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Africaine Queen, 1

Africaine Queen, 1

Africaine Queen, 1
Mis en ligne le jeudi 4 mars 2010 ; mis à jour le vendredi 12 février 2010.

Publié dans le numéro 01 (13-26 février 2010)

Comment ça, tu vas pas gagner d’argent avec ton reportage ! Comment ça ! Attends mon frère, je vais te propulser, moi. Parole de Baba, « l’artiste à la tondeuse magique », ivoirien d’origine, installé 57 Boulevard de Strasbourg sous l’enseigne Dallas Afro Beauté, métro Château d’eau, à Paris. Baba Cool « coiffeur de stars », que sa carte de visite montre effectivement bras dessus bras dessous avec des icônes de la scène musicale black auxquelles il vient de tondre la bille, DMX, Passi, Mokobé, Alibi Montana et d’autres que j’ai le malheur de ne pas reconnaître immédiatement. Alibi Montana ! Tu connais pas Alibi Montana  ! s’étrangle-t-il comme je lui fais répéter une troisième fois le nom du rappeur.

Et pourquoi mon feuilleton me ferait-il subitement gagner des millions ? Tout simplement parce que je viens d’avoir l’idée d’y parler de lui. Si tu racontes qui est Baba, laisse tomber mon pote, tu cartonnes. Tu mesures qui est Baba ? Casquette en banane incrustée de strass, combi en polyester moulant, chaîne et bagouzes dignes des clips de R’N B les plus opulents, tondeuse au poing qu’il promène sur le crâne de clients auxquels il sculpte des arabesques à mettre à genoux Cissé, Baba Cool m’a d’abord accueilli d’un regard de travers – le regard auquel je me heurte chaque fois que je pousse la porte d’un salon africain du quartier. Les « Champs-Élysées black », surnom de Château d’eau au sein de la communauté afro-caribéenne, donnent des insomnies à la police et à la mairie qui voudraient bien démêler l’imbroglio de combines plus ou moins licites qu’elles supposent derrière les vitrines bardées de posters défraîchis et de sachets de cheveux naturels ou synthétiques. Flics et indics abondent, tâchant de repérer sans-papiers, employés au noir, chiffres d’affaires truqués, et une méfiance instinctive s’est développée parmi les rabatteurs qui haranguent les clients à la sortie du métro, sorte de contre-police jamais longue à vous interpeller si vous restez trop longtemps planté devant une devanture : Monsieur ? Vous cherchez quelque chose ?

Baba a beau être Baba et coiffer DMX, Passi, Drogba et ses enfants, quand il m’a vu entrer, il a d’abord affiché comme tout le monde un air glacial – et le silence est tombé sur les tables de manucures où les employées chinoises ont regardé leurs pieds. Heureusement tout a basculé : Il paraît que vous coiffez Drogba, ? ai-je demandé, et un grand sourire lui a aussitôt fendu la poire. Il a laissé tomber sa tondeuse, planté le type qu’il coiffait et pêché dans un vieux tiroir une liasse de photos sur lesquelles on le voit tondant l’équipe de foot de Côte d’Ivoire au grand complet, Kalou, Dindane, Koné et compagnie. Quant tu veux je te les présente, mon pote !

Baba coiffe en trois minutes, quatre à tout casser, et si j’en crois la coupure dithyrambique d’un journal d’Abidjan qui, punaisée au mur, vante ses tarifs mirobolants et s’achève sur ce conseil : N’allez pas chez Baba si vous n’êtes pas une star, le jeune assis dans le fauteuil doit trouver raides les interruptions incessantes qu’il s’autorise pour me relancer sur le deal censé nous enrichir : Combien tu donnes alors ? Amène l’argent et je te raconte tout ! Comment ça non ? Tu veux les secrets du grand Baba et tu veux pas payer ?

Je n’ai même pas besoin de marchander, le rabatteur de Baba s’en charge en lâchant des ntchit fatigués. Allez Baba arrête, il a pas d’argent il te dit ! Tu dis ça se vend mais on sait pas, Baba. Dans le milieu des noirs, ça se vend c’est sûr, des milliers. Les noirs ils connaissent Baba, on dit Baba, ils achètent. Mais dans le milieu des blancs ? Peut-être qu’il y a des blancs qui te connaissent pas ?

Baba chambre, frime et se soucie comme d’une guigne du jeune auquel il donne par intervalles un coup de tondeuse nonchalant. Trois minutes plus tard, pourtant, il me faut admettre que cette désinvolture n’était qu’apparente. Tu veux remonter encore ? répond-il au jeune dont la coupe est terminée et qui voudrait qu’on lui dégage davantage le front. Mais non mon frère, mais non. Si tu remontes trop, c’est pas beau, ça te fait remonter le front. Déjà là c’est presque trop. Regarde. Tu veux être pas beau mon frère ? J’examine le visage du jeune homme et je suis bien obligé de constater qu’il a raison : la chute du front, la descente des pattes sont parfaites.

Je veux reprendre mes questions mais Baba s’est éclipsé, happé par un coup de fil. Reviens demain, ce sera plus calme, me glisse son rabatteur. Tu veux le DVD de Baba ? Rentré chez moi je découvre la compil de coupé-décalé produite par Baba, défilé fabuleusement exotique et hilarant de gentlemen africains buvant du champagne au bord d’une piscine, entourés de bimbos en maillot de bain. « Coiffeur de stars », dit le refrain du clip qui montre Baba torse nu devant son salon, dansant au milieu de la foule massée sur le trottoir. « Coiffeur de stars ». Et Baba sourit du volant de son coupé garé devant l’enseigne Dallas Afro Beauté, bague et collier scintillants.



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