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Barbouillages

Graffitis anti-publicitaires dans l’espace public parisien

Barbouillages

Barbouillages
Mis en ligne le mardi 18 septembre 2007.

Licence: Copyright
Publié dans le numéro III (juin 2007)


Phototographies................. Hugues Léglise-Bataille

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Paris, samedi 28 octobre 2006, 15H00. À la sortie de la station de métro « Quai-de-la-Rapée », une quarantaine de personnes en ordre dispersé est présente sur le parvis qui surplombe la Seine. Le lieu de rendez-vous, d’abord tenu secret, a été diffusé une semaine auparavant sur le site Internet du « Collectif des Déboulonneurs » et communiqué à la presse. Des journalistes sont déjà présents avec leur matériel, caméra au poing, appareil photo autour du cou. Douze militants surgissent, munis d’un escabeau, d’un tabouret et de feuilles en carton. Un attroupement se forme autour d’eux. Certains fabriquent des pancartes en inscrivant sur les feuilles en carton des slogans (« Publicité = violence  », « Non à la pollution visuelle  »), qu’ils brandissent ensuite face à la presse. Trois militants prennent la parole, se relayant du haut du tabouret pour énoncer leurs revendications et des consignes de non-violence. Deux cars de police arrivent sirènes hurlantes et se positionnent à distance du groupe, sur la chaussée. Deux militants spécialement désignés pour ce type de médiation vont à leur rencontre pour expliquer le déroulement de l’action. Au même moment, un élu local du mouvement des Alternatifs, Jean-François Pélissier (adjoint au maire du 13è arrondissement), revêt son écharpe tricolore et prononce à son tour un discours de soutien. 15H40 : les participants, suivis par les cars de police roulant au pas, rejoignent la rive gauche et convergent vers les panneaux publicitaires préalablement choisis, sur le mur d’enceinte de la gare d’Austerlitz. Sept personnes s’emparent alors de bombes de peinture. En moins de trois minutes, les deux panneaux sont recouverts de graffitis : « Violence publicitaire », « Pub = virus mental », « Détrônons les étrons », « Marre de la pub » et un mystérieux « 50 x 70 ». La police s’approche des graffiteurs et procède aux interpellations. Les graffiteurs ont déjà leur pièce d’identité en main et se laissent interpeller, sous les applaudissements des sympathisants. Des chants sont entonnés (« Le barbouilleur », adaptation du « Déserteur » de Boris Vian), puis la dispersion générale est organisée par les militants eux-mêmes.

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Le « Collectif des Déboulonneurs » est un groupe de militants anti-publicitaire créé à Paris en 2005 pour protester contre l’excès d’affichage publicitaire. Ses objectifs déclarés sont d’obtenir une nouvelle loi sur l’affichage inscrite dans le Code de l’environnement, qui limiterait la taille maximale des affiches à celle de l’affichage associatif : 50x70 cm (voilà qui explique la présence de ces deux chiffres parmi les graffitis). Le terme de « déboulonneur » est ici employé dans son sens métaphorique : « Ce collectif se propose de déboulonner la publicité, c’est-à-dire de la faire tomber de son piédestal, de détruire son prestige  » (Manifeste des Déboulonneurs, tract distribué lors du recouvrement des affiches). Actifs dans plusieurs villes de France (Paris, Lille, Lyon, Montpellier, La Rochelle, Le Mans, Rouen, Nîmes et Alès), les « Déboulonneurs » organisent chaque mois ces actions à visage découvert.

Ce type d’action est appelée un « barbouillage ». La formule n’est pas choisie au hasard : « barbouiller », c’est tacher, salir un support avec un produit couvrant, comme la peinture. Pour les militants qui emploient ce terme, il s’agit de maculer publiquement et collectivement un support publicitaire, de s’attaquer physiquement à un type de mobilier urbain jugé insupportable. Mais si le terme de « barbouillage » se réfère aux trois minutes d’acte illégal de l’opération, l’ensemble de la manifestation est finement construite selon des principes d’actions non-violents et une mesure de chaque geste au regard de la loi. Parmi les forces en présence (« barbouilleurs », militants, sympathisants, badauds, journalistes, policiers, élus locaux), la presse et la police sont essentielles dans le déploiement de cette mise en scène.

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Le premier étonnement de l’observateur face à ce type d’action anti-publicitaire est le rapport extrêmement serein entre les graffiteurs, qui commettent une action illégale, et les forces de police. Les « barbouilleurs » agissent au grand jour, sur le mode de la négociation. Pourtant, l’histoire récente du mouvement anti-publicitaire à Paris est marquée de confrontations plus violentes. À l’automne 2003, des actions sont organisées dans le métro parisien de façon massive. Entre 300 et 1000 personnes descendent dans plusieurs stations, pinceaux et bombes de peinture en main, pour recouvrir en quelques minutes les affiches de graffitis, en scandant des slogans contre la police. Ces personnes issues de tous les horizons des protestations sociales du début des années 2000 (intermittents, chômeurs, étudiants, enseignants) renforcent à cette occasion les rangs des militants anti-publicitaires. Les interpellations sont nombreuses et en mars 2004, un procès est organisé contre 62 graffiteurs présumés. 53 assignés sont relaxés faute de preuves suffisantes, 9 sont condamnés à payer de 400 à 2000 euros de dommages et intérêts. Ce verdict porte un coup à l’ensemble des groupes autonomes de graffiteurs anti-publicitaires déjà constitués et actifs dans l’espace public parisien. Des opérations « coup de poing » sont en effet menées depuis la fin des années 1990 par de petites équipes de trois à cinq personnes, au sein du réseau métropolitain et dans la rue. Cet activisme anti-publicitaire correspond à la multiplication de collectifs spécialisés : « La Meute contre la publicité sexiste », fondée en septembre 2000 à l’instigation de l’une des fondatrices du mouvement féministe « Les Chiennes de garde », le « Collectif contre le publisexisme » en automne 2001, issu du réseau libertaire antifasciste « No Pasaran », le « Collectif anti-pub », créé début 2002 par les jeunes écologistes de « Chiche !... ». Dès 2001, deux groupes informels, « Jeudi, c’est publiphobie » et les « NRV » sévissent à leur tour dans les couloirs de la RATP. Quant aux « barbouillages » tels qu’ils sont pratiqués aujourd’hui par le « Collectif des Déboulonneurs », ils ont été initiés par Yvan Gradis, correcteur de métier et auteur depuis 1990 d’un feuillet sporadique, « Le Publiphobe ». Après avoir tenté la voie légale pour faire disparaître la publicité de l’espace public (avec les associations « Résistance à l’Agression Publicitaire », et « Paysages de France »), il choisit celle de l’illégalité. Le 20 janvier 2001, il réalise sa première « action au grand jour » : à Paris, accompagné de cinq camarades, il inscrit des slogans sur cinq affiches apposées au mur d’enceinte de l’hôpital Laennec. Ces actions, répétées les mois suivants, sont suivies de quelques interpellations sans convocation au tribunal.

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Depuis le procès de mars 2004, les groupes informels de graffiteurs anti-publicitaires s’organisent et se judiciarisent. Le « Collectif des déboulonneurs » est créé dans ce contexte. Les procès, au lieu d’être craints, sont désormais préparés par les militants. Les barbouillages, actions spectaculaires, permettent d’inscrire concrètement une lutte de pouvoir dans l’espace physique de la ville. Outre l’aspect cathartique de l’action directe et démonstrative, ils ne sont qu’un prétexte pour engager une confrontation avec le dispositif légal.

Le rapport aux forces de l’ordre, pensé dans le cadre théorique de la « désobéissance civile », concept juridique élaboré par le philosophe Henry David Thoreau, est inscrit dans cette stratégie. L’inscription de slogans à la peinture sur des affiches publicitaires, acte illégal réalisé collectivement et en public permet une inculpation sur un motif précis du Code Pénal (article 322-1 et 322-3 concernant « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain »). Puisque l’action des « barbouilleurs » vise à modifier le Code de l’Environnement pour limiter l’affichage publicitaire, les militants tiennent à ce que chaque acte du « barbouillage », exceptés les graffitis sur les affiches elles-mêmes, soit conforme à la loi. Lors du « barbouillage » du 28 octobre 2006, un tract est distribué à l’assistance, au début du rassemblement :

« On s’oppose à la publicité, pas à la police. (...) Ne pas s’interposer en cas d’intervention de la police, ne pas entonner de slogans contre la police, rester détendu et courtois.  »

Comme le rappelle une militante, ce 28 octobre, au moment de l’arrivée de la police sur les lieux :

« On est pas là pour huer la police, on est pas là pour les empêcher de nous arrêter, on est pas là non plus pour s’en faire des amis, ils font leur travail, on fait notre travail, donc dans tous les cas, pas d’interposition, par de slogans négatifs, à d’autres moments, sur d’autres lieux, ça le fait, pas ici, pas dans le cadre de cette action de non-violence. »

Il s’agit là de se démarquer des actions de l’automne 2003, pour que le seul acte illégal du « barbouillage » reste l’inscription de slogans sur les affiches publicitaires et que l’action collective ne dévie pas vers ce que le Code Pénal appelle une « provocation directe à la rébellion » (article 433-10).

 
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Les « barbouillages », très encadrés pour éviter le moindre débordement, sont construits comme des événements publics. Le relais médiatique de ces actions est donc méticuleusement préparé. Le « Collectif des Déboulonneurs » propose ainsi à ses militants une fiche de conseils pour entrer en contact avec les journalistes, ménager un effet d’attente sur le lieu de l’action et rédiger des communiqués de presse. L’impact visuel du « barbouillage » est donc pensé à destination de la presse et de la télévision.

L’action du 28 octobre est l’exemple d’une pleine réussite de la stratégie de communication des « Déboulonneurs ». La veille, un quotidien gratuit annonce le barbouillage : « Les Déboulonneurs sont de retour » (Métro du 27 octobre 2006). Le lendemain, la presse locale et nationale s’en mêle (Le Parisien, Le Figaro). La convocation devant le Tribunal Correctionnel des sept graffiteurs interpellés, le 12 janvier 2007, provoque un sursaut supplémentaire : Le Parisien, Le Figaro, Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur et la chaîne LCI suivent le procès, qui se solde par une condamnation symbolique à un euro d’amende (le Parquet de Paris a toutefois fait appel). En pleine campagne présidentielle, des responsables politiques (PS, UMP, Verts, PCF, LCR, PRG et CAP21) répondent à leurs invitations, promettant l’ouverture d’un débat sur les nuisances de l’affichage publicitaire...

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Dans cette activité militante que constitue le « barbouillage », l’inscription de slogans à la peinture sur des affiches publicitaires est un moyen de provoquer des réactions en chaîne : au sein de l’appareil judiciaire, dans le monde médiatique, dans les sphères politiques. Sans procès, sans écho dans la presse, sans soutien politique, les graffitis resteraient lettres mortes.

 

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