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Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro IX (mai-juin 2008)
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Quand j’étais jeune bûcheron, je bossais par tous les temps. Au début, on se lance, quand on a vingt ans, on grimperait au mur. Tout ça quoi. Puis petit à petit, je me suis calmé. Parce qu’effectivement le côté extérieur c’est agréable. Mais quand on reçoit des litres d’eau toute la journée sur la figure, qu’on est trempé... y’a ça, hein ! Ça c’est la pluie, mais il y a le froid. J’ai eu une période en hiver dans le territoire de Belfort où tout le mois de janvier, il y a eu une espèce de bise un peu soutenue, il faisait - 8, - 10 toute la journée quoi. Je commençais assez tard le matin, j’arrivais avec le thermos de café et deux ou trois pains au chocolat. Je bossais et puis à midi un petit casse-croûte mais vraiment un quart d’heure parce qu’on ne pouvait pas s’arrêter plus longtemps quoi. Ou alors il fallait redescendre à la voiture, puis la voiture est froide. Bon il y avait tout ça. Autrement il y a la neige. Bon j’adore la neige quand c’est une petite neige, qu’il n’y en a pas trop épais. C’est joli. Par contre quand c’est de la neige un peu collante, il y en a sur les arbres. On abat un arbre, on prend un paquet de neige sur le casque. Voilà quoi, il n’y a pas que les bons côtés, il y a tout ça. Bon, il y a la pluie, il y a le gel, il y a la neige, le vent. En principe, quand il y a un vent violent on ne travaille pas. Le vent ne m’a pas trop gêné quoique si, il y a la sciure qu’on prend dans les yeux. L’hiver j’aime bien au début quoi. Il fait jour à huit heures le matin et nuit à cinq heures le soir. C’est un jour qui est raccourci. On rentre de bonne heure à la maison, donc ça veut dire soirée en famille, qu’on n’a pas tous les jours en été. Bon décembre c’est chouette, il y a la neige, c’est Noël, tout ça. Janvier, il y a de la neige. OK. Février, les jours ne rallongent pas vite, on a encore de la neige. Février, mars, là on commence a trouver le temps long quoi. À la fin, on en a un peu marre de l’hiver. Mes saisons préférées c’est le printemps et l’automne. Là c’est impeccable. Le printemps, j’aime bien, parce que quand on travaille dehors, on a un peu... Ça infuse un peu cet élan de la nature.Il y a beaucoup de sylviculteurs qui font du bûcheronnage et de bûcherons qui font de la sylviculture. Moi, j’ai pu commencer à travailler comme bûcheron uniquement parce que j’ai appris à me servir d’une tronçonneuse. Sinon, je n’aurai jamais pu. Par contre, sylviculteur à l’ONF, oui, je pouvais. Parce qu’il y a pas... On faisait beaucoup de sylviculture manuelle donc, avec un croissant, dégager des sapins, de l’élagage avec une petite scie, ce n’est pas trop compliqué. Tandis que pour faire vraiment bûcheron, il y a deux cas, il faut soit avoir une formation, parce que moi sortant d’un milieu urbain, je n’avais jamais tenu une tronçonneuse. L’autre solution c’est les jeunes qui sont issus de la campagne, qu’ont été depuis tout gosse avec le père dans le bois faire la portion de bois, qui ont un peu appris sur le tas, et puis après qui ont travaillé dans des entreprises.En formation, on apprend les bases. La tenir, la position pour pas prendre de risque et pour être à l’aise avec. C’est pas évident une tronçonneuse. On a une main gauche sur la poignée au-dessus, la main droite sur la poignée arrière avec l’accélérateur. Bon, il faut être à l’aise avec ça, parce que le bon bûcheron il doit faire corps avec sa machine. Il ne doit pas être comme ça, il ne doit pas en avoir peur, il doit être à l’aise avec. Donc, dans une formation, on apprend les bases, et puis après, sur le terrain on commence à travailler avec les bases qu’on a et puis là on se perfectionne. Et là on apprend vraiment à tenir une tronçonneuse. On parlait du bon bûcheron tout à l’heure : à mon avis, on dit un an et demi, deux ans de pratique. Parce que chaque arbre est un cas particulier. Parce que le plus dangereux, c’est l’abattage des gros arbres quoi. Et bien, il y en a pas un qu’est pareil quoi. Donc il y a toutes les techniques de bases qui vont pour chaque arbre : faire une entaille, laisser les charnières, laisser un sabot derrière si il est trop penché pour pas qu’il éclate, des choses comme ça. Et puis, on les connaît ces choses là. Et puis après, il y a plein de choses qui influencent, c’est le poids des branches, la taille du houppier. Il y a une grosse branche ici, mais le bois est courbe alors ça l’entraîne plutôt par ici... Le bûcheron quand il se trouve devant un arbre en forêt classique avec d’autres arbres autour, la première chose qu’il se demande c’est : où je le mets ? Bon, je ne dois pas abîmer l’arbre que je vais abattre, forcément, il a une valeur commerciale. Je dois pas abîmer le devenir de la forêt, tout ce qui est jeunes plantations, s’il y a des semis à côté. Je ne dois pas frotter les autres arbres parce que ça les écorce, et même s’ils sont gros, ça les abîme. Le morceau de bois que je dois abattre, il doit être placé de telle façon pour que le débardeur, parce que je ne suis pas tout seul je suis au début de la filière, qui passe derrière, puisse le sortir comme il faut. Le plus dur c’est de dire : cet arbre je le mets... Oui, bon un arbre, on a à peu près... on peut l’abattre sur 180°, dès l’instant où il penche un peu. Bon après si on veut le mettre ailleurs, le plus simple c’est les coins pour le relever. Après, c’est le tir-fort et puis le treuil si on veut vraiment le faire venir dans le sens contraire de se chute naturelle. Alors petit à petit, quand on travaille, au début on a les bases, on abat et puis quand on a fait une erreur, on s’en rend compte quoi. Et puis, au bout d’un certain temps, toutes ces erreurs on les a dans la tête et puis quand on se retrouve devant un arbre, on synthétise tous les cas de figures qu’on a déjà vu. Et ça permet de prendre une décision. Parce qu’il y a le problème des arbres qui sont un peu courbes. Ils sont courbes comme ça, avec un gros houppier... Est-ce que le houppier qui va par là et la courbure qui va par là... Bon, déjà il y a l’histoire du centre de gravité, savoir où il se situe. Est-ce que le houppier est suffisamment fort pour tirer le bois par là. Ou est-ce que le poids du houppier se reporte sur la courbure et alors le bois tombera là ? Ca c’est des chose qui ne sont pas évidente, des bois en manivelle... Et ça, il faut de la pratique quoi.Alors, c’était dur au début. On fait beaucoup d’erreurs et puis, on les paye tout de suite. Parce que forcément, j’ai commencé bûcheron salarié à la tache. On n’est pas rémunéré à l’heure de travail. On est rémunéré en fonction de la production. Alors, par exemple on s’y prend mal, on coince la tronçonneuse. Ou alors, par exemple, on a mal estimé le sens de chute de l’arbre, on met les coins, on passe une heure à taper sur les coins pour le relever. C’est très fatiguant et c’est une heure où on ne gagne rien, où on n’est pas payé. Tandis que si il était tombé en 5 min, si on avait bien estimé le sens de chute, tout de suite on commence à le façonner, à faire les stères, on produit. J’en ai vu qui commençaient, en fait, ils assimilaient pas... C’était peut-être d’anciens salariés, je ne sais pas. C’est vrai que quand on est salarié, quand on a un temps mort, s’il est inclus dans la journée de travail, il est rémunéré.Pourquoi, je me suis orienté vers la forêt ? Alors bon, c’est un peu... Le côté travail en extérieur... Oui, oui, oui, c’est ça. C’est le grand air, avoir le ciel au dessus de soi. Quand on regarde devant soi, avoir une vue à quelques kilomètres sans avoir un mur en béton devant soi quoi. C’est un peu ça, le côté extérieur. Au départ oui... Et puis entendre les oiseaux chanter. La nature quoi. C’est une vie qui, dès gamin, me plaisait par rapport à la vie que j’avais en ville quoi. Bon, en ville, j’étais toujours en HLM. On va à l’école on est enfermé. A l’école je regardais par la fenêtre quoi. Bon, puis après, c’est vrai que le côté forêt c’est plaisant, on est bien. C’est pas facile à expliquer. On est bien quoi.