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« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro 03 (13-26 mars 2010)
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La femme africaine est belle. C’est le titre d’un post dans lequel la blogueuse Cordélia appelle ses lectrices à assumer sans complexes leur africanité. Non au défrisage et aux crèmes éclaircissantes qui dénaturent la femme africaine ! J’apprends de cette façon l’existence d’un débat : pour ou contre le défrisage. L’éloge de l’authenticité façon Cordélia suscite des commentaires enthousiastes, mais aussi des réactions agacées. Se faire défriser les cheveux, est-ce renier son africanité ? Nombre de lectrices invoquent la commodité du défrisage, plus simple à l’entretien que les tresses, et font valoir que l’africanité est d’abord une façon de vivre son identité, défrisage et pose de mèches ou pas. Rencontrée devant la porte du salon Diana Dore, Fabienne tombe des nues. « Il y a des Africaines qui disent qu’il faut ne faut pas faire de mèches ? Ah ben elles le disent sur internet. Parce qu’une fois ici, elles se posent moins de questions. » Depuis onze ans, Fabienne vient chaque mois exprès de Lyon se faire coiffer par Paulette. « Paulette parce qu’elle a la « main verte ». Avec d’autres coiffeuses, au bout d’un mois, quand on enlève les mèches, les cheveux dessous n’ont pas poussé, les nattes qui servaient d’attache se sont même arrachées. Avec Paulette, c’est le contraire, il y a des repousses. C’est ça la main verte. Alors on revient ! » Les mèches demandent un entretien mensuel, bimensuel pour les clientes les plus fortunées : on les enlève, les lave, les teint éventuellement, on refait la ronde de nattes dessous et on les repose. Tout ça si elles sont d’assez bonne qualité... c’est-à-dire, en gros, si ce sont des « brésiliennes ». Définition des brésiliennes : des cheveux naturels, authentiquement humains, capables de durer jusqu’à deux ans. Vrais cheveux de femmes brésiliennes ? Vrais cheveux de femmes tout court, du Brésil ou d’ailleurs, par opposition aux mèches simplement « naturelles », qui malgré leur nom semblent d’une authenticité plus discutable ? Difficile d’y voir clair mais une chose est sûre : les brésiliennes sont le must et se reconnaissent au premier contact, « plus soyeuses, plus souples », malgré un marché des fausses en pleine expansion. Fabienne s’apprête à s’en faire poser et m’apprend leur prix : 200 à 300 euros le paquet ! « Pour te faire un tissage, il te faut deux paquets. C’est cher, mais après tu les gardes longtemps. » Pour les petits budgets, il y a toujours la solution des mèches Tara, 16 euros le paquet, dans les 70 euros pose comprise. Les modes vont, viennent : la coupe Naomi Campbell il y a dix ans, aujourd’hui le carré plongeant à la Rihanna.
J’avais prévu d’interviewer à ce sujet Joyce, coiffeuse d’exception, mais deux tristes nouvelles reçues coup sur coup m’obligent à donner un autre cours à ce feuilleton. Hier déjà, la sortie du métro était étrangement déserte : les rabatteurs, moins nombreux, se contentaient d’interpeller les clientes à distance, du trottoir d’en face. Cela ressemblait au repli stratégique des fois où la police rôde. Très vite, un ami rabatteur m’a mis au courant : « Tu vois pas qu’y a personne près du métro là ? Hier ils ont arrêté tout le monde à cause des plaintes de clientes et d’habitants. C’est fini les rabatteurs maintenant. C’est fini. Ou alors ils ont dit qu’on irait en prison. » Ce n’est pas la première fois que la police et la mairie durcissent le ton à l’approche d’élections, mettant pour quelques semaines un coup d’arrêt à l’effervescence ambiante. Cette fois, pourtant, les rabatteurs semblent craindre un vrai tournant. Ce matin l’activité avait timidement repris, sans que personne se risque à venir ouvertement chasser le client aux abords du métro.
La deuxième nouvelle est plus cruelle encore. Le gérant d’un salon avec qui je m’étais lié d’amitié a reçu la visite inopinée de clients inhabituels, « des Blancs tous les deux », une femme qui a demandé à recevoir un soin de manucure, un homme venu se faire couper les cheveux. Des flics, qui ont fait leurs repérages et sont revenus un quart d’heure après avec des renforts. Je m’étonnais de ne plus trouver cet ami ces derniers jours ; il est resté quarante-huit heures en garde à vue. En attendant sa comparution mi-avril pour emploi de travailleurs sans-papiers - des coiffeuses qui avaient un contrat de travail en bonne et due forme et des papiers, mais pas les leurs, comme c’est souvent le cas dans les salons - il a été condamné à une amende de 26 000 euros, dont la moitié à verser d’ici une semaine. La raison de cette descente de police ? Une dénonciation d’un salon concurrent. « Ça marchait trop bien, les autres sont jaloux. C’est la police qui me l’a dit : Vous avez trop de clients, les autres sont en colère. » Les délateurs ne pensaient pas revoir de sitôt leur confrère. « Bien sûr que je sais qui c’est. Tout le monde sait qui c’est. Quand je suis arrivé, ils ont baissé les yeux, direct. De toute façon eux aussi ça leur tombera dessus. Pas à cause de moi, je fais pas la balance comme eux, moi. Mais de toute façon ça leur arrivera. Pareil. » Je demande s’ils ne vont pas être obligés de l’aider à payer l’amende, maintenant. « Non. Ici, c’est : chacun pour soi, Dieu pour tous. » Je voulais en venir à cet envers plus sombre de Château d’eau : ces deux nouvelles m’y jettent plus tôt que prévu.