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Bruno Le M., Dominique de V., Jacques C, Nicolas S.

Bruno Le M., Dominique de V., Jacques C, Nicolas S.

Bruno Le M., Dominique de V., Jacques C, Nicolas S.
Mis en ligne le samedi 17 mai 2008 ; mis à jour le vendredi 7 mars 2008.

Publié dans le numéro VIII (mars-avril 2008)

9 janvier 2008. Je suis (de retour). Et je suis avec le libraire de l’Arbre à lettres, rue du Faubourg Saint-Antoine, à Paris, qui ouvre les cartons de l’office Hachette, qui sort des piles de gros livres jaunes, avec en bandeau une photo en noir et blanc de trois hommes, et le titre, Des hommes d’État, et l’auteur, Bruno Le Maire, qui était conseiller puis directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, le libraire l’ouvre au hasard, il tombe page 429, c’est Nicolas Sarkozy qui parle : « La France, c’est pas fini. C’est un thème qui marche bien aussi. Je l’ai vu à Charleville-Mézières, un beau déplacement. Lorsqu’on dit aux gens qui sont là-bas : la fonderie, l’industrie, Charleville-Mézières, c’est pas fini, ils accrochent, je vous garantis qu’ils accrochent, Dominique ! Il y a Rimbaud, aussi. - Rimbaud ? A Charleville- Mézières. Oui, après, évidemment, Dominique, il faut voir si on fait de la poésie ou de la politique », le libraire pose ses piles près de la caisse, il sait que ça va partir rapidement, je quitte la librairie en repensant à comment ces quatre-là ont ouvert le livre, la première fois, quelques semaines auparavant.

Je suis, présent de narration, fin 2007, je suis avec Bruno Le Maire, dans le petit bureau de Grasset où il signe les services de presse qu’il envoie aux journalistes et aux amis, il ouvre le livre, son livre, au hasard, il tombe sur cette phrase, « avec une vie pareille, de sacrifice en sacrifice, on ne sait plus très bien ce qu’on abandonne, ni pourquoi », il n’a toujours pas trouvé la réponse, pourquoi avoir sacrifié sa vie de couple, ses deux enfants, pourquoi avoir continuer encore, être devenu député, Bruno Le Maire se redresse, il reprend son stylo, fait une dédicace pour Jean-Louis Debré qui lui a laissé sa circonscription, il lui reste 341 livres à signer, il a 38 ans.

Je suis, le lendemain, avec Dominique de Villepin quand le coursier sonne à sa porte, il se lève et il dit à sa femme de ménage qu’il y va, il ouvre la porte, prend le colis, ouvre l’enveloppe, cherche la dédicace mais il n’y a pas de dédicace, Bruno Le Maire qui est un homme rigide s’est dit que le contrôle judiciaire interdisant à son ancien patron tout contact avec lui ne devait pas être bafoué, alors Dominique de Villepin s’assied dans son immense canapé gris et il se jette sur le texte, il le lit avec avidité, il n’apprendra rien qu’il ne sache déjà, puisque tous les coups de téléphone c’est lui qui les passe, les réunions c’est lui qui les organise et les bons mots c’est lui qui les prononce, les mots pour la postérité : « Dans le fond, je suis né cinquante ans trop tard. Je n’aurais jamais dû faire ce métier. » Alors il cherche ce que son conseiller écrit à propos de lui, il traque le compliment ou la critique, mais il n’y a presque rien, quelques envolées lyriques, « Dominique de Villepin refuse de rendre les armes », « à force d’obstination, Dominique de Villepin continue de redresser sa cote de popularité », « tard dans la nuit [après son audition par les juges pendant toute la journée] Dominique de Villepin rentre à Matignon, sans trace de fatigue, soulagé », mais Bruno Le Maire ne sait écrire que des gentillesses, sauf peut-être sur Chirac, et encore malgré lui, mais à propos de l’affaire Clearstream, il y a ces mots, « Après cette affaire, aurai-je le courage de poursuivre la politique ? Et comment ? Quelque chose de détruit survivra en moi. », Dominique de Villepin serre les dents, même moi qui suis si près de lui je ne sais pas ce que ça veut dire, il semble en rage mais peut-être s’empêche-t-il de rire, il a 54 ans.

Je suis avec Jacques Chirac, qui a lu le livre avec application, et avec exaspération,

il y apparaît comme un vieux monsieur à côté de la plaque, qui parle de l’ours Cannelle ou qui propose de prêter son chien Sumo pour un déplacement en banlieue, qui montre son vieux téléphone portable avec des grosses touches, qui râle après une journée chargée ou qui interdit de prendre un café pendant les réunions, on dirait un papy à la retraite, de fait il est à la retraite, bien sûr il y a ce projet de fondation, mais il y a surtout les vacances, au soleil, au Japon, Jacques Chirac soupire, « le dos voûté, en blazer bleu marine, chemise blanche ouverte, un jean neuf qu’il remonte très au-dessus de sa ceinture, laissant apparaître un ventre rebondi dissimulé d’ordinaire par la coupe de ses costumes », il a 77 ans.

Je suis avec Nicolas Sarkozy, il repose le livre, il est énervé, il se dit que ce n’est plus supportable, ces conseillers, ces journalistes qui se croient autorisés à tout raconter, à tout balancer, ce Le Maire qu’il aimait plutôt, qu’il a laissé devenir député, qu’il avait même prévu de nommer ministre, et qui ne peut pas s’empêcher de livrer ses notes au public, il se dit qu’il va faire passer une circulaire pour rappeler le devoir des réserves des conseillers, et puis il passe à autre chose, il est déjà passé à autre chose, il a 52 ans.

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