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« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Publié dans le
numéro 30 (mars-avril 2009)
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Cette énigme sera nettement plus facile à lire au format PDF du magazine.
La solution se trouve au bas de la page.
Pour la petite équipe de la base antarctique Amista, l’hiver polaire a duré quelques semaines de trop. Le huis-clos a tourné au drame lorsqu’un des scientifiques de l’équipe franco-italienne a trouvé la mort, dans ce qui semblait être un accident. L’enquête montre qu’il s’agit d’un sabotage. Un des membres de l’équipe a planifié ce crime, mais lequel ? Pour le découvrir, vous devrez procéder par élimination.
La base Amista
Construite en 2006 par la France et l’Italie. Située au cœur du contient Antarctique, à 71° de latitude sud et 141° de longitude, elle est à 341 kilomètres de la station italienne Concordia. Cette petite base est prévue pour 25 personnes en été et 12 en hiver. En 2008, une première équipe scientifique y affronte l’hiver austral : pour des raisons budgétaires, seules sept personnes y séjournent au lieu des 12 prévues.
La bas est constituée de deux bâtiments principaux, reliés par une coursive abritée. Le bâtiment 1 contient les chambres, le laboratoire, la salle informatique, la salle radio et les sanitaires. Le bâtiment 2, le réfectoire, la salle de détente, les cuisines et le garage / atelier.
La tragédie du 8 septembre
Le 8 septembre à 11h, Le Bellec, commandant officiel de la station, part à bord d’une des chenillettes de la base afin d’aller apporter des échantillons de glace à la base Concordia.
Mais il n’arrive jamais . Le lendemain, une expédition de secours part à sa rencontre depuis la base italienne. Il est retrouvé gelé dans son véhicule en panne, à mi-chemin entre les deux bases.
Un examen de la chenillette montre qu’elle a été sabotée.
L’équipe d’hivernage
Quatre français et trois italiens constituaient l’équipe d’hivernage d’Amista
Équipe scientifique
Thierry Le Bellec, 42 ans : Glaciologue, responsable de la mission
Le Bellec était détesté par une partie du personnel de la base. Il n’avait pas su gérer l’équipe, et ses démélés sentimentaux avec les deux femmes n’avaient rien arrangé.
De plus, les reproches sur ses compétences de leader devenaient de plus en plus nombreuses, notamment de la part de Paolo Marini, qui alla jusqu’à lui contester ouvertement le droit de diriger la base. A partir du mois de juillet, le personnel de la base était divisé en deux groupes : celui des fidèles à Le Bellec : Giubilaro, Stella et Lecointre, et celui des rebelles, avec Balicewicz, Marini et Keller. Les deux groupes ne se parlaient pratiquement plus et ne prenaient pas leurs repas ensemble.
Gianfranco Giubilaro, 33 ans : Glaciologue
Giubilaro était en bons termes avec Le Bellec. Le décès de ce dernier lui bénéficie cependant dans la mesure où il restera seul auteur des travaux réalisés conjointement, et notamment d’une nouvelle méthode de datation des carottes de glace qui pourrait faire l’objet d’un brevet très lucratif.
« Le déplacement de
Le Bellec jusqu’à Concordia était prévu depuis
trois semaines, nous avions besoin de leur spectroscope pour vérifier
des résultats sur certains échantillons de glace.
Le dimanche, nous avons passé
une partie de l’après midi au labo, à trier les
échantillons qu’il devait emporter. Le lendemain, je l’ai vu
vers 10h30, alors qu’il venait prendre les échantillons au
labo. Je l’ai accompagné au garage au moment de son départ.
Je n’ai rien remarqué d’anormal sur le coup, mais je me
souviens avoir senti une odeur d’essence. »
Isabella Stella, 29 ans : Astronome
Stella était la maîtresse de Le Bellec depuis mi mars. Après avoir été délaissé par Anne Keller, le chef de la base avait jeté son dévolu sur cette scientifique plutôt réservée, peut-être dans l’espoir de faire revenir son ancienne compagne. Il traitait avec condescendance la jeune femme, et depuis fin août, celle-ci se disputait fréquemment avec lui.
« Samedi midi, au réfectoire, je m’étais encore disputé avec Thierry, qui m’avait insultée devant les autres. Sans l’intervention de Fabrice, je crois que je l’aurais frappé. Mais on s’était réconciliés dimanche soir : quand je suis allée dîner au réfectoire, après avoir travaillé sur un rapport en salle informatique, il était en train de regarder le bulletin météo affiché au mur et il m’a annoncé son départ le lendemain, il s’est excusé pour son attitude. Lundi, je suis venue lui dire au revoir alors qu’il préparait la chenillette dans le garage, vers 10h45. »
Stanislas Balicewicz, 31 ans : Physique de l’Atmosphère, responsable météo
Balicewicz était en froid avec Le Bellec depuis avril, date à laquelle il est devenu l’amant d’Anne Keller, ex-compagne de Le Bellec. L’attitude de harcèlement de Le Bellec vis à vis de Keller avait poussé les deux hommes à en venir aux mains à plusieurs reprises.
« Dimanche vers 18h, j’ai
sorti les stats météo et les prévisions pour le
lendemain. J’annonçais un risque élevé de vents
violents et une forte chute de température pour le lundi 8 en
début d’après-midi. Je suis allé punaiser ces
résultats vers 18h30, comme tous les jours, sur le tableau
d’affichage du réfectoire. C’est la procédure standard.
Normalement, avec une telle météo, Le Bellec aurait dû
remettre son départ.
Lundi, en allant afficher le bulletin
du jour à la même heure, je me suis aperçu que
quelqu’un avait remplacé mes prévisions par une autre
feuille qui annonçait du beau temps. C’était une copie
d’un bulletin d’il y a trois semaines, copié/collé sur
mon document. N’importe qui sachant se servir d’un ordinateur a pu
faire cette manip après que j’aie mis en page mes
prévisions. »
Équipe
technique
Paolo Marini, 45 ans : Responsable technique
Le plus expérimenté des membres de l’équipe, il en est à se cinquième mission antarctique. Il est vite entré en conflit avec Le Bellec, estimant que celui-ci ne respectait pas assez les règles de sécurité. Leur dispute professionnelle a dégénéré, et Marini a pratiquement cessé de coopérer. Il était persuadé que si Le Bellec ne réduisait pas la consommation d’’énergie et d’eau utilisée pour les appareils scientifiques, leur survie serait mise en danger avant la fin de la mission (décembre).
« La veille de son départ, après avoir relevé mes mails, j’ai vérifié sa chenillette, tout était Ok. Le dimanche, je suis passé au garage dix minutes après son départ, et je me souviens avoir vu quelques gouttes d’essence par terre, mais je n’ai pas réalisé que c’était son réservoir qui fuyait ! »
Fabrice Lecointre, 26 ans : Médecin
Lecointre était resté « fidèle » à Le Bellec mais continuait à avoir des rapports avec les autres membres de l’équipe, par obligation professionnelle. C’est surtout pour rester proche d’Isabella Stella, dont il était amoureux, qu’il était dans le « clan » Le Bellec.
« J’avais examiné Le Bellec le dimanche soir après le dîner, il était en forme. Je lui ai rappelé que la procédure de sécurité voulait qu’il ne parte pas seul, mais il m’a dit qu’il préférait ne pas laisser la station en de mauvaises mains. »
Anne Keller, 32 ans : Informatique
Ancienne compagne de Le Bellec, elle l’a quitté après deux mois dans la base. Il n’a pas supporté cette séparation et la harcelait sans cesse, alternant humiliations devant les autres membres de l’équipe et scènes violentes.
« Je m’efforçais de croiser le Bellec le moins souvent possible, ce qui n’est pas facile dans cette base. Je ne l’ai pas vu de tout le dimanche, et le lundi je l’ai juste croisé alors que j’allais au garage, vers 9h15. Il venait de mettre des provisions dans la chenillette, et il rentrait au labo. Je suis restée pour réparer un appareil que je suis ensuite retournée installer en salle informatique. »
La chenillette empruntée par Le Bellec
Le réservoir a été troué. Il s’est vidé assez rapidement pendant le voyage, ce qui a provoqué une panne sèche. Une batterie défectueuse a été montée sur la radio.
Ces deux opérations sont à la portée de n’importe quel membre de l’équipe. Elles ne prennent pas plus de dix minutes.
Témoignage de Marcello Borghese, responsable de la station Italienne Concordia
« Il était prévu que Le Bellec nous apporte des échantillons de glace pour des analyses spectroscopiques, le 8 septembre. Mais le 8 vers 11h30, j’ai reçu un appel radio d’Amista. L’homme que j’ai eu au bout du fil a dit être Le Bellec, il m’a expliqué en italien qu’il décalait le voyage d’une semaine en raison de la météo, ce qui ne m’a pas surpris vu le vent qui commençait à souffler. C’est pourquoi nous n’avons pas donné l’alerte en ne voyant pas arriver Le Bellec dans l’après-midi, ce qui aurait permis de lui porter secours à temps. »
Enregistrement des cameras de sécurité
Les caméras ne filment pas toute la base, seulement les zones avec du matériel sensible : le laboratoire et la salle informatique.
Laboratoire
Dimanche
17h20-19h40 Thierry Le Bellec
17h17-17h40 Gianfranco Giubilaro
Lundi matin
8h20-10h58 Gianfranco Giubilaro
10h23-10h50 Thierry Le Bellec
Salle informatique
L’enregistrement ne permet pas de voir l’écran des ordinateurs, ni l’imprimante, située dans une petite salle latérale.
Tous les ordinateurs de la station sont regroupés dans cette pièce, sauf le portable d’Anne Keller qui peut se connecter au réseau par WiFi de n’importe où. Cet ordinateur est protégé par un système d ’identification du visage et elle seule peut l’utiliser.
Dimanche
11h02-11h40 Paolo Marini
13h21-14h47 Thierry Le Bellec
16h09-16h20 Anne Keller
16h12-17h40 Gianfranco Giubilaro
17h07-18h15 Stanislas Balicewicz
18h09-18h37 Gianfranco Giubilaro
17h45-19h52 Isabella Stella
18h25-19h07 Fabrice Lecointre
20h40-21h12 Paolo Marini
21h47-00h20 Fabrice Lecointre
Lundi matin
9h12-9h45 Isabella Stella
9h32-10h10 Anne Keller
10h40-12h02 Stanislas Balicewicz
Le coupable a effectué trois actions pour mettre en œuvre son projet criminel :
1- Le sabotage de la chenillette
2- l’affichage d’un faux bulletin météo, afin d’inciter Le Bellec à partir malgré le mauvais temps.
3- L’appel radio à la station Concordia, afin que l’alerte ne soit pas lancée et que Le Bellec ne soit pas sauvé.
Il faut donc trouver quel membre de la station Amista a matériellement pu effectuer ces trois actes.
L’appel radio permet d’éliminer les deux femmes : en effet, c’est une voix masculine qui a été entendue. Il a été effectué en italien, mais les membres français de la mission sont bilingues, cela n’élimine donc pas d’autre suspect. L’heure à laquelle il a été effectué, 11h30, permet d’éliminer Balicewicz, qui était en salle informatique à ce moment.
Le faux bulletin météo. Il a nécessairement été mis après le vrai, réalisé à 18h et posé vers 18h30 par Balicewicz.Le témoignage d’Isabella Stella indique que Le Bellec a regardé le bulletin météo quand elle est allée dîner, après son travail en salle informatique : donc vers 19h55. Cela signifie que l’auteur du faux bulletin a réalisé et posé celui-ci entre 18h et 19h50. Il devait pour cela aller en salle informatique. Cela élimine Paolo Marini, qui y est allé seulement à 20h40.
Le sabotage. Le témoignage de Marini indique que la chenillette était en bon état le dimanche soir. Surtout, après le départ de Le Bellec, seules quelques gouttes d’essence étaient répandues sur le sol : cela prouve que le sabotage a eu lieu peu de temps avant le départ, sinon une grande quantité de carburant se serait écoulée. Gianfranco Giubilaro était au laboratoie de 8h20 à 10h58, il n’a donc pas pu saboter le véhicule.
Le seul suspect restant est Fabrice Lecointre. C’est nécessairement lui le coupable.