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Et Monsieur Louverture découvrit Vingt Minutes

Et Monsieur Louverture découvrit Vingt Minutes

Et Monsieur Louverture découvrit Vingt Minutes
Mis en ligne le mardi 13 mars 2007 ; mis à jour le lundi 10 septembre 2007.

Publié dans le numéro I (avril 2007)

 

 

 

 

 

 

Voilà la publicité la plus étonnante des derniers mois, publiée sans que personne ne s’en émeuve. Pour écarter d’emblée un reproche, disons-le : on n’a aucun grief particulier contre 20 Minutes, encore moins contre la presse gratuite. N’est-ce pas dévaloriser l’information que de la rendre gratuite ? On ne le pense pas. Et on veut bien considèrer 20 Minutes comme un journal parmi d’autres.
C’est là que le bât blesse : dans une campagne de publicité parue dans la presse cet hiver, 20 Minutes se pose en héros absolu du journalisme. Et sombre dans un triomphalisme d’un ridicule confondant.
Le titre, c’est : « La presse a de l’avenir ». Admettons. Suivent des slogans non hiérarchisés, de taille variable, qui mélangent allègrement les degrés de lecture. Recrutons journalistes. Ah. Une démocratie sans une presse libre est une dictature. Assurément. Dans 80% des pays, non seulement la presse n’est pas libre, mais en plus elle est payante. On flirte avec l’humour de mauvais goût — mais passons. Un bon scoop n’a pas besoin de s’étendre sur des pages. Soit. La vérité est un travail d’équipe. Sans doute. Le monde appartient à tout le monde. En effet. Allez l’écrit. Pourquoi pas. Nous prescrivons 20 minutes de lecture par jour. Admettons que ce soit un bon mot. On peut passer une heure sur 20 Minutes. À moins d’avoir douze ans, c’est limite.
Puis viennent trois slogans superbes.
Quand tout se complique, c’est pas la peine d’en rajouter. Voilà donc une apologie du simplisme, construite sur les présupposés « le monde est plus complexe ; les journalistes ne font qu’embrouiller les lecteurs, faisons simple, et pour cela faisons court ». Expliquer ce qui est complexe par ce qui est simple. On croit à une assertion humoristique type Shadocks, mais non : la phrase est redoublée par L’information sans ce qui la pollue. Là, on s’interroge sérieusement. 20 minutes étant bourré de publicité ; « ce qui pollue l’information », c’est donc quoi ? la longueur et la pertinence des papiers ? 20 Minutes, faut-il le rappeler, n’étant tout de même pas un modèle d’intelligence journalistique... (on relit un de leurs reportages de société en deux feuillets pour s’en convaincre, et s’étonner de les voir se poser en donneurs de leçons). Vient l’assertion : Que préférez-vous ? un journal avec de la pub payant, ou un journal avec de la pub gratuit ? On aimerait leur répondre qu’un bon journal avec de la pub payant sera toujours préférable à un mauvais journal avec de la pub gratuit.
Suivent quelques slogans tellement risibles de présomption qu’on en reste bouche bée : Les paroles passent, les écrits restent (les écrits de 20 Minutes ! rester dans l’Histoire !). Les journalistes sont l’avenir de l’homme (les journalistes de 20 Minutes ? l’avenir !). La presse n’avait pas changé de siècle. Et le chapitre se clôt sur le magnifique : Il fallait quelqu’un pour sauver Gutenberg.
Au fait, tout ça pour quoi ? capter des lecteurs et des publicitaires ? Chaque jour, 1998000 de personnes dévorent 20 Minutes... — les chiffres des journaux sont déjà gonflés pour appâter les publicitaires ; les chiffres des journaux gratuits sont surgonflés... puisqu’étant gratuits, il est difficile de distinguer leurs lecteurs de leurs « détenteurs pendant une seconde le temps de rejoindre la poubelle ».
Pourquoi donc, puisque tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes de la presse gratuite aux millions de lecteurs, passer des encarts dans la presse payante ? Sans doute pour capter le lectorat dit intellectuel.
Car ne remarquez-vous rien ? Cette mise en page étonnante ? Et ce noir et blanc — oui, précisons-le, ce n’est pas notre journal : la publicité est originellement en noir et blanc... Ainsi 20 Minutes, quadrichromé en diable, écrit en typo corps 14, avec des photos à toute les pages, un logo qui ressemble à un réveil des années 80, ainsi 20 Minutes se vend dans une publicité en noir et blanc écrite en petites capitales corps 6, dans un genre vieillot à souhait. Le fin mot de l’histoire, c’est que ce graphisme est un décalque imparfait du travail d’un graphiste et éditeur américain nommé Mc Sweeney http://store.mcsweeneys.net.
Dont d’autres s’étaient déjà inspirés à des fins plus louables : la revue littéraire Monsieur Toussaint Louverture monsieurtoussaintlouverture.net.

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