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« Pour faire un prêtre, mon Dieu... »

« Pour faire un prêtre, mon Dieu... »

« Pour faire un prêtre, mon Dieu... »
Mis en ligne le mercredi 30 janvier 2008 ; mis à jour le jeudi 31 janvier 2008.

Publié dans le numéro VI (octobre-novembre 2007)

Hervé, 48 ans, prêtre

Pour faire un prêtre, mon Dieu que c’est long. J’étais chrétien comme un jeune chrétien qui trouve que c’est bien, c’est la religion de mes parents, comme je suis pas un garçon révolutionnaire, j’ai pas tout envoyé promener. Jésus le Christ, oh bien sûr je pouvais dire beaucoup de choses, j’avais je crois un bon discours, mais comme je peux parler de Vercingétorix ou de Pasteur. Donc à l’époque j’étais étudiant à l’école du génie rural des eaux et forêts et on faisait de temps en temps des exercices pour l’inventaire forestier par stéréoscopie, donc l’avion prend des photos toutes les deux secondes, et on a deux photos et à un moment les choses se mettent en trois dimensions, une évidence quoi. J’ai vécu une expérience analogue en me confessant. Des choses toutes simples hein, j’ai dit ce que j’avais à dire, et au moment même où le prêtre me parlait, mon catéchisme qui était là, au lieu d’être des choses diffuses, dispersées, l’une à côté de l’autre, tout s’est mis comme en profondeur. Voilà, une certitude ressentie. Et donc je peux tout à fait le dater : 18 décembre 1981, voilà, en fin d’après-midi. Je sais le retrouver comme une expérience qui n’est pas passée, comme une expérience d’aujourd’hui.

C’est comme dans une histoire d’amour je pense, même si j’ai jamais été amoureux. On voit les signes de Dieu et petit à petit y a une cohérence qui s’exprime. Et puis après en répondant à ces signes, eh ben en nous y a une plénitude qui advient. De célébrer la messe avec une assemblée, de voir des visages, de connaître des histoires, de les présenter à Dieu, amène vraiment une plénitude de cœur. Alors comment l’expliquer plus ? C’est pas simple. Y a une paix, y a une joie, qui est là. Et puis y a un désir d’aller plus loin, une universalité qui saisit notre cœur. Je pourrais me recroqueviller... Mais non, j’ai quelque chose qui brûle mon cœur, voilà, j’ai envie de le dire, c’est aussi ma joie de pouvoir parler.

Même si la parole invite au silence de la prière... faut bien dire quelque chose pour introduire. Bien sûr, prendre la parole, y a toujours un risque de trahir, de pas se faire comprendre, de parler à côté, parce que... je parle à des personnes, faut trouver quelque chose qui va les nourrir, qui va les bouger, voilà. Moi le dimanche j’ai besoin de voir les visages de mes paroissiens, alors je vais passer les cinq dernières minutes à accueillir tout le monde, et pour moi c’est important. Sinon j’aurais l’impression de célébrer avec une assemblée que je ne connais pas. Et puis sinon y a la préparation en amont, pour l’homélie, je travaille l’Évangile avant, je prie, et puis y a souvent des idées qui viennent. Parfois elles ne viennent pas, eh bien je ne m’inquiète pas, voilà... et puis de fait, quand j’arrive pour faire l’homélie, soit je vois que ce que j’ai préparé correspond, soit il me vient quelque chose... Toujours c’est de l’improvisation, pas obligatoirement sur le fond, mais sur la forme, sûr. Après comme vous voyez, j’ai quand même une capacité à parler, donc ça aide. Et je m’appuie beaucoup moi dans mon homélie sur mon assemblée, j’aime que mon assemblée réagisse, si une assemblée est amorphe, je sais pas bien si ce que je dis touche... je me dis À qui je parle ?

Comme prêtre, il m’arrive de passer beaucoup de temps à confesser. Voilà, les gens viennent, ils disent leurs péchés, c’est d’une monotonie mais absolument extraordinaire ! donc en plus les gens, ils vous font pas un roman en vous racontant tous les petits détails, donc bon... c’est vraiment... y a rien de plus triste dans sa trivialité, enfin. Par contre, le moment où je donne le pardon de Dieu, les regards, c’est chaque fois différent, chaque fois. On touche des moments d’enfance spirituelle, de grande remise de soi. On est saisi quoi, en soi-même. Mais il en est de même dans la communion, je vois aussi si quelqu’un est dedans, ou si j’ai l’impression qu’il fait ça aussi un petit peu par habitude.

Moi en 16 ans je n’ai pas eu cette expérience-là d’une telle sécheresse que de célébrer je le fasse machinalement. La tête ailleurs ça arrive... mais y a quand même un moment où on se dit tiens au fait qu’est-ce que je viens de faire ? et puis on éclate de rire intérieurement et on revient à ce qu’on fait. Des fois où même on squeeze un passage, voilà. Moi j’ai pas eu de cas aussi étonnants que certains confrères - entre prêtres on se raconte quand même des choses marrantes, comme le prêtre qui commence Que le Seigneur soit avec vous et pratiquement aussitôt Que Dieu tout puissant vous bénisse... donc il a fait l’entrée et la sortie à la fois ! Donc évidemment tout le monde a éclaté de rire. Je crois qu’on peut être tout à fait sérieux dans la célébration et en même temps ne pas se prendre au sérieux. C’est-à-dire qu’on peut se tromper dignement.

Prier, c’est savoir s’arrêter, mais c’est pas simple. De fait, dans la vie familiale, le conjoint il est de chair et de sang, alors a priori il s’impose à vous. Dans la relation à Dieu, Dieu ne s’exprime pas d’abord par la sensibilité, donc je vais devoir quand même utiliser ma sensibilité pour me rendre présent à celui qui est là discrètement, mystérieusement. Donc en utilisant ben mon regard, mes mains - je prends dans ma main mon crucifix, et moi ça m’aide : qu’est-ce que j’ai dans ma main ? Utiliser la voix, pour que mon oreille aussi entende, et que ma bouche aussi murmure, voilà ça aide. Toute la posture, avec mon corps, parce qu’on prie avec son corps. Bon et puis rassembler qui je suis, ne pas faire le vide mais m’unifier. Ça ça peut prendre du temps, les moments où on est bousculé dans la vie.

Être en présence de Dieu... Y a des moments où c’est un temps de grande richesse... sensible. Et y a des moments où on ne ressent strictement rien. Il se peut que je passe une heure de prière en ayant l’impression que ça a duré cinq minutes. Et puis d’autres fois où l’heure il a fallu vraiment que je me décide de rester. Parfois il faut trouver d’autres solutions pour tenir. Le jour où j’arrive pas à prier je peux au moins me réciter la parole de Dieu. Je peux espérer qu’y ait un mot qui reste. Je découvre que ça a du goût. Mais si je découvre rien, quelle importance ? Bon ben c’est comme ça, c’est lié aux limites de l’homme. Il peut arriver que je m’endorme... Dieu sourit, voilà, Dieu sourit.

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