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Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro VI (octobre-novembre 2007)
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Il est de bon ton de proposer, dans son journal, un article sur la littérature dite jeunesse à l’occasion du 23e Salon du livre jeunesse de Montreuil (du 28 novembre au 3 décembre 2007). Le Tigre souhaite s’associer à l’événement, et, après de longues discussions en conférence de rédaction, il a été décidé de faire le choix d’un angle original, nous permettant de nous distinguer de la concurrence.
N’en faisons pas trop : le lecteur normalement constitué ayant lu le titre de cet article et regardé les images avant de commencer le texte, nous pouvons entrer dans le vif du sujet : crotte et littérature. Étant entendu une fois pour toutes que les livres pour enfants ont vocation non pas, comme on pourrait le croire naïvement, à offrir à leurs lecteurs une petite part d’imaginaire, mais bel et bien à se substituer à l’éducation et donc à délivrer messages édifiants, leçons de morale et conseils pratiques, il n’en reste pas moins une question centrale : pourquoi une telle fascination pour les fluides corporels ? Sans doute à cause des allitérations en p : « C’est la nuit. Louis se réveille. Vite, il se lève. Il a envie de faire pipi. Mais où est donc passé son petit pot ? » (Pipi de nuit). « Pssssssss... Puis, toute la ville patauge dans le pipi. » (Pipi !) Évidemment, c’est encore mieux quand on s’appelle Poildou : « Vroum, Vroum dit Poildou. Pipi ! Viens sur le petit pot, dit Grigri. [Il le pose sur le petit pot]
Fais pipi, maintenant. Non ! dit Poildou. Attends... dit Grigri. [Qui sort. Poildou jette sa couche.] Va-t-en la couche ! [Il grimpe du petit pot vers le grand.] Oooh ! [Grigri revient avec un lapin en peluche posé dans une tasse.] Regarde, Poildou... Zouzou fait pipi. Fais comme Zouzou. Pipi ! [Poildou fait pipi dans le petit pot.] Bravo, Poildou ! [Grigri vide le petit pot dans le grand.] Parti, pipi ! » Et voilà : vous venez de lire l’intégralité de Grigri et Poildou sur le petit pot, de Claude K. Dubois, qui nous excusera de reproduire ici un livre entier au mépris des règles concernant le droit de citation. Mais maintenant vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas.
Pipi popo, d’accord. Mais ce n’est pas toujours facile : souvent, il ne se passe rien. Ça coince. Ça ne vient pas. Pourtant, Didou aime son pot : dessus, il « aime lire, jouer, rêver », mais pour le reste... « Ça alors, toujours rien ?... Ce sera pour une prochaine fois, Didou ! » Même souci pour Claire : « Mais... tu n’as pas fait pipi, Claire. Maman attend Claire et Nounours. Peut-être que ça marchera cette fois-ci... » (Tu as fini, Claire ?) Je ne sais pas vous, mais moi ça me bloque les sphincters, ce genre de suspense. Allez, ne tournons pas autour du pot : ces livres, ils sont pour les adultes, non ? Qui au bureau ne font plus trop de blagues pipi-caca, et qui se rattrapent le soir grâce à L’École des Loisirs, Seuil Jeunesse et consorts.
Rires gras garantis, devant des enfants apitoyés mais qui n’osent pas se plaindre : après tout, papy Freud a dit qu’ils devaient prendre du plaisir à serrer les fesses très fort, et il ne faut pas faire de peine à papy. Nathan joue d’ailleurs cartes sur table, avec la collection Croque la vie qui, outre Samira a fait pipi dans sa culotte, propose un « livret-parents écrit par Edwige Antier » (notez que ce n’est pas un « livret pour les parents » mais bien un « livret-parents ») :
« Si votre enfant n’a pas acquis la propreté au moment d’entrer à l’école, vous garderez la question confidentielle car l’intégration au groupe a toutes les chances de le rendre propre. Je vous conseille alors la stratégie suivante :
— Ne le menacez pas de le priver d’école parce qu’il n’est pas propre, il n’est pas bon qu’il lie les deux phénomènes.
— Permettez-lui de bien vider ses organes avant de partir en le laissant jouer longuement sur le pot ou même en couche jusqu’au départ
— Laissez-le gérer la situation sans en parler à l’adulte. »
Méchante Edwige Antier : réintroduisant « l’adulte » dans son commentaire, elle nous extrait du monde sublimement régressif des livres pipi-caca pour nous rappeler que nous sommes des parents, et que notre rôle est d’apprendre à notre enfant à gérer le pot sans souci. Mais : on ne sait pas trop comment faire. On va peut-être lui lire un livre.