Dans l’arrière-boutique des ship managers
Dans l’arrière-boutique des anthropologues
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« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro V (septembre 2007)
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Dans le bistrot de mes parents donc y avait le gars qui venait pour les commandes de vin... Les fournisseurs qui venaient déconner, enfin qui venaient travailler avec mon père pour les commandes, et puis après qui racontaient des blagues, enfin qui étaient au courant de tout... donc on voyait du monde tout le temps... et puis la clientèle surtout, les habitués, bon c’est ça qui me plaisait, c’était une vie pas du tout ennuyante quoi. Et ce qui m’a intéressé aussi c’était euh... le côté valorisant... immédiat, la caisse à la fin de la journée quoi.
Bon on va dire qu’on a un petit don au départ, mais bon ça se travaille, c’est comme les peintres les acteurs ils le disent hein, y a un don mais après c’est du travail hein, faut pas rêver. C’est dix ans d’expérience avant de pouvoir prétendre à quelque chose, et si on a envie d’arrêter cinq fois c’est normal. Comme on commence jeune, y a les copains les copines, ben voilà c’est la vie en général. Y a une passion quelque part mais après c’est que du travail. Donc y en a qui commencent de bonne heure mais qu’ont pas ce don-là, et donc ça marchera jamais, y aura pas cette petite étincelle qui fait que... qui fait la différence à la fin. C’est l’étincelle voilà, le déclic... qui est perçu par la clientèle. C’est un peu comme sur un tableau... bon j’exagère un peu en faisant le parallèle avec le tableau parce que je pense pas qu’on est des Van Gogh ou des... bon y en a, mais la cuisine ça reste quand même simple. Bon moi j’aime quand ça reste à sa place, c’est-à-dire que c’est d’abord de l’alimentaire, le but principal c’est quand même de nourrir, pas d’être exposé dans une salle, puis c’est bien comme ça. Ça correspond à... mon idéal de la cuisine. Chacun a sa perception après, certains veulent peut-être chercher, voilà... ça va être des pétales de rose... Moi je reste assez traditionnel, je suis pas un inventeur moi, ça m’intéresse pas trop. Y a tellement de trucs à faire avec ce qu’on a. Qu’inventer on a une chance sur deux de se planter déjà. Et puis moi j’ai pas le temps.
La cuisine moléculaire, c’est des compositions d’assiette qui passent par des pratiques chimistes, voilà, c’est plus des pratiques de laboratoire. Mais c’est pas... c’est pas bon quoi. Ce serait comme un écrivain moderne qu’on comprend pas grand chose en fait. Ça peut être intéressant parce que c’est une découverte, ça m’amuse et je trouve que les mecs ils sont intelligents, qu’ils sont forts... Mais les mecs qui ont tout compris, c’est ceux qui font un peu de délire, mais en mettant à manger quand même, à côté. Y en a un paquet qui ont commencé à faire de la cuisine comme ça... la mousse partout... c’est ridicule. Si on mange que du delirium... Maintenant on donne à manger aux gens et on arrête de farcir les petits pois. Vaut mieux s’attacher maintenant à un producteur qui vous fasse des bons petits pois bien travaillés, et qu’on les mette avec une bonne poitrine fumée, qu’un bon paysan a bien élevé son cochon et a bien fait fumer par le charcutier sa poitrine et voilà. Moi je mange rarement assis en fait, j’ai pas le temps. Si je m’assois je me lève, donc je reste debout ça va plus vite. Hier soir j’ai eu faim je me suis mangé un super jambon cru, avec deux tranches de pain, du bon pain, je me suis fait un sandwich. Un bon sandwich, c’est de la cuisine. Quand on a un bon produit, on le prend, on le cuit... bien, ça c’est notre travail, on fait le jus avec la viande parce que comme elle est super bonne, elle a des sucs et tout ça, on met un peu d’eau dedans, on met dans l’assiette. Y a pas à saler, dessaler, voilà, mariner, aromatiser, y a pas besoin.
Après les petites étincelles qu’on doit avoir c’est de pas se tromper sur des associations. C’est instinctif, ouais. J’ai pas le temps d’essayer, et puis ça m’amuse pas, de s’asseoir, de goûter et d’en parler. Donc quand on change une recette c’est comme ça, tac, tac. Souvent je fonctionne comme ça avec les producteurs, je leur dis bon ben il me faut ça ça ça, et si y a pas, tu me mets autre chose... et donc en fait c’est surprise un petit peu, ça arrive le matin et puis faut faire quelque chose avec. Ça doit être naturel. Donc à partir du moment où on s’assoit et on commence à décortiquer déjà c’est prise de tête... quelqu’un va être en face et va me dire le contraire, donc on va jamais se mettre d’accord, parce que si celui qui est en face aime pas le foie gras et que je fais un truc au foie gras, euh... il va dire oui mais si c’était une pomme à la place du foie gras, ce serait mieux. Donc voilà on s’en sort pas. Ça me déstabilise complètement. Donc... Tiens on va commander 500 grammes de noisettes et puis en fait ils en ont livré 2 kilos. Voilà donc, ah ben tiens on a une volaille, tiens je savais pas on avait une pintade, ben tiens on fait une pintade panée à la noisette. Une pintade je connais parfaitement, la noisette je connais parfaitement, je sais que si on pane légèrement sans farine pour pas... ou alors très très légèrement pour faire du croustillant, qu’on met la noisette concassée sur la peau de la pintade ou la chair directement, qu’on poêle au beurre noisette demi-sel, qui est un peu... gorgé d’eau, qui va cuire tout doucement et euh... nourrir la pintade, qui a besoin de ça parce que c’est que de la chair et c’est sec si c’est trop cuit donc voilà. Donc on connaît la cuisson, on connaît les ingrédients qu’il faut mettre, et la noisette par expérience je sais très bien que ça va avec la pintade, c’est... ça marche bien ensemble, j’ai pas besoin de m’asseoir pour goûter.
On pense la cuisine, le cuisinier il va faire la cuisine, mais restaurateur c’est autre chose. Donc l’étincelle moi ça va être plus quand tout le monde a la banane, quand tout le monde est en accord parfait, et que les gens en salle sentent cette coordination, et là y a l’étincelle, et en fait ça se ressent dans la cuisine. Si on dissocie les plats du reste, on est peut-être chef dans un endroit, mais je crois pas que les gens dans l’assiette... Les gens souvent me disent Ah on se rend compte quand on mange qu’y a un truc... parce que c’est tout qui marche, ça je pense pas, j’en suis sûr. Un très très bon cuisinier peut très bien avoir du mal à travailler, des cas y en a hein. La cuisine c’est dans la tête, c’est la tête qui fait qu’on aime ou qu’on n’aime pas.