chose qui s’appelle l’art, qui peut nous faire pleurer un peu, et ça : c’est bon.