Mis en ligne le mardi 5 décembre 2006 ; mis à jour le mardi 4 mars 2008.
Opposition entre gens des villes qui rêvent de nature sauvage et gens des champs qui se font manger
leurs moutons, entre décisions de l’État et réalités locales... Un ours ou un loup, ça fait joli sur une brochure touristique. Mais réintroduire une espèce sauvage est une décision plus grave et complexe qu’il
n’y paraît. Le Tigre a mis son museau dans les Pyrénées et dans les Alpes, au pays des animaux sauvages.
Des ruches dévastées, des mouflons décimés, des oursons baptisés, un agneau égorgé, la France endeuillée par la mort de l’ours Cannelle, des brebis égorgées... l’actualité du loup et de l’ours est riche en petits rebondissements quotidiens qui font la joie des dernières parties de JT. Depuis la réapparition du loup dans les Alpes et la décision de réintroduire l’ours dans les Pyrénées dans les années 1990, le débat fait rage — et transcende tous les clivages politiques. Les « défenseurs de la nature » reprochent aux opposants des loups et des ours une peur ancestrale et irrationnelle de ces animaux. Les opposants à la réintroduction, eux, considèrent qu’il s’agit d’une vision fantasmée de la nature, inconsciente des réalités de terrain et teintée de mépris pour le monde rural. La France n’est pas la seule à être touchée par ces questions. Un même débat sur le « concept ours brun » [1] a lieu en Suisse, où le plantigrade est réapparu, se promenant dans le Parc national des Grisons et dévorant au passage plusieurs animaux d’élevage. Outre cette opposition entre villes et campagnes, le loup et l’ours ravivent plusieurs points douloureux : la crise du pastoralisme, le désarroi des éleveurs de montagne, et surtout la gestion du problème par l’État... qui de fait, a été et reste souvent un peu chaotique.
Le retour du loup
C’est le 5 novembre 1992, dans le vallon de Mollières, au cœur du Parc du Mercantour, que deux loups étaient revus pour la première fois en France depuis les années 1930. Depuis, les loups ont étendu leur territoire à huit départements, suscitant une crise dans tout le massif alpin. En 2002, l’Assemblée nationale créait une commission d’enquête sur le loup — malgré « les sourires et les critiques qui ont pu accompagner cette initiative, alors que d’autres questions pouvaient paraître plus cruciales » [
2].
Lorsque le loup fait sa réapparition en 1992, il a donc disparu du pays depuis plus d’un demi-siècle — une disparition due à l’humanisation du territoire, via l’élevage et la déforestation, mais surtout à une politique délibérée d’éradication : la destruction méthodique, entre 1872 et 1890, avec usage de poison, avait porté un coup fatal à l’espèce. Au début du XIXe siècle, il y avait 5000 loups en France ; ils ne sont plus que 1000 vers 1890. En 1930, seuls subsistent une ou deux dizaines d’« individus aux mœurs discrètes » [
3] .
Lâchers clandestins
Une première controverse s’installe en 1992 : s’agit-il d’un retour naturel, ou bien le loup a-t-il été réintroduit ? Et si oui, comment — puisqu’il n’y a eu aucune décision officielle sur la question ? Après son enquête, la commission de l’Assemblée nationale penche pour une « non contradiction entre les deux thèses » : les loups arrivés en France seraient bien venus d’Italie, mais parallèlement, il serait « probable » que des lâchers clandestins de loups aient eu lieu — lâchers qui pourraient être « le fait de particuliers passionnés de la nature et particulièrement irresponsables » [
4].
La rumeur de lâchers clandestins de loups commence au début des années 1980. La réintroduction d’espèces sauvages a alors le vent en poupe. Lorsque le lynx est officiellement réintroduit en 1983 dans les Vosges, des photos (lynx exotique, animal bagué, etc...) [
5] prouvent une réintroduction parallèle illégale. Une enquête réalisée en 1990 par la Direction de la nature et des paysages (DNP) évoque quant à elle des lâchers clandestins de loups, sans pourtant s’en émouvoir — ce qui fait bondir la commission d’enquête :
« Il est pour le moins surprenant que le ministère de l’Environnement ait officiellement recensé des lâchers clandestins de loups (et d’autres espèces), opérations par définition illégales, sans s’inquiéter outre mesure des auteurs et des conditions de ces pratiques illégales. Peut-être faut-il y voir un signe de l’anormale proximité entre la toute jeune administration de l’Environnement et les milieux associatifs écologistes dont elle est en partie issue. » [
6] Voilà qui est dit.
De fait, les amis du loup semblent bien organisés. Personne n’en parle, mais « on sait » que des lâchers clandestins ont lieu. Lorsqu’un loup est tué dans les Hautes-Alpes en 1992, le directeur de la DNP explique ainsi : «
Un fugueur peut-être, mais il existe aujourd’hui une catégorie de nostalgiques qui font de la provocation et lâchent clandestinement des animaux sauvages. » [
7] Un défenseur du loup semble également bien informé [
8] :
« Ça et là en Europe, des loups captifs auraient déjà été discrètement relâchés, dans quelques sites tenus secrets... Ces tentatives marginales suffiront-elles à rendre à Canis Lupis la place qui était la sienne ? » Et un autre :
« Ceux qui rêvent de la réintroduction du loup en France risquent fort de ne pas être entendus. [...]
Alors, faudra-t-il réintroduire les loups subrepticement ? En réalité quelques tentatives ont déjà eu lieu en France, à ma connaissance du moins, elles n’ont pas connu le succès » [
9]. L’ensemble de ces faits ne prouve pas que le couple de loups du Mercantour provienne d’un lâcher clandestin. Mais elles témoignent tacitement d’une réalité : le lâcher de prédateurs, par les milieux écologistes, dans les années 1980,
« et qui a conduit avec certitude à lâcher des ours et des lynx » [
10]... Ce dont le ministère de l’Environnement se garde bien de parler. En 1996, dans un document sur le loup [
11], il soutient finalement la seule thèse du retour naturel — n’évoquant pas même hypothétiquement les lâchers clandestins.
Le loup : une fausse surprise
Deux loups sont donc aperçus pour la première fois dans les Alpes en novembre 1992. Or, la réapparition du loup en France n’est rendue publique que six mois plus tard par voie de presse (un article dans Terre Sauvage d’avril 1993) — un laps de temps
« officiellement utilisé pour s’assurer qu’il s’agissait bien de loups et non de chiens divagants. » [
12] Pourtant, l’arrivée du loup dans le Parc du Mercantour n’est alors une surprise ni pour le parc national, ni pour la Direction de la nature et des paysages. La DNP indiquait dès 1991 que
« les populations de loup italiennes se développaient suffisamment pour pénétrer dans les prochaines années en France » [
13]. D’où le joli titre de paragraphe du rapport de la commission l’Assemblée nationale :
« La thèse officielle : la surprise ; la réalité : le loup était attendu » [
14].
Selon certains, le ministère de l’Environnement n’aurait pas voulu ébruiter cette nouvelle, car le loup n’était alors pas inscrit sur la liste des espèces protégées. Au niveau international, le loup est protégé par la Convention de Berne (1979). Mais la mise en œuvre effective de cette convention dans le droit communautaire date de la directive dite « Habitats » sur la conservation de la faune sauvage. Or cette directive n’était pas encore entrée en vigueur lors de la réapparition du loup, en 1992.
« L’État n’aurait eu aucun recours juridique contre l’élimination d’un loup par un particulier. Ceci explique très certainement le secret gardé autour de la réapparition du loup jusqu’à la publication de l’arrêté » [
15] .
La conclusion du rapport est sans appel :
« On peut très clairement parler de chape de plomb sur ce dossier, tant de la part de la DNP que du Parc. Encore plus scandaleux est le fait que la ministre de l’époque, Mme Ségolène Royal, n’ait pas même été mise au courant de cet événement majeur, selon les propos qu’elle a elle-même tenus devant la commission ! Où sont la démocratie et le bon fonctionnement de l’État quand une décision d’une telle importance, qui a profondément bouleversé la vie de plusieurs départements français, est le fait d’une petite technostructure qui ne rend de comptes à personne ? [...] Du jour au lendemain, on a dit aux éleveurs : Le loup est là, il faut vous adapter ! Il n’est pas étonnant que la majorité des éleveurs ait cru à un complot écologiste les mettant devant le fait accompli » [
16]. Ce refus de transparence a ainsi installé une méfiance durable des éleveurs vis-à-vis de l’État.
Le rapport de l’Assemblée comporte un chapitre intitulé « Le loup, jusqu’où ? » qui s’ouvre ainsi :
« Il n’est fait état nulle part d’une réflexion au sein du ministère de l’Environnement sur l’extension future probable du loup sur le territoire national. » [
17] De fait, alors même que le loup espagnol devrait arriver dans les Pyrénées françaises, chacun des différents gouvernements semble un peu naviguer à vue, tout en étant globalement favorable à la réintroduction d’espèces sauvages :
« La commission a constaté que le sentiment, partagé par les éleveurs et les élus locaux, selon lequel les gouvernements ont jusqu’à présent organisé la paralysie de l’action publique, est justifié. Or, on a le sentiment, notamment chez les éleveurs que le loup n’est pas négociable et que la priorité politique consiste à favoriser son développement tout en essayant de limiter les dégâts qui en résultent. » [
18] La convention de Berne est pourtant claire : elle prévoit (art. 11-2A)
« l’obligation de consulter les populations concernées en procédant à une étude d’impact en cas d’introduction de nouvelles espèces animales ». La protection de ces espèces sauvages n’est donc pas censée se faire en « oubliant » de recueillir l’avis des populations locales.
L’ours du Béarn, un modèle ?
Dans le dossier Ours, les mêmes problématiques ont cours. Autrefois présent sur l’ensemble du massif pyrénéen, l’ours brun a petit à petit disparu des Pyrénées. La seule population autochtone d’ours est située dans le Béarn. Ces ours ont été, au début des années 1990, à l’origine d’une très grave crise dont le règlement a abouti à la mise en place d’un outil original de gestion du patrimoine naturel par les populations locales. Après la mise en place du « plan Ours » en 1984 et face à la baisse continue de la population d’ours bruns des Pyrénées, le ministre de l’Écologie, Brice Lalonde, prend en 1990 un arrêté délimitant des réserves à ours. Ces « réserves Lalonde » vont déclencher
« une véritable guerre civile dans le Haut-Béarn » [
19].
Pour sortir de la crise, le nouveau ministre de l’Environnement, Michel Barnier, décide d’abroger les réserves Lalonde, contre l’avis de son administration, et prend le parti de confier aux Béarnais la tâche de rédiger une charte de protection de l’ours, signée en 1994. Cette charte confie le pouvoir de décision à un syndicat mixte, composé de communes, du conseil général et du conseil régional d’Aquitaine, et qui ne peut être décisionnaire qu’à condition d’avoir recueilli l’avis formel d’une grande assemblée.
L’Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB) a ainsi mis sur pied une assemblée constituée de trois collèges : celui des élus, celui des « personnalités qualifiées » (administrations publiques, représentants du Parc national, du conseil général, du conseil régional, scientifiques du centre ovin), et le collège des valléens. Ce dernier comprend des bergers, des chasseurs, des associations de protection de la nature, des exploitants forestiers, des représentants des chambres consulaires — autant dire ceux à qui on n’accorde d’ordinaire pas la parole. Le résultat s’est avéré positif :
« Plusieurs actions ont été menées en faveur de l’ours : plantation d’arbres fruitiers, complément de nourriture naturelle fournie avant l’hiver, réglementation de l’accès aux estives, mise en place de systèmes de protection des troupeaux pour limiter, si ce n’est éviter, les conflits avec les bergers ».
Les premiers ours slovènes
À la suite du lobbying d’associations écologistes et de l’accord de quatre communes de Haute-Garonne, des ours slovènes sont introduits en 1996 et 1997 pour renflouer la population d’ours des Pyrénées. C’est dans le cadre de la charte signée en 1993 entre le ministère de l’Environnement et l’Adet (Association de développement économique et touristique) regroupant quatre communes de la vallée de la Garonne (Melles, Fos, Boutx, Arlos), que le lâcher de trois ours slovènes adultes est effectué à partir de 1996. Or, en dehors de l’Adet et de l’association Artus, à l’origine du projet, les consultations ont été réduites — alors même qu’il était évident que les ours relâchés se déplaceraient, et ne se cantonneraient donc pas aux territoires des communes ayant accepté la présence du prédateur. Quatre communes ont ainsi imposé à l’ensemble du massif pyrénéen la présence d’ours : un
« déni de démocratie » [
20] ?
Le bilan de cette réintroduction serait, selon le rapport de l’Assemblée,
« globalement très négatif. Certes, biologiquement, les ours slovènes se sont plutôt bien acclimatés [...] Mais politiquement et sociologiquement, l’échec est patent. » [
21] À la question de savoir si elle relâcherait aujourd’hui des ours en Pyrénées centrales, Mme Lepage, ministre de l’Environnement en 1996 a répondu à la commission :
« Non, je pense que je ne le referais pas, sauf à encourager ceux qui, localement, auraient envie de le faire. Je pense que cela doit être géré au niveau de la région et du département et non pas imposé par l’État. » [
22]
Les propos de la ministre ont été oubliés : Nelly Olin, ministre de l’Écologie, a tranché en faveur de la réintroduction d’ours avant le début de l’été 2006, au nom de la survie de l’espèce — d’un point de vue biologique, la population actuelle d’ours des Pyrénées n’était pas viable (une quinzaine d’individus avec une forte consanguinité). Ce plan « Ours 2006 » a été largement amendé par rapport à celui de son prédécesseur au ministère, Serge Lepeltier — lequel prévoyait d’importer trois fois plus de plantigrades. Actuellement, ce sont cinq ours slovènes, quatre femelles et un mâle, qui doivent être expédiés dans les Pyrénées françaises. La première ourse réintroduite en France s’appellera Palouma (« colombe » en occitan) : nom choisi entre autres pour sa
« signification pacifique » [
23]... Mais déjà l’opposition entre les pro-ours et les anti-ours est tout aussi vive qu’au premier jour.
L’ours, le loup, la mouche, le chien errant
Ours ou loups, les principales victimes de la présence du prédateur sont toujours les éleveurs : brebis, agneaux, poulains, ruches, etc. L’État a mis en place un système d’indemnisation — mais... celui-ci ne prend en compte que
« les animaux disparus et consommés dont on ne retrouve pas les carcasses » et pas
« les effets indirects de la présence de l’ours, c’est-à-dire excitation et agitation des animaux entraînant la perte physique d’animaux effrayés par l’ours par accident, constat de mortalité ou pas. »2 Argument de mauvaise foi ?
L’ours ne serait responsable que d’1% des brebis mortes chaque année. Le froid et les chiens errants causeraient plus de dégâts que l’ours — et les pertes dues à l’ours sont, elles, indemnisées...
« C’est un animal qui provoque relativement peu de dégâts », affirme François Arcangeli, maire de la commune d’Arbas, où le premier des ours capturés en Slovénie sera relâché... avant de décocher un coup de patte au loup :
« Le loup peut décimer tout un troupeau, ce n’est pas le cas de l’ours. Sans oublier que la mouche qui pond dans les plaies des bêtes blessées reste le plus grand prédateur du mouton » [
24]. L’avis commun est tout à fait contraire : l’ours serait bien moins sympathique, car beaucoup plus dangereux, que le loup. En Suisse, le canton du Valais rejette la classification des ours en diverses catégories allant de
« l’ours sans problème à l’ours à risques, ce dernier étant le seul à pouvoir être abattu » [
25]. Sous-entendu : tous les ours sont dangereux.
Un chroniqueur du Monde rit jaune :
« On le voit, mais filmé au sortir de son hibernation, il y a un an, se déplacer de droite de gauche, un peu lourdaud. Rien ne laisse supposer que cet animal court très vite et très longtemps, grimpe jusqu’à la cime des arbres pour y poursuivre qui s’y réfugierait. [...]
Et pourtant, certains défendent la réintroduction de l’ours. Les mêmes défendent le loup qui, lui, au moins, ne présente aucun danger pour l’homme. [...]
Le loup vit près de l’homme en Amérique, en Italie, en Espagne, en Suisse, en se tenant à bonne distance. Il s’en approche même quand il se sent en confiance, sans jamais attaquer. Pas l’ours qui est un tueur. » [
26] De fait, il est certain que le danger du loup pour l’homme est quasi-nul. Ses attaques sont rarissimes. Avant le XXe siècle en Europe, c’étaient surtout les enfants gardant les troupeaux qui étaient des cibles potentielles des loups. Laurent Garde, chercheur au Cerpam (Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditérannée) apporte une nuance :
« On fait comme si le loup était un animal de haute montagne restant dans les alpages. On en fait une grosse marmotte qui, de temps en temps, mangerait une brebis. [...]
Il ne s’agit pas ici de « crier au loup », ni de créer un sentiment de panique mais bien de faire preuve de lucidité. » [
27] Mais au cours des cinquante dernières années, on n’a recensé que trois attaques directes contre des enfants en Espagne, et une dizaine en Russie, dont la moitié étaient le fait de loups enragés. On peut donc affirmer que comparé à d’autres carnassiers (dingo, ours, tigre...), le loup est moins dangereux.
Le 1er avril, deux cents personnes manifestaient, répondant à l’appel de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine Ariège-Pyrénées (Aspap), sur le thème : « Un ours en liberté, des vies en danger ». La manifestation (qui avait lieu à Arbas, 247 habitants, l’une des quatre communes volontaires pour accueillir les cinq ours) a rapidement dégénéré : casse, jets de bouteilles, tags — point culminant des incidents, la statue de bois représentant un ours a été brûlée. Le maire François Arcangeli, a démissionné du PS,
« scandalisé que des élus socialistes aient participé à ces exactions » [
28].
Un ours ou 3 ronds-points ?
« Soyons écologiquement incorrect. On préfère, pour le coup, la brebis, un animal peu attachant, tant il est difficile de communiquer avec lui — c’est très con une brebis —, à l’ours, car l’on sait que demain, ce sera un habitant du coin, ou un promeneur en vacances, qui sera tué ou blessé gravement. » [
29] François Arcangeli rétorque : «
À en croire les opposants, les ours slovènes vont s’installer dans nos jardins, dévorer les enfants se rendant à l’école et les randonneurs. En Slovénie, avec 600 ours vivant dan un pays de 2000 km⊃ [30] ; [la chaîne pyrénéenne fait 55000 km²], on ne dénombre que quelques collisions avec des véhicules, comme avec les cervidés chez nous » [
31]. Manque de chance ? À quelques jours d’intervalle, un bélier et un agneau sont retrouvés morts à Aston (Ariège), tués par un ours (« vraisemblablement Boutxy », selon l’équipe technique Ours de l’Office national de la chasse) dans un parc en bordure de forêt, à quelques dizaines de mètres du village...
La solution de bon sens consiste déjà à prendre des mesures préventives. Un berger affirme ainsi :
« Aujourd’hui, on lâche sur les estives d’énormes troupeaux de 2000 à 3000 brebis sans le moindre berger. C’est comme si on ouvrait la porte du frigo en grand sous le nez de l’ours » [
32]. Les patous (chiens de bergers) et les bergers font chuter les taux de pertes dus à l’ours — et, gain supplémentaire, aux chiens errants. Or l’État finance ces emplois et ces chiens.
En outre, l’ours (comme le loup) représente bien sûr une manne touristique indéniable : on imagine déjà les peluches, cartes postales, porte-clefs à l’effigie du noble animal remplir les poches des commerçants locaux.
« Les ours ne vont pas manger les touristes, ils vont les faire venir » [
33], résume un éleveur pro-plantigrade. Quant au coût de l’ours pour la collectivité, il est estimé à 2 millions d’euros (les ours eux-mêmes étant gratuits : cadeau de la Slovénie...), soit
« l’équivalent de trois ronds-points sur une nationale » [
34], dixit Alain Reynes, de l’association Pays de l’ours-Adet. Et les sondages d’opinion ne disent-ils pas les Français très largement favorables à la réintroduction d’animaux sauvages ? Mais là encore, tout est question de distance : spontanément, n’importe qui dira préférer voir un ours que trois ronds-points. À dix centimètres d’un ours en pleine forêt, les sondés répondraient peut-être autre chose.
NOTES[1] <1> « L'ours brun fait débat en Suisse », AP, 14 avril 2006.
[2] <2> Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur « la présence du loup en France et l’exercice du pastoralisme dans les zones de montagne », sous la direction de Christian Estrosi, 2002-2003. Rapport disponible sur www.assemblee-nationale.fr
[3] <2>
[4] <3> Pour lâcher des loups, encore faut-il en détenir... Environ 500 loups en France en captivité, détenus à trois titres : parcs zoologiques, dresseurs animaliers, et une dizaine d’« éleveurs à titre privé ».
[5] <2>
[6] <2>
[7] <4> Gilbert Simon, directeur de la DNP, Libération, 29 décembre 1992.
[8] <5> Jacques Baillon, Nos derniers loups, les loups autrefois en Orléanais, Association des Naturalistes Orléanais, 503 p., Orléans, 1991.
[9] <6> Gérard Ménatory, La vie des loups, Stock, 1993.
[10] <2>
[11] <2>
[12] <2>
[13] <2>
[14] <2>
[15] <2>
[16] <2>
[17] <2>
[18] <2>
[19] <2>
[20] <2>
[21] <2>
[22] <2>
[23] <7> « La première ourse slovène relâchée en France s’appellera Palouma », AP, 20 avril 2006.
[24] <8> Sud-Ouest, 16 avril 2006.
[25] <1>
[26] <9> Alain Lompech, « L’ours, l’agneau, le loup et l’homme », Le Monde (12 avril 2006).
[27] <2>
[28] <8>
[29] <9>
[30] <2>
[31] <8>
[32] <8>
[33] <8>
[34] <8>
Des loups, des moutons & des mouflons
Le loup est le deuxième plus grand prédateur en Europe, après l’ours brun. Le loup n’est pas une espèce en voie de disparition en Europe : le continent abriterait une population de 10 à 20000 individus (huit sous-espèces de Canis lupus), notamment en Europe orientale. En Europe occidentale, c’est la Grèce, la Finlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie qui ont le plus de loups. Par le biais d’une recolonisation naturelle, de petites populations de loups sont réapparues en Allemagne, en Norvège, en Suède et en Suisse. En France, le loup serait aujourd’hui présent dans huit départements de l’arc alpin, de façon certaine. Sa réapparition dans les Pyrénées via l’Espagne est très probable.
Doté de grandes capacités d’adaptation, le loup a un régime alimentaire diversifié et « opportuniste ». Parmi les espèces sauvages, le loup chasse généralement les animaux jeunes ou malades, participant ainsi à la sélection naturelle. Dans le Parc du Mercantour, l’étude de l’impact du loup sur les proies sauvages a conduit à la constatation suivante : le mouflon est particulièrement touché par le loup. L’explication ? C’est un mouflon corse qui manque de « vigilance » (terme scientifique décrivant le comportement de défense anti-prédateurs), comme le rappelle Benoît Lequette (service scientifique du Parc du Mercantour) : « Le mouflon est originaire de Corse et a été introduit dans les Alpes. [...] Il s’avère qu’en milieu alpin, cet animal a du mal à vivre. Il est très sensible au froid et, quand il neige, nous constatons des mortalités catastrophiques. Nous avons constaté qu’en présence de loup, ces animaux étaient capturés fréquemment. Nous avons remarqué que les mouflons peuvent rester vingt minutes la tête dans l’herbe à brouter sans regarder autour d’eux. Il est donc bien plus facile à un loup de s’en approcher et de les capturer que cela ne l’est dans le cas du chamois qui, lui, relève la tête régulièrement pour surveiller les alentours ». En dépit de l’arrivée du loup, la population des autres ongulés sauvages est restée stable dans les Alpes. Quant à la population lupine présente en France, elle est difficile à chiffrer, car certaines meutes sont transfrontalières (France, Italie, Suisse), et que le loup est un animal qui sait se faire très discret. C’est l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui est en charge du suivi du loup.
Tache d’huile ou de guépard ?
Dans la population animale des vertébrés, il existe deux modèles principaux d’expansion de territoire par une espèce donnée. Le premier, celui du chamois ou du lynx, est dit en « tache d’huile » : l’expansion suit un mouvement progressif et lent. Le deuxième modèle, typique du loup, est dit en « tache de guépard » : la population s’étend en colonisant de nouvelles régions, même éloignées les unes des autres.
En Italie, depuis 1976, le loup a recolonisé progressivement la chaîne des Appenins. Il est donc envisageable que les loups arrivés dans les Alpes- Maritimes soient des animaux italiens. Le problème, c’est qu’aucun signe de présence du loup n’a encore été été retrouvé à l’ouest de Gênes, dans des zones caractérisées par des forêts très giboyeuses abritant de nombreux sangliers dodus : « Il est très difficile d’expliquer le trou entre Gênes et le Mercantour, c’est-à-dire l’absence de loups dans une longue bande de territoire située entre l’arrière-pays de Gênes et le Mercantour, suffisamment adaptée aux loups et riche de gros gibier. »(Professeur Silvio Spano (de l’Institut de zoologie de l’université de Gênes) dans une lettre du 21 octobre 1996 adressée à la Chambre d’agriculture des Alpes-Maritimes.) Les tenants de la thèse italienne rétorquent qu’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence, et que le loup sait être discret. Tout comme il sait traverser les autoroutes — comme l’a prouvé une étude du gouvernement espagnol sur la question.
En 1996, pour faire taire les rumeurs de réintroduction illégale, le ministère de l’Environnement demande des analyses génétiques du loup réapparu. Le Laboratoire d’écologie alpine à Grenoble, grâce à « l’utilisation de poils et de matières fécales comme source d’ADN », conclut à la thèse naturelle : les loups français viendraient d’Italie — puisque les loups captifs en France sont de souche polonaise, nord-américaine ou mongole. Mais, « malgré ces compétences, la commission a constaté lors de ses auditions et de ses déplacements un scepticisme récurrent quant à la neutralité du laboratoire en charge de ces analyses. Afin de dissiper ces soupçons et que la confiance soit rétablie, il serait bienvenu, comme cela a été plusieurs fois suggéré, que des tests en aveugle soient pratiqués »[2].