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Dictature participative

Dictature participative

Dictature participative
Mis en ligne le jeudi 14 juin 2007 ; mis à jour le mercredi 22 août 2007.

Publié dans le numéro III (juin 2007)

« Je me félicite de l’ouverture de ce site internet consacré à la présidence de la République. Le chef de l’État élu au suffrage universel direct est, en vertu de la Constitution, le garant de l’indépendance et de l’unité nationale ; il lui appartient de pratiquer la transparence dans ses activités et de rendre périodiquement compte au peuple qui l’a élu de l’exécution de son mandat. Internet est, à cet égard, un instrument irremplaçable. » Voici les premières lignes d’un texte titré « un nouvel espace de liberté ». Ah, internet, internet ! C’est bien simple : depuis l’invention d’internet, la révolution démocratique est en marche.

 

Comment faisait-on avant l’invention du web ? C’est à se le demander. Nous vivions dans des pseudo-démocraties, où les faibles avaient du mal à se faire entendre... Alors qu’aujourd’hui ! L’entendez-vous gronder, ce contre-pouvoir ? Ce tic tic tic des claviers du monde entier, qui renverse le cours des choses ? « Internet, instrument irremplaçable » : mais au fait, qui s’exprime de la sorte ? Ségolène Royal, qui restera dans l’histoire pour avoir ouvert des débats hautement participatifs où l’on faisait croire aux internautes fred25 et marsupilami qu’ils étaient vrais les instigateurs du programme du Parti socialiste ? Que nenni. Celui qui s’exprime en ces termes sur son site, le 10 avril 2007, c’est... Faure Essozimna Gnassingbé, président de la république du Togo presidence-togo.com.

Laissons-le parler encore de cette merveille de la démocratie : « Les Togolaises et les Togolais ont applaudi à ce nouveau système de communication qui rapproche les citoyens entre eux. Les rouages du pouvoir ne doivent pas rester étrangers à cette grande mutation. Je souhaite que ce nouveau site introduise une relation plus équilibrée entre la présidence et les citoyens. Véhicule de la présidence pour mieux diffuser les trames de son fonctionnement, il doit aussi permettre aux citoyens de mieux faire connaître au président de la République leurs suggestions et leurs revendications, leurs louanges ou leurs critiques. Le temps est révolu de l’information unilatérale. La communication est aujourd’hui à double flux et donc bilatérale ou multilatérale. Je tiendrai le plus grand compte des apports de ce nouvel espace de liberté. » Toujours sur le site présidentiel, « Dialogues et débats ». Le 8 février 2007, ce texte magnifique : « Deux ans à peine après le décès de Gnassingbé Eyadéma le 5 février 2005, beaucoup de tabous ont sauté et de choses ont changé au Togo, dirigé sans partage pendant trente-huit ans par le «Vieux», le surnom du général Eyadéma. Certains signes ne trompent pas. Ainsi le 9 janvier, le colonel Rock Gnassingbé a été battu à la régulière pour la présidence de la fédération nationale de football. L’information serait anecdotique s’il ne s’agissait du demi-frère de l’actuel président Faure Gnassingbé et surtout d’un des fils de feu le général Eyadéma. «En d’autres temps, on aurait eu des magouilles», affirme Edem Amouzouvi, un financier togolais. [...] Il y a même un projet en cours pour rebaptiser des avenues et des places de Lomé au nom de Sylvanus Olympio, le président assassiné le 13 janvier 1963 lors d’un coup d’État auquel avait participé Gnassingbé Eyadéma. »

On rappellera que dès 2002, le président Eyadéma père avait préparé son fils Faure Gnassingbé à sa succession, en modifiant dans la Constitution l’âge d’éligibilité à la présidence de 45 à 35 ans... soit un an de moins que ledit fiston. à sa mort, l’armée a « confié » le pouvoir au fils. Ce coup d’État fut bientôt suivi d’élections présidentielles, en avril 2005. Élections qui ont porté au pouvoir Faure Gnassingbé, grâce à une fraude massive et une répression entachée de sang : faits dont tout le monde s’est scandalisé, sauf la France. Laquelle se range à l’avis de la Cedeao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) pour qui l’élection « répond globalement aux critères et principes universellement admis ». Tout est dans le « globalement » : « nous sommes heureux des conditions globalement satisfaisantes dans lesquelles se sont déroulées les élections malgré un certain nombre d’accidents », avait ainsi dit le regretté président Chirac, qui félicita le président togolais, sous l’œil consterné de l’Union européenne. Comme le rappelle avec sagesse le site de la présidence togolaise : « Les droits de l’homme constituent un idéal à atteindre pour toute société humaine et en la matière, le Togo, en dépit des difficultés auxquelles il se trouve confronté depuis ces dernières années, a fait des avancées notables : point de prisonniers politiques ou de prisonniers d’opinion dans les maisons carcérales. Comme on peut le constater, le Togo a, depuis quarante ans, réalisé d’énormes progrès en matière de droits de l’homme. Cependant, comme toute entreprise humaine, l’instauration de la démocratie est une œuvre de longue haleine. Elle est un processus évolutif et perfectible à tout moment. »

Courage, chères dictatures ! « Globalement », avoir un site internet, c’est un critère universellement admis de démocratie : vous voilà sur le bon chemin. Dorénavant, tout président digne de ce nom consigne ses faits et gestes sur la toile, en toute transparence. Mahmoud Ahmadinejad a un rendez-vous top-secret concernant l’enrichissement de l’uranium à des fins militaires ? Son webmestre l’inscrit dans « Agenda ». Un opposant croupissant dans une cellule de Guantanamo a quelque chose à dire à George W. Bush ? Un petit clic sur « Contact » et l’affaire est réglée. Une révolution démocratique, vraiment.

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