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Les brouillons de Ségolène Royal sur le net

Les brouillons de Ségolène Royal sur le net

Les brouillons de Ségolène Royal sur le net
Mis en ligne le samedi 10 février 2007 ; mis à jour le mardi 4 mars 2008.


Article publié dans Le Tigre, version hebdo, n°6, 21 avril 2006.

Dépêche de 01net, le 6 avril 2006 - Dans la lignée de la nouvelle stratégie Internet des partis politiques, Ségolène Royal utilise à son tour le Web pour promouvoir et étoffer son prochain livre. Prévu pour septembre, ce livre est publié au compte-gouttes sur son site Désirs d’avenir, à raison d’un chapitre tous les quinze jours. La présidente PS de la région Poitou-Charentes appelle les internautes à le commenter, et à débattre de ses idées, pour enrichir son livre d’« un diagnostic partagé ». Pour le moment, la partie publiée tient plus de la prise de notes que de l’ouvrage littéraire.


Le « livre » de Ségolène Royal


Un livre participatif ? Une nouvelle forme de démocratie ? Comme toujours, l’emballement médiatique laisse de côté les vraies questions. Car, en-dehors de la brève de 01.net publiée ci-dessus, aucun journaliste ne semble avoir été surpris par la forme du « livre » de Ségolène Royal. Dans Le Monde du 12 avril, Michel Noblecourt aborde « le premier chapitre » qui « défend une «autre façon de faire de la politique» ». Et Daniel Schneidermann revient sur cet article dans Libération du 14 avril 2006 : « Pour l’instant, la Cour et ses chroniqueurs observent l’expérience, tétanisés, partagés entre le rire nerveux et l’intérêt. » Mais quid du contenu ?

Voici ce qu’annonce la candidate sur son site desirsdavenir.org : « Le premier chapitre porte sur le désordre démocratique. C’est ce que je mets en ligne aujourd’hui pour vous faire réagir, compléter, enrichir, commenter. Il se présente sous forme de document de travail à ce stade. » Un « document de travail » ? 16 pages en Times New Roman (la version pdf permet de savoir que les équipes de Ségolène Royal travaillent avec Word sur Mac), collées de façon brute sur internet. Comportant des fautes (« Eric Zémour » au lieu de Zemmour). Et non rédigées : « Le maire [1] = figure politique préférée, familière depuis la Révolution, ancrée dans la mémoire affective des Français (célèbre les mariages, s’occupe des écoles et du social). Élu de proximité rassurant quand domine le sentiment d’abandon (mais parfois violemment agressé : Nanterre et autres violences). » Avec des abréviations incompréhensibles pour le commun des mortels (« demande du Préfet au TA du Gers », le TA étant le Tribunal administratif), voire un peu gênantes : « Irrespects en tous genres (canicule, Outreau, Chik parce qu’en outre-mer...) qui, c’est logique, n’induisent pas en retour le respect. » Pour ceux qui ne l’auraient pas compris, le « Chik » c’est le chikungunya - on imagine l’auteur de ces notes ne pas savoir exactement orthographier le mot, et, plutôt que d’aller chercher (ce qui prendrait somme toute 15 secondes) laisser l’abréviation en sachant que cela sera corrigé le jour venu...

L’auteur ? Quel auteur ? Si le texte fait parfois l’effort de dire « je » (« Mon choix = transparence, efficacité et démocratie participative », à propos des régionales en Poitou-Charentes), il est évident que ce n’est pas Ségolène Royal qui a écrit ces notes. Il s’agit manifestement d’un ou plusieurs conseillers qui listent une série de thématiques en agglomérant les idées de la candidate et tout ce qu’ils lisent ailleurs. D’où la référence continue à des noms propres, non sourcés : « Anne Muxel : une large moitié des jeunes s’est abstenue lors du référendum européen », « un avenir qui soit autre chose qu’un futur de survie (Marc Guillaume) ».

Exemple détaillé avec le point III, 5°, intitulé « Les jeunes et la démocratie alternative » :

« Pas vraiment la lune de miel... Là aussi, importance des diplômes mais large défiance, décalage culturel, générationnel, civilisationnel...

La conscientisation emprunte d’autres voies, mêlant radicalité et pragmatisme.

Textes de rap : chronique sociale et, parfois, contestation politique, trop peu entendue du monde adulte.

Expression réactive : altermondialisme pendant un temps, manifestations anti-Le Pen en 2002, révolte des banlieues (cf. Todd sur la demande d’égalité et non lectures culturalistes), mobilisation anti-CPE. »

On est partagé entre l’envie de rire (la brillante analyse concernant le rap ; le néologisme « conscientisation », sans doute pour « prise de conscience ») et le sentiment que cela ne s’adresse pas à nous. Ainsi la remarque « cf. Todd sur la demande d’égalité » ne peut être comprise que par le lecteur qui sait qu’Emmanuel Todd, dans un entretien au Monde, le 12 novembre 2005, avait analysé les événements en banlieue comme une prise de conscience républicaine, rattachant les « enfants d’immigrés » à la grande tradition révolutionnaire française.

Le lecteur ? Quel lecteur ? Il est évident que ce texte n’avait pas été prévu pour être publié en l’état, ni même servir de support au débat. La Tribune du 14 avril nous apprend que, « plutôt que le livre profession de foi qu’elle avait annoncée, Ségolène Royal a décidé de publier dix chapitres sur son site. » Le livre en question, elle devait le co-signer avec Pascale Amaudric, journaliste au Journal du dimanche [2]. Et si ces notes étaient simplement le brouillon de ce livre ? Le document que l’équipe de Ségolène Royal avait prévu de fournir à la journaliste pour qu’elle rédige le texte ? Et si tout cela avait été improvisé, suite au succès des forums sur le site de la candidate ? Cela expliquerait cette forme improbable, voire illisible, évidemment pas adaptée au débat. Teresa Cremisi, de Flammarion, semble le confirmer dans Le Monde du 13 avril : « C’est un autre livre qui est en train de s’écrire. » S’écrire ?

Un des rarissimes commentaires négatifs sur le site (sur les 700 en ligne, il n’y en pas plus d’une douzaine qui soient critiques... on imagine que les autres ont été écartés) déplore : « style d’énarque qui ne connaît RIEN à la France d’en bas ». Le plus difficile, pour Pascale Amaudric, ce ne sera certainement pas d’intégrer les réactions des internautes ayant commenté ce texte, mais bien de faire un livre intéressant à partir de ces notes, tout juste au niveau d’une dissertation de première année de Sciences-Po.


NOTES

[1] Les gras sont dans le texte original

[2] Pascale Amaudric qui, le 8 janvier 2006, publiait un article intitulé « Ségolène a la stature » : déontologie quand tu nous tiens...

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