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En vers et contre tous

En vers et contre tous

En vers et contre tous
Mis en ligne le mercredi 29 juin 2011.

Publié dans le numéro 005 (Mai 2011)

N.B. Le Tigre publie une nouvelle édition du livre Marketing, disent-ils, de Josée Œil-de-Bœuf.

Vous savez, les vieux poètes. La Fontaine, tout ça. Ceux qui courbaient l’échine en exergue de leurs livres :

Monseigneur, [blablablablabla, deux pages de louanges], comme le dessein que j’ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux Fables, et n’ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c’est, MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respectueux, Votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur De la Fontaine.

La prof de français expliquait que oui mais bon quand même, qu’il leur fallait bien des protecteurs et des mécènes. On trouvait ça un peu ridicule, cette préciosité, cette langue emberlificotée aux adjectifs pompeux s’aplatissant devant les puissants de ce monde, mais que voulez-vous - autres temps, autres mœurs.

Et puis il y eut la Révolution. Les poètes n’étaient plus ni très humbles, ni très obéissants, ni très fidèles serviteurs. Plus besoin de dédicaces aux grands de ce monde.

Et puis il y a eu les années 1980. Jack Lang est entré au gouvernement. Le mot « partenariat » est entré dans le Larousse (1987). Et Jack Lang s’est dit, tiens, c’est le printemps, et si j’inventais le Printemps des Poètes ? Et de fervents défenseurs de la poésie se sont dit, tiens, c’est le printemps, et si le Printemps des Poètes faisait un partenariat avec la RATP, pour que les poètes soient moins maudits ?

La Fontaine, donc, en livre de poche : 2 pages de remerciements, 402 pages de poésie. François Bon, dans le métro : « La neige ce jour-là avait annulé la terre ». 1 ligne de poésie, 4 logos. AIMER LA VILLE / RATP / NOM DE L’ÉDITEUR / PRINTEMPS DES POÈTES / D’INFINIS PAYSAGES (c’est le thème de ce printemps-ci). Auxquels s’ajoutent le nom de l’éditeur et, de temps à autre, un graffiti. Bref : autant de paratexte, dirait Genette, que de texte. Oui mais : c’est pour la bonne cause. Quelle est-elle, cette bonne cause ? Le site du Printemps des Poètes nous répond :

Des partenaires impliqués. Voilà maintenant près de 20 ans que la poésie se décline en vers et pour tous dans les espaces de la RATP, agrémentant ainsi le temps de transport des voyageurs. Ce partenariat naturel avec le Printemps des Poètes s’inscrit dans la continuité de cette action et se traduira notamment cette année par un geste fort. Cette 13e édition sera en effet lancée à la station Auber le lundi 7 mars à 12h15, en présence de personnalités qui liront des poèmes pour le plus grand plaisir de nos voyageurs. Quant à la station Saint-Germain-des-Prés (ligne 4), elle est dédiée à la poésie avec une exposition. [...] »

Ah, la ligne 4 !... Saint-Germain-des-Prés, l’intelligentsia parisienne... Les pauvres éditeurs de chez Gallimard & consorts, rentrant du travail après une journée éreintante à batailler avec des écrivains aux ventes sporadiques, prennent le métro, désireux d’oublier leurs soucis, quand paf ! Michel Butor leur saute à la gorge : typo atroce, rond de lumière d’un goût navrant projetés sur les murs. Le tout plus ou moins illisible. Mais non, suis-je bête ! Les éditeurs germanopratins ne prennent pas le métro. Leur voiture est garée dans le parking. Et là : 

À l’initiative de « Poésie en sous-sol », Vinci Park s’associe au Printemps des Poètes en habillant d’aphorismes poétiques 250 parkings en France. Pour la cinquième année, Vinci Park s’associe au Printemps des Poètes. « La montagne, la mer, un champ de coquelicots... Autant de paysages rêvés, de souvenirs dʼenfance qui embellissent le quotidien... Cette année encore plus de 40 citations littéraires, reprises des centaines de fois, en vers ou en prose sʼinscriront sur les murs des parcs de stationnement. Avec ce partenariat VINCI Park offre à ses visiteurs quelques instants dʼévasion. Un recueil sera disponible à lʼaccueil pour les amoureux de poésie qui le souhaitent. Afin que les mots retentissent VINCI Park diffusera dans les espaces participants à lʼopération des chants dʼoiseaux... Mésanges, moineaux, merles... Déjà un air de printemps chez VINCI Park ! »
Avant, il y avait les poètes underground. Maintenant, il y a les poètes en sous-sol. Avant, les parkings, c’était des endroits sinistres où tourner thrillers et films pornos. Maintenant, une mésange par-ci, un poème par là... Où donc notre poète underground s’en ira-t-il cueillir les fleurs du mal ? Nulle part. Il est poète en sous-sol, poète en prose heureux, et écrit des choses de ce genre :

Laissez-vous transporter par les vers d’Arthur Rimbaud... Frissonnez à l’évocation de l’amour sous la plume de Paul Verlaine... Quand VINCI rime avec poésie, garer sa voiture devient un vrai plaisir ! Effluves délicates, chants d’oiseaux pour saluer le printemps et maintenant «  poésie en sous-sol », en insufflant cette part de rêve, VINCI Park montre une fois de plus sa volonté de provoquer la surprise, de susciter l’émotion... Bref de créer un parking différent, animé, ouvert sur la ville.

« Manifestation française à l’échelle nationale », tout comme la Fête de la Musique, le Printemps des Poètes a germé, on l’a dit, dans le poétique cerveau de Jack Lang. L’idée est devenue réalité en 199. Catherine Trautmann, ministre de la Culture, déclamait à l’époque :

« Mesdames, Messieurs, Chers amis, Je suis heureuse de vous présenter, avec Claude Allègre et Jack Lang, le Printemps des Poètes. J’ai accueilli avec beaucoup d’enthousiasme cette idée venue de Jack Lang, parce que je suis convaincue qu’une grande initiative publique en faveur de la poésie peut fédérer des énergies, [...] La poésie n’est pas n’importe quel texte et qu’elle n’est pas seulement du texte. Son travail porte la langue à un état qu’on appelle souvent d’incandescence pour dire qu’avec elle, le langage devient sensible et renouvelle notre perception du monde. Un sonnet sur une affiche, un haïku sur un kakemono, sont, pour reprendre le titre d’une anthologie patronnée il y a quelques années par la RATP, de puissants moyens de transports collectifs. [...] La poésie est la plus à l’image de ce que nous souhaitons soutenir : une flamme, transmise par des gens sans grands moyens mais riches de passion, une flamme qui court de l’auteur au lecteur et illumine notre langue, nous fait le don d’instants particuliers. » [1]

La référence à la RATP dans ce discours n’est pas anodine. Les quelques poésies logotées (NÉOL. - ligotées par des logos) que l’on peut voir dans le métro ont en effet des antécédents. Deux poètes, Gérard Cartier et Francis Combes, ont en effet plaidé dès 1992 la cause de l’affichage de poésie dans le métro. Ils s’inspiraient eux-mêmes du modèle londonien - Poems on the Underground, instauré en 1986, sur une idée de l’écrivain américain Judith Chernaik. L’opération, censée ne durer que quelques mois, dure quinze ans. De 1993 à 2007, ce ne sont donc pas seulement des phrases, mais des poèmes entiers que l’on a pu lire ici et là dans le métro parisien. Puis, changement de cap :

« Aujourd’hui, sans crier gare, la direction de la RATP semble avoir décidé d’abandonner cette campagne qui faisait partie du paysage urbain et de l’image de marque de cette grande entreprise publique. En effet, pour la première fois depuis quinze ans, aucun affichage n’est programmé. Et les quelques poèmes qui sont actuellement affichés ne doivent pas faire illusion : il s’agit d’un concours [poésie « slam »] organisé avec le Centre National du Livre et cela n’a plus rien à voir avec l’affichage habituel. Cet affichage avait en effet pour caractéristique que la poésie n’était pas enrôlée au service de telle ou telle campagne de pub ou de com’. Et l’esprit de l’opération avait toujours été de donner à lire le choix le plus éclectique possible, parmi les poètes anciens et contemporains, français et étrangers. » « Pour notre part, nous nous sommes toujours refusés à instrumentaliser la poésie ou à la réduire à telle école ou telle forme d’expression. Le slam existe et peut parfois être intéressant... mais comment peut-on penser qu’en dehors de lui, la poésie serait « ringarde » ou « élitiste » ? [2]

Les maigres extraits de poèmes affichés en fond de rame sont donc les restes de l’ancienne volonté d’éducation populaire (que l’on se gardera ici de juger), devenus de la com’ évenementielle — le flou étant volontairement maintenu par la RATP sur son site, pour qu’il semble y avoir continuité entre ces deux démarches :

« Au-delà des grands poètes, Verlaine, Rimbaud, Apollinaire, que la RATP affiche depuis 1992, l’entreprise a également permis aux amoureux de la poésie de participer à plusieurs concours de poésie. Depuis les années 2000, cinq concours ont vu à chaque fois près de 10 000 participants sous la présidence de personnalités des Arts et des lettres comme Yann Queffelec, Pierre Perret, Jacques Weber, -M-, Sapho. Les lauréats ont trouvé leurs poèmes sur les quais, dans les rames et sur notre site web aux côtés de Verlaine, Hugo, Villon et autre Garcia Lorca (sic). Ces dernières années, la RATP a diversifié son action envers la littérature (en créant un concours poésie via SMS en partenariat avec le Centre National du Livre ou encore l’opération Paroles’n’Rock qui se concrétise par l’affichage de paroles de chansons d’artistes internationaux se produisant sur la scène du festival Rock en Seine. »

Et pourtant, doit-on conclure si l’on veut être fair play : ça marche. Pas encore auprès du grand public, faut pas rêver (l’usager du métro, entre Gisele Bündchen à moitié nue en 4x3 pour célébrer le Printemps du H&M et l’âme de la dame à qui Verlaine dit « votre âme est un paysage choisi », il a vite fait son choix - concurrence déloyale). En revanche, là où elle fonctionne, cette instillation subtile de l’essence poétique, c’est auprès de la RATP elle-même. Il y avait déjà eu

Dans le bus, je valibus

un début d’écriture prometteur, heptamètre à rime interne, doublé d’un néologisme digne des plus grands. Depuis décembre 2010, voilà mieux encore : des octosyllabes audacieux, sur un thème contemporain (« La RATP, en collaboration avec la préfecture de police renouvelle sa campagne de prévention contre le vol de smartphones dans les transports en commun ») - cela donne des flyers, qui plus est gratuits et déjà traduits en plusieurs langues (français, anglais, allemand, chinois, japonais) :

Votre téléphone est précieux
il peut faire des envieux

Voyez la rime ! écoutez la diérèse !

NOTES

[1] Discours du 16 février 1999.

[2] Tribune adressée au PDG de la RATP, Pierre Mongin, in Métro, 27 mars 2008 : Cf. Francis Combes, 101 nouveaux poèmes dans le métro, éd. Le Temps des cerises, Pantin, 1999.

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