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Et si on lui parlait de la contradiction E.Leclerc ?

Et si on lui parlait de la contradiction E.Leclerc ?

Et si on lui parlait de la contradiction E.Leclerc ?
Mis en ligne le mardi 18 septembre 2007 ; mis à jour le lundi 17 septembre 2007.

Publié dans le numéro III (juin 2007)

 
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 « Bienvenue chez australie, l’agence qui ne voit décidément pas les choses comme tout le monde. Australie fait de la publicité. [...] Pour cela, nous fabriquons des produits ostensiblement destinés à vous faire changer d’avis ou de comportement. » www.tuveuxmaphoto.fr/australie

En janvier 2007, une série de publicités pour le Ticket E.Leclerc paraît dans la presse, conjointement à des spots télé. Elles ont été conçues par l’agence Australie. Le ton est humoristique, proche de celui de « Groland », l’émission de Canal+ parodiant les informations régionales. La pub papier parodie une rubrique de journal (au vu des typos, un quotidien populaire), intitulée « Portrait d’économe ». Nous faire changer de comportement ? Voyons voir.

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Florian est un maniaque de la propreté. Mais pas question pour lui d’investir dans un nettoyeur haute-pression. Il a trouvé plus économique : le seau d’eau à haute altitude. Pauvre Florian ! Florian est ridicule et Florian est radin. Laver sa voiture avec un seau d’eau au niveau du sol ? Vous n’y pensez pas. En laverie automatique alors ? Ah non. Et si on lui parlait du ticket E.Leclerc ? (C’est le slogan général de cette campagne de pub). Nettoyant haute-pression Black & Decker 79,50 euros dont 1,50 d’éco-participation.
L’éco-participation (obligation légale depuis novembre 2006, en vertu de l’application d’une directive européenne sur les déchets) est bien mise en avant dans la vignette ronde du prix. Voilà notre consommateur qui se sent soudain responsable, écolo malgré lui.

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Serge, à présent. « Mâcher lentement. Le secret d’une soirée bien réussie. Depuis quelques mois, les soirées de Serge sont bien occupées. Plutôt que d’investir dans un lecteur DVD, il a trouvé une solution beaucoup plus économique : il mange lentement. Le résultat est stupéfiant. En se mettant à table à 19h30, il n’en sort plus avant 23h30... » Le « manger lentement », credo des nutritionnistes, qui prônent le retour aux repas conviviaux ? Non : car Serge est seul, Serge a un visage ridicule, Serge est coupé de tout et abandonné des siens : le lecteur DVD comme salut ultime.

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Puis vient Micheline, qui « se muscle avec des parpaings dans son sac à main. Plus économique que l’appareil de musculation... » Nous n’allons pas nous poser en chantres de la décroissance. D’autant plus que tout cela est dit sur le ton humoristique : pourquoi s’en formaliser, alors que c’est drôle ? Laissons plutôt parler un spécialiste.

« Paradoxalement, c’est l’accroissement du niveau de vie et les changements des modes de consommation qui ont entraîné une frustration d’un genre nouveau, un désenchantement dont je prophétise qu’il va durer encore longtemps. Jusqu’à la dernière décennie, nos concitoyens pouvaient arbitrer leurs dépenses, sans trop s’endetter. [...] Dans la société actuelle, tout doit pouvoir être accessible. Tout et tout de suite. La pub pousse à la consommation, c’est l’offre qui impulse la demande et crée le besoin. [...] La non-consommation est vécue comme un appauvrissement. Résultat ? On puise dans l’épargne ou on s’endette. »

Et sur l’agroalimentaire, notre homme n’est pas en reste : « L’investissement publicitaire sur les marques finit par surpondérer la présence dans nos foyers de produits festifs, au détriment de produits plus équilibrés. Alors disons-le tout net : nous sommes tous responsables, parents, éducateurs, industriels, publicitaires, distributeurs. C’est un chantier énorme qu’il nous faut ouvrir. »

Mais qui peut bien s’exprimer avec tant de verve ? Vous ne l’avez pas reconnu : c’est Michel-Édouard Leclerc, le 23 janvier 2007, sur son propre blog www.michel-edouard-leclerc.com.
Alors, redites-le tout net, cher MichelÉdouard Leclerc : nous sommes tous responsables... consommateurs, industriels, publicitaires, distributeurs. Mais certains sont plus responsables que d’autres. Une « nouvelle demande sociale », le nettoyant haute pression et l’appareil de musculation ? Allons bon.

Le parti pris des publicités décrites est de tourner en dérision la résistance à l’acte d’achat de tels produits, taxée de passéisme. On se croirait en pleines Trente Glorieuses. Ne pas avoir de nettoyant haute-pression chez soi, ce n’est pourtant peut-être pas le monde d’hier, raillé par cette campagne de pub... mais bien celui de demain. Quiconque se soucie d’écologie s’en doute un tant soit peu.
À croire que le patron de chez Leclerc ne valide pas l’éthique sous-jacente aux campagnes de pub qu’il commande. 

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