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Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro III (juin 2007)
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« Moi je suis un parcours un peu atypique...
Roger, 68 ans, militant communiste
Moi je suis un parcours un peu atypique, je suis ce qu’on appelle un pied-noir. Bon même si j’étais indirectement colonisé parce que je faisais partie des gens qui étaient entre guillemets des colons, mais on était loin d’être des colons parmi ceux en profitaient de cette colonisation. Nous on subissait la colonisation au même titre que les Algériens. On n’avait pas les mêmes droits que sur le continent même si on était des Français comme on disait du premier collège. Alors pour les ouvriers de souche algérienne l’exploitation était encore plus grande. À l’école c’était pareil, moi j’avais quand même des godasses, eux ils étaient pieds nus ou ils marchaient en espadrilles, alors donc toutes ces injustices font que ça a démarré bien sûr, cette prise de conscience s’est faite déjà en Algérie.
Déjà ma mère elle était quand même scandalisée par les injustices qu’elle dénonçait, même avec sa conception à l’époque qui était une conception chrétienne, la charité quoi. On a été élevé dans cette religion aussi. C’est vrai que pour moi y a pas d’Être Suprême, pour moi c’est pas probable quoi. On était quand même assez libres, on avait la liberté de penser ce qu’on voulait. À l’âge de 15 ans j’ai découvert une autre conception du monde, la conception scientifique du monde, grâce au marxisme hein, là j’ai rompu avec les croyances. Par des contacts, par des gens qui étaient membres du Parti, qui étaient des voisins, des connaissances, des gens de proximité, c’étaient des gens qui agissaient. C’est des gens qui ont sacrifié même leur vie pour la cause de l’indépendance de l’Algérie et pour la cause comme on disait à l’époque du socialisme scientifique. Ma mère... sans être militante, elle était du côté des communistes. Mon père lui c’était contradictoire. Il connaissait beaucoup de communistes, il était ami avec... mais bon, mon père c’était plutôt un fêtard quoi. Il aimait bien la bonne bouffe, il aimait faire la bringue quoi.
Les études c’était pas pour nous, c’était pour les bourgeois. Moi j’ai pas été plus loin que le certificat d’études. J’en ai été frustré jusqu’à... ben jusqu’à aujourd’hui. Mais j’ai pu compenser quand même ben par l’activité et aussi par l’éducation qu’on avait à l’intérieur du Parti. Et le fait que dans ce parti y a toutes sortes de gens, parmi les plus grands intellectuels jusqu’au balayeur, et du fait qu’on a des relations fraternelles et assez étroites parce qu’on milite tous pour le même but, ça crée, bon ben, y a des échanges qui sont profitables à tous. J’ai pu profiter de l’apport de ces camarades qui étaient enseignants, intellectuels, créateurs, qui m’ont quand même beaucoup appris sur leur, comment dirais-je, leur activité. Bon ben un militant c’est un intellectuel collectif, c’est celui qui pense collectivement, et qui en profite de ce collectif. J’ai eu cette chance d’élever mon niveau quoi. Bon, c’est pas pour mon ego que je dis ça mais quand même lorsque je vois des gens de mon âge qui n’ont pas milité, de voir où ils en sont, ça me consterne. Au niveau de la compréhension de la société, au niveau, sans être pédant hein, au niveau culturel. Je dis pas que je fais partie de la culture hein... Mais ben ça m’a permis d’être plus exigeant dans cette évolution entre guillemets, ou sans guillemets hein, par rapport à mes loisirs, par rapport à mon propre épanouissement. Bon mon père... bon, aimait l’opéra, à part l’opéra, il participait à aucune activité culturelle. Par exemple lui il allait au bistrot avec les copains pour déconner, pour faire la fête. Bon ben moi non. Je préfère utiliser cet argent plutôt à acheter des bouquins, à lire, ou à me cultiver. Je lis aussi bien des écrivains de droite que de gauche, il m’arrive de lire du d’Ormesson, j’aime bien oui, il écrit très bien, c’est un bon écrivain, François Mauriac aussi j’aime bien. J’aime beaucoup les essais. Les essayistes ce sont des gens qui créent quoi. Bon ça veut pas dire que je partage leurs opinions, par rapport à mes convictions. Moi j’ai la conception de la culture c’est celle des pillards. Je pille des idées.
Moi personnellement les choses sont pas figées quoi, y a pas de vérité révélée et toutes les vérités sont relatives, et ce qui est valable aujourd’hui n’est plus valable demain. Y a des concepts qui sont dépassés. J’ai refusé de faire l’école qu’y avait d’un an en Union soviétique. Parce que j’avais peur plutôt d’être pas embrigadé, y avait aucun danger parce que j’étais assez conscient de tout ça mais enfin... y avait quand même des divergences.
Mon épouse, on s’est rencontré à l’intérieur du Parti. Y a des militants qui sont avec des femmes qui sont pas communistes, mais... je vois quand même qu’il y a quelques difficultés, même si y a une tolérance hein... Nous, on a la même façon de voir les choses, les mêmes envies, deux fois par semaine on vient tenir la permanence ici. C’est la fusion quoi ! ben je dis pas qu’y a pas de discussions ou de conflits, mais nous on les règle par la discussion, on les règle pas par les rapports de force. Parce que dans l’activité politique, tous les problèmes sont quand même discutés.
J’ai pas d’enfants. C’est un choix, ça a été un choix bon... fallait se consacrer à la révolution ! Un choix, mais pas ferme. Si j’avais eu l’occasion, je l’aurais fait. Mais par contre moi j’ai des enfants de mon épouse qui sont les miens, qui sont comme les miens. Ils partagent pas nos idées... parce qu’ils sont jeunes ! Alors bon, c’est vrai qu’on a de grands problèmes avec cette jeunesse. Le Parti subit une crise comme on dit des vocations. Je le vis mal bien sûr que je le vis mal. Quand je vois que les jeunes se laissent embobiner par l’apparence, par le consumérisme et l’apparence, alors ça me... comment dirais-je, ça me consterne. Ils sont victimes du populisme des people. Nous à notre époque on s’engageait plus quand on était jeune. C’est vrai que quand on s’engage on est désintéressé, plus désintéressé que celui qui ne s’engage pas. Mais c’est pas une forme d’égoïsme, c’est une forme de déception, de démission. Ce que les gens subissent et qu’ils acceptent... De toutes façons, on ne peut pas éternellement subir. À un moment donné faudra bien que ça explose. Croire à la fatalité des choses c’est abdiquer. Moi j’ai l’espoir. Ce qu’on propose, pour moi c’est réalisable.