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« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
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En situant l’Albanie sur une carte, on s’étonnerait presque de son voisinage avec la Grèce et de sa proximité avec l’Italie. Comparable à la Suisse par son relief montagneux et par la taille de son territoire, l’Albanie est une énigme pour beaucoup d’Occidentaux, une sorte de relique intacte du passé. L’image véhiculée par les média se réduit à développer quelques clichés et imposer l’image d’un pays arriéré et sans perspective. Pourtant, ce petit pays dynamique se révèle surprenant, en pleine mutation sociale et à un moment crucial de son histoire moderne, l’intégration européenne. Située à un croisement important de l’Europe du sud-est, le mélange des cultures et la richesse des coutumes et mœurs témoignent d’un pays cosmopolite qui a su laborieusement, et au prix d’interminables guerres, préserver une identité et une âme de combattant.
De confessions différentes - musulmane, catholique ou orthodoxe - les Albanais ont développé un système social basé sur les liens claniques, l’appartenance familiale et dialectale. La religion n’a jamais constitué un pilier de l’identité albanaise, ce qui est rare dans la région des Balkans. Vasko Pasha, un poète nationaliste du XIXe siècle, déclarait dans un manifeste nationaliste largement repris depuis : « Ne regardez plus les églises et les mosquées, la religion de l’Albanais est l’albanité. » Cette «albanité» est une identité fondée sur le plus solide dénominateur commun des Albanais : leur langue. Les Albanais [1] parlent en effet une langue différente de celle de tous leurs voisins. L’albanais n’est en effet pas une langue slave, même s’elle a emprunté de nombreux mots aux pays proches : d’origine indo-européenne comme la plupart des langues modernes du continent, l’albanais représente à lui seul une langue et une famille de langue. Influencé par le vocabulaire courant du turc, il comprend également une forte souche latine. La notion d’albanité n’a cependant pas concouru comme en France à la consolidation du pouvoir central autour d’une langue émergeante s’identifiant au régime en place. En Albanie, la langue a été un moyen de reconnaissance et de regroupement pour des peuples épars dans d’autres régions balkaniques. Il s’agit moins d’un sentiment nationaliste que d’une nécessité d’identification à une culture, à une terre, voire à la mémoire d’une patrie spirituelle qui n’a jamais réussi à se concrétiser en un État physique. Les communautés albanophones constituent ainsi entre 30 et 35% de la population de la Macédoine voisine ; 10% de la population du Monténégro, sans parler du Kosovo cf. ENCADRÉ ou environ 90% de la population est albanophone.
L’Albanie a fait partie de l’Empire romain, sous lequel se sont développées des villes importantes, telles Dures au bord de l’Adriatique ou Shkodra, à la frontière avec le Monténégro cf. ENCADRÉ.
C’est ensuite l’Empire ottoman qui a modelé l’histoire moderne de l’Albanie pendant cinq siècles. Istanbul, qui était au cœur d’un vaste empire, constituait un pole d’attraction unique pour les immigrants albanais pendant la domination ottomane. Au début du XXe siècle, l’Empire comptait 300 000 Albanais. Entre 1444, date de la chute de la résistance héroïque de Scanderbeg cf. ENCADRÉ et 1912, année de l’indépendance, le pays fut entièrement sous l’emprise de la Porte Sublime et de son système social féodal - même si la domination du territoire albanais ne fut jamais complète : dans les montagnes du Nord, les Alpes Albanaises, des communautés chrétiennes ont survécu à la domination turque et à l’islamisation assidue de la population des plaines.
Plusieurs facteurs historiques expliquent une si longue et fusionnelle relation avec la Turquie. Autrefois chrétienne, l’Albanie s’est retrouvée très tôt isolée dans une terre balkanique de tradition nationaliste. Les peuplades slaves, descendues dans les Balkans entre le Ve et le VIIe siècle, ont toujours visé à annexer le Nord de l’Albanie. Au Sud, une partie du monde grec voulait reconstituer l’empire Byzantin : projet connu sous le nom de Μεγάλη Ιδέα #Megali Idea# la «Grande Idée», réclamant le Sud de l’Albanie. L’alliance avec les Turcs fut ainsi perçue comme une aubaine par les princes et les grandes familles féodales albanaises. À l’instar de la Grèce et la Serbie, l’Albanie fournit de nombreux généraux et officiers aux troupes de l’Empire, et plusieurs Albanais accédèrent au rang de grand vizir du gouvernement ottoman aux XVIIIe et XIXe siècles.
L’Albanie a moins gardé de cette période de domination ottomane une idéologie religieuse qu’un savoir-vivre oriental encore très présent, #un sens de l’accueil et de l’hospitalité#. De nos jours, l’arôme parfumé du café turc et la cuisine méditerranéenne du pays rappellent encore les liens culturels et traditionnels forts que le pays a entretenus avec les Ottomans. Les conquêtes successives de l’Albanie par les puissances voisines ont ainsi contribué à façonner une Albanie multiculturelle, dotée d’une ouverture d’esprit faite d’hospitalité, de sens de la courtoisie teinté de sacrifice. Un des principes du Canun consistait à rappeler à tout Albanais « que sa demeure ne lui appartient pas, mais qu’elle est avant tout destinée à Dieu et aux hôtes de la maison ».
L’APRES SECONDE GUERRE MONDIALE.
Rien ne prédestinait l’Albanie à appartenir au bloc communiste soviétique, si ce n’est l’identification de la politique des dirigeants albanais à celle des Soviets de l’après-guerre. Le pays, transporté d’allégresse par les drapeaux rouges de la Libération en 1945, est dévasté, pillé et en ruine : 20 000 maisons, soit 37% des habitations, ont brûlé, de même que le tiers des vergers et des vignobles ; 50% du cheptel a disparu. Toutes les installations portuaires, les ponts, les rares équipements miniers et industriels ont systématiquement été détruits par les nazis. Face à ce désastreux bilan se dresse la fierté nationale de la résistance des partisans communistes. C’est dans ce contexte qu’émerge le futur dictateur du pays : Enver Hoxha cf. ENCADRÉ, qui dirigera l’Albanie entre 1945 et 1992.
Le régime d’Hoxha souhaitait réaliser l’alliance improbable du nationalisme et du communisme. Pour ce faire, Hoxha s’est employé à défaire le pays de toute réminiscence de l’époque ottomane. L’objectif prioritaire proclamé fut la modernisation du pays. Hoxha voulait tourner l’Albanie vers l’Occident, à l’image de l’action de Mustafa Kemal (Atatürk) dans la Turquie des années 1920. Le régime, profondément athée, voulut changer radicalement la face de l’Albanie.
« L’Oncle Enver » enferma son pays sous une chape de plomb dogmatique sans précèdent dans les pays de l’Est, ajoutant un trait supplémentaire à « l’exception albanaise »[3]. Les historiens ont parfois tendance à superposer le modèle soviétique à la réalité albanaise, comme si l’Albanie de Hoxha avait été une « petite Union soviétique ». Ce n’est pourtant pas là une grille de lecture suffisante ni satisfaisante pour comprendre la particularité albanaise. Il est en effet important de souligner que le pays des Aigles - Albanie en albanais se dit Shqiperi, traduit par fils des Aigles- est un pays substantiellement clanique. Plus qu’un parti communiste dévoué, ce fut le clan de Hoxha et des gens du Sud qui furent les maîtres absolus du pays. Tirana, petit bourg provincial avant l’ascension de Hoxha, devint son fief et par la même occasion la capitale du pays, au détriment de villes plus anciennes et plus riches comme Korca, Shkodra ou Dures.
Hoxha se lia à Moscou à partir de 1948, avant toutes choses pour assurer la survie alimentaire du pays. Comme auparavant avec l’Empire ottoman, l’Albanie chercha un protecteur lointain et puissant pour se protéger des visées péremptoires de Tito, son voisin « mal aimé », qui voulait faire de l’Albanie la 7ème République de sa Fédération.
La rupture de Tito et Staline fut un dénouement inespéré pour Hoxha qui se précipita à dénoncer le révisionnisme yougoslave en 1948, se détourna de Tito et s’engagea dans la soviétisation absolue du pays. Par cette première trahison à Tito, son compagnon de guerre, Hoxha s’assura de la maîtrise totale du pays.
Il préféra un pays plus réduit, renonçant au Kosovo qui faisait parti désormais de la Fédération yougoslave, mais totalement soumis à sa volonté. Plus que la sécurité du pays, il protégea jalousement sa place de souverain absolu. Le même schéma se répéta lorsque Hoxha « menaça » la Russie révisionniste de Khroutchtev en 1962 et se rapprocha parallèlement de la Chine de Mao. Les effets du modèle de la Révolution culturelle chinoise furent dévastateurs en Albanie. Selon une étude du Ministère des Affaires sociales de 1993, 4000 personnes auraient été fusillées sans aucun procès, et 100000 opposants politiques (sur une population de trois millions d’habitants !) auraient été internés dans les camps et les prisons de l’État.
Comme Staline, Hoxha supprima tous
ses rivaux politiques : les plus proches compagnons du dictateur furent
« suicidés » comme Shehu, ou accusés de haute trahison, torturés et
exécutés comme Kadri Hasbiu. Les purges politiques furent inhérentes au système
albanais, paralysant toute contradiction ou animosité entre les clans au
pouvoir.
Hoxha procéda à un nettoyage
préventif continu au sein de la base du Parti communiste. À la veille de chaque
congrès, des dizaines de communistes, malgré leur action pendant la guerre d’indépendance
et leur dévouement à la cause marxiste, succombaient à la terreur.
De fait, Hoxha était conscient que le danger ne provenait pas tant des masses rendues incapables de s’organiser que de ses compagnons de toujours, envieux de son pouvoir absolu. Pour tout rare étranger qui arrivait à Tirana, un barbier coiffeur se tenait prêt à mettre en ordre toute « apparence étrangère ou comportement bourgeois » qui viendrait perturber l’ordre uniforme et préétabli que Hoxha avait instauré sur le pays. La poésie d’un peintre persécuté et emprisonné, Max Velo, illustre plus particulièrement l’état de l’artiste sous un régime particulièrement hostile aux arts et aux intellectuels.
On nous tond les cheveux
chaque fin de mois,
Le crâne rasé, nous ressemblons
à des hommes-enfants,
On tond les moutons chaque
année,
Privés de leur toison, ils
semblent nus,
Avec nos cheveux, c’est un
morceau de vie qui s’en va,
Dans les cheveux blancs qui
abondent
Brille la couleur grise de la
souffrance
C’est ainsi qu’ils veulent nous
voir
Tondus
Ceux qui tondent l’Albanie
comme on tond les moutons[1].
Dans les années 1960, l’Albanie s’autodétruisit. Le régime fit miner églises et mosquées et inscrivit dans la Constitution le caractère athée du pays, fait inédit dans le monde. Profondément anti-religieux, Hoxha déclara la religion « crime contre l’État » en 1967. La société albanaise fut déstructurée. Au lieu de se fortifier dans leur sentiment nationaliste, les Albanais s’entredéchirèrent à force de médisance et de délation. La répression politique contre la religion engendra paradoxalement l’essor d’un monde paranormal qui faisait office de spiritualité. Les mauvais sorts, la magie ou d’autres pratiques paranormales survécurent aux révolutions de Hoxha et s’acharnèrent à défigurer « l’homme nouveau », faisant des Albanais des êtres dignes des contes orientaux. Dès lors, on comprend mieux l’attachement de Kadaré à décrire dans ses récits un pays moyenâgeux, en proie aux mythes et au surnaturel. A travers son œuvre, l’écrivain signifie implicitement que les révolutions de Hoxha n’ont pas atteint leurs objectifs et qu’elles ont aggravé la situation en déstructurant la société sans offrir en contrepartie une donne crédible. L’âme albanaise a survécu aux tourments du régime grâce à une exceptionnelle vitalité de son peuple et d’une capacité singulière d’adaptation.
L’ALBANIE AUJOURD’HUI
Quinze ans après la chute du communisme en 1992, laquelle s’est déroulée sans heurts majeurs, l’Albanie est en pleine effervescence immobilière et se construit tous les jours. Auparavant, le seul bâtiment qu’on distinguait# à Tirana, était un hotel de quinze étages, symbole du pouvoir suprême de Hoxha. Aujourd’hui, les villas et les tours de plus de 20 étages foisonnent dans les abords de Tirana.
La fermeture excessive et la militarisation effrénée du pays dans les années 70, ont engendré la fuite désordonnée de la jeunesse albanaise vers les côtes voisines, italiennes et grecques, dès l’ouverture des frontières. Les fameux boat people qui ont défrayé la chronique internationale en 1992 ont marqué le début d’une immigration longue et stable des Albanais en Europe. L’immigration de la jeunesse albanaise est la première constante palpable lorsqu’on se penche sur la réalité sociale du pays. La Grèce concentre actuellement la plus grande communauté albanaise. Il s’agit pour la plupart de familles regroupées qui se sont bien intégrées dans la vie sociale du pays.
Le travail des Albanais en Grèce fut d’abord d’ordre saisonnier, afin de combler les lacunes en matière de récolte de fruits et agrumes. Ensuite, la Grèce, plus facile à atteindre par voie terrestre, devint la destination de tout jeune désœuvré, diplômé ou pas, qui vit en ce pays la promesse d’une vie meilleure. Le type de travail prévalent dans la communauté albanaise en Grèce demeure le travail manuel et surtout le domaine des services. En Italie, on estime entre 100.000 et 200.000 le nombre des immigrants albanais arrivés depuis 1992. Dans ce pays frontalier, le schéma de typologie de travail est presque identique à celui de la Grèce. La seule différence est que l’Italie ouvre davantage ses universités et ses structures de formation aux jeunes Albanais. Ensuite, le système de Loto, qui consiste à recruter des candidats à l’immigration selon leur formation universitaire et en fonction des besoins du pays recruteur, organisé par les États-Unis et le Canada est une autre source de la fuite des jeunes diplômés vers ces pays qui préparent soigneusement l’accueil des arrivants. C’est ainsi l’immigration qui fait battre le cœur de l’économie albanaise, largement sous perfusion et dépendante des investissements et des aides des immigrants albanais.
Pays principalement agraire, l’économie albanaise n’est pas encore entièrement indistrualisée. Le pays est riche en richesses hydriques et pétrolières mais les structures d’exploitation en place datent de l’époque de l’invasion italienne ou de la collaboration avec les Chinois dans les années 70. tout est à refaire dans le pays et les entreprises étrangères peinent à pénétrer le pays, à cause du manque de législature et de confiance dans les Institutions du pays. L’impact de l’expatriation n’est cependant pas uniquement économique. Le phénomène le plus marquant actuellement en Albanie est qu’une grande partie des immigrants de moins de trente ans rentrent définitivement au pays non seulement avec un capital important, mais aussi avec un style de vie européen. La nostalgie du pays d’expatriation favorise très souvent la poursuite des programmes des chaînes de télévision voisines. Les téléfilms, les concerts et autres événements culturels, italiens notamment, animent la vie culturelle albanaise. Selon les statistiques, 30 % du temps libre des jeunes Albanais serait consacré aux programmes des chaînes télévisées italiennes et grecques. Cet approvisionnement linguistique à travers les mass media est une aubaine pour la jeunesse défavorisée du pays.
Jadis fortement francophone, l’Albanie s’ouvre progressivement aux langues voisines. Le dictateur Hoxha avait toléré l’enseignement du français à l’école très certainement en signe de nostalgie de ses années de jeunesse passées à Montpellier et à Paris et de son attrait jamais dissimulé pour la littérature française. Outre l’italien et le grec, l’allemand occupe une place de plus en plus importante dans les programmes d’enseignement secondaire. Ainsi, la jeunesse albanaise se tourne de plus en plus vers l’Europe. À Tirana, désormais capitale économique et démographique du pays avec plus de 700 000 habitants, les jeunes parlent fréquemment entre trois et cinq langues étrangères - phénomène allant de pair avec la volonté constante de poursuivre des études a l’étranger. Sur le plan politique, la droite du Professeur Sali Berisha a remporté les élections législatives en juillet 2005. Le pays attend beaucoup du nouveau gouvernement qui a promis d’éradiquer la corruption imposante qui a caractérisé le pouvoir de la gauche de Fatos Nano depuis 1997.
Le pari est enfin ouvert pour l’avenir de l’Albanie. Deux choix majeurs s’imposent au gouvernement : soit il tourne le pays vers les Institutions européennes afin de préparer la demande d’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne, démarche que seule l’Albanie n’a pas encore entreprise ; soit Berisha retombe dans les schémas déjà connus de vengeance de parti et d’abus de pouvoir à l’encontre des Socialistes, sortis perdants des élections. L’opinion publique albanaise est bien évidemment concernée par la politique interne, mais dans les mas media on ressent le souci d’intégration européenne comme un cri. Pour la jeunesse albanaise la porte de l’Europe, fermée par le verrou de Schengen, est le symbole d’un avenir sans espoir. Les files d’attente devant les ambassades européennes s’allongent interminablement et sont à elles seules la preuve d’un désir ardent de faire partie de l’Europe, cette Europe qui a peur de voir son vrai visage et de comprendre que les Balkans ont aussi un visage qu’il faut oser regarder.
Les Albanais ressentent qu’ils vivent un moment historique et que l’intégration européenne est une chance unique. L’expectative est énorme à l’égard de l’Union européenne qui a tenu jusque-là un discours plutôt flou. Evoquée depuis des années lors de discussions informelles, l’idée de la création d’une zone commerciale unifiée des Balkans, semblable à la CEE, est devenue il y a peu une proposition officielle de la Commission européenne. La même idée figure également dans le document rédigé par la Commission européenne qui fait office de proposition annexée à l’Agenda de Thessalonique. L’idée de création d’une zone balkanique de libre échange existe depuis 1999. A présent, l’Union européenne demande le remplacement des ces accords par un accord unique. Le document publié le 27 janvier par la Commission européenne rend compte qu’à l’occasion de la réunion de leurs ministres du Commerce en juin 2005 à Sofia, les pays de l’Europe du Sud-Est avaient déjà lancé une discussion sur la possible intégration de ces accords dans un document unique, lequel aurait dû être signé au milieu de cette année et serait entré en vigueur au début de l’année 2007.
Un autre point crucial sur la scène internationale, directement lié à l’Albanie, est le statut du Kosovo. L’issue des pourparlers sur son avenir politique et/ou géographique vont peser sur l’avenir de l’Albanie elle-même.
Trois scénarios sont
possibles :
Première possibilité, le Kosovo
reste partie intégrante de la Fédération yougoslave, et à ce titre acquiert le
statut de région autonome, comme sous le régime de Tito. C’est la solution
privilégiée par l’Union européenne, qui y voit un gage de stabilité pour la
région.
Deuxième scénario possible, sous
la pression des groupes armés indépendantistes de l’UÇK (Armée de Libération du
Kosovo), le Kosovo s’érige en État indépendant : solution quelque peu
improbable, qui supposerait la coexistence frontalière de deux États
albanophones partageant les mêmes symboles historiques et le même drapeau...
Le troisième scénario possible est
celui d’une annexion du Kosovo par l’Albanie. C’est l’éventualité la moins
probable, tant l’opposition serbe est hostile à un tel «rattachement» - de même
que la communauté internationale, qui ne veut pas d’une déstabilisation de la
région... à l’exception des Etats-Unis, enclins à soutenir les indépendantistes
kosovars, afin de maintenir un foyer de crise et d’affaiblir ainsi l’Union
Européenne.
Les journaux d’Albanie évoquent
régulièrement le sujet tout en restant neutres, même si tout le monde sait que
l’issue de la cause kosovare va déterminer l’avenir de toute la région des
Balkans occidentaux. On attend de la part de Berisha, premier ministre de
droite, une attitude neutre, mais rien n’est moins sûr. Nationaliste et proche
des structures kosovares, Berisha risque de remuer le passé territorial de l’Albanie,
dont l’inclusion du Kosovo était une prérogative absolue.
Tout semble concourir à rappeler à l’Albanie qu’avant de se projeter dans le futur, elle doit aborder et affronter les avatars de son histoire mouvementée et le récit des territoires albanophones jamais résolu et fixé dans les Balkans. L’épreuve do Kosovo va démontrer si la modernité va prévaloir sur le passé.
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1. L’Albanais comprend deux grands dialectes : le dialecte du Nord, la Geg, qui est différent de celui du sud, le Tosk, même si les habitants se comprennent relativement bien entre eux.
2. Le Kanun («règle») est un code coutumier remontant au XVe siècle, qu’on ne saurait réduire à la gjakmarrja, littéralement «reprise du sang». Ce code, qui prévoit les procédures civiles, pénales ainsi que les institutions de la communauté, n’a jamais véritablement cessé de fonctionner en parallèle avec d’autres cadres juridiques plus officiels. Ce régime de la personnalité des lois a prévalu jusqu’à la première guerre mondiale. Actuellement, l’application d’un Kanun « ancien » est instrumentalisé et exploité au profit d’un Kanun plus « moderne » qui sert tout simplement à « justifier » les vengeances privées et les règlements de comptes mafieux.
3. J.-M. Champseix
Province albanophone à 90%, le Kosovo a été inséré dans la Fédération Yougoslave en 1918, puis sous de Tito, en 1945. Le lien linguistique de cette province albanophone s’est doublé d’un lien historique pendant la deuxième guerre mondiale, où les partisans de Tito et les partisans albanais ont coopéré dans la lutte armée. Ce lien a presque disparu pendant l’époque communiste sous la tutelle de Hoxha. Historiquement, le Kosovo a fait une seule fois brièvement partie du territoire officiel de l’Albanie, pendant l’invasion italienne de 1939. Pourtant, ne sachant comment identifier la population de cette région, les médias appellent souvent comme « Albanais du Kosovo » les habitants albanophones, se basant uniquement sur la donne linguistique et non pas sur des facteurs historiques ou politiques. Conscients de la connotation partiale de cette appellation qui relie indistinctement le Kosovo de l’Albanie, les médias commencent depuis peu à parler de « Kosovars » albanophones - faisant alors comme si la province était autonome par rapport à la Fédération yougoslave.
Shkodra est une ville emblématique pour l’Albanie. Située au Nord du pays, la ville jouit d’une position géographique très favorable au développement touristique, à côté du plus grand lac des Balkans, à une trentaine de kilomètres de l’Adriatique et près des Alpes albanaises. Fondée au IVe siècle av.J.-C., Shkodra est considérée comme le berceau de la culture albanaise«. À Shkodra on a écrit le premier livre en albanais (1555) ; appliqué pour la première fois l’art de la photographie (1858) ; créé la première fanfare, chanté le premier opéra (Mirka), écrit par un compositeur de Shkodra ; joué le premier match de football en 1905 ; c’est encore à Shkodra qu’a eu lieu la première compétition cycliste en 1920. Parmi les 90 monuments les plus réputés dans la ville, on trouve le Château de Rozafa, le Pont de Mes (XVIIIème siècle), la Mosquée du Plomb (XVIIIème siècle), le Hamman (XVIIIème siècle), la Cathédrale, le Musée de la ville et beaucoup de maisons caractéristiques des XVIIIème et XIXème siècles. Les Scutarins sont des personnes vives, au remarquable sens de l’humour, ouvertes et curieuses, orgueuillleuses et avec un grand sens de l’hospitalité. Cette dernière vertu s’exprime mieux dans le proverbe »La maison est à Dieu et à l’ami«. Le nom de »Shkodra«, pour sa part, vient du latin Scodra, nom de la ville d’Illyrie dont Tite-Live affirme qu’elle fut choisie pour capitale par le Roi Gentius, que les Romains y assiégèrent en 168 av J. C., pour le ramener captif à Rome. La ville aurait été envahie au 7° siècle par les Serbes, auxquels les Vénitiens l’auraient reprise avant de la céder par traité aux Ottomans en 1479.
De son vrai nom Georges Kastriot, Scanderberg (traduction du prénom Georges en turc) était le fils cadet d’une grande famille princière de l’Albanie du Nord, les Kastrioti. Le futur défenseur de l’Albanie fut enlevé par les Ottomans et reçut une formation militaire complète en Turquie, avant de s’évader du pays pour revenir à la tête d’une armée en Albanie pour organiser la résistance albanaise avec l’aide militaire de Rome, Naples, et Venise. Après vingt-cinq ans de lutte, Scanderbeg mourut sans successeur, laissant le pays aux Ottomans. À la chute de la citadelle de Scanderbeg, près d’un quart de la population s’exila en Italie, en Sicile, ou sur la côte dalmate. Les »Arbereshe« d’Italie (du nom »Arberi«, ancien nom de l’Albanie) ont gardé intactes la langue et les coutumes du pays, à cinq siècles d’intervalle. Scanderbeg est aujourd’hui révéré comme le plus grand héros d’Albanie.
Enver Hoxha est né à Gjirokastra, dans le Sud du pays, à la frontière avec la Grèce. Fils d’une famille de propriétaire terriens, il fit ses études secondaires dans les deux établissements français réservés à l’élite, à Gjirokastra et à Korça. En 1936, Hoxha obtint ensuite une bourse pour étudier les sciences naturelles en France, à Montpellier puis à Paris. Ayant raté ses examens, il revint en Albanie en 1939. Soutenu par les communistes yougoslaves de Tito, Hoxha prit alors la tête du parti communiste albanais. Le personnage de Hoxha est assez ambigü. Contrairement aux autres dirigeants des pays de l’Est, il faisait figure d’»intellectuel« dans son pays. Il publia de très nombreux ouvrages, dont un récit mythifié de sa vie. Hoxha entretint avec la grande figure de l’intelligentsia albanaise, l’écrivain Ismaïl Kadare, originaire lui aussi de Gijirokastra, des relations ambiguës - une sorte de concurrence pour obtenir le plus grand prestige au sein de l’Albanie.