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Fortis échec et mat

Fortis échec et mat

Fortis échec et mat
Mis en ligne le jeudi 27 septembre 2007 ; mis à jour le mercredi 19 septembre 2007.

Publié dans le numéro IV (ÉTÉ 2007)

Un père qui joue aux échecs avec sa fille. Si c’est pas mignon. Sur une terrasse, un après-midi pluvieux (il fait un temps dégueulasse : ciel blanc, lourd [ndlr. en attendant la couleur dans Le Tigre, les lecteurs sont priés de nous croire sur parole]). Il fait frisquet (pull gris clair en cachemire pour le papa, sweat mélangé angora-coton pour la fillette. Qui cependant est jambes nues, en robe courte). On opte pour un climat printanier, froid en soirée. Quelques villas aux toits rose (de la tuile, sans doute) transpercent la forêt d’arbres. Une carrière pierreuse au fond. Moyenne montagne. La Côte d’Azur, peut-être ?

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« Ma banque m’accompagne dans la transmission de mon patrimoine. » Métaphore : un échiquier en marbre. Ah, jouer aux échecs sur le balcon par temps pluvieux ! On aimerait presque être riche, être une petite fille blonde qui met déjà des petites boucles d’oreilles en or. Et avoir un beau papa qui a une belle montre, une Jaeger-Lecoulter à vue de nez flouté. Le père est assis dans une position très inconfortable, pas face à la table mais avec les genoux tout de traviole - au choix : « je suis tellement heureux de lui accorder dix minutes que j’en oublie l’inconfort de cette table trop basse » ou « ne prenons pas la peine de nous asseoir confortablement, vu que je vais l’écraser en dix secondes ». Vous aussi, vous attendez de votre banque une aide (pour avoir une villa sur la côte d’Azur ?) Alors jouons.

Deux cavaliers noirs l’un à côté de l’autre. L’un à sa place initiale, G1, l’autre en F1. Bizarre. Les fous, eux, n’ont pas bougé. Ni la tour en A1. De deux choses l’une : ou bien la demoiselle ne sait pas encore ranger son échiquier, ce qui nous chagrinerait quant à la capacité du père à « transmettre son patrimoine », ou bien la partie est entamée depuis bien longtemps. Ce que semble confirmer, caché entre la manche et le genou du papa, un bout de tour.

Donc, la partie est commencée. Pas sympa, il lui a laissé les noirs, ou du moins il a accepté un tirage au sort. La petiote est en panique, avec une défense serrée autour du roi et de la dame. Ses pions ont quasiment tous disparu (mangés ?). Et, mystère, il n’y a qu’un seul pion blanc apparent. D’où la question : comment la fillette peut-elle avoir conçu une telle défense alors que les pions de son père sont si loin d’elle ? Hmm... Elle regarde son père d’un air interrogateur, mi-sérieux mi-apeuré, un peu trop poli. Lui la regarde avec un sourire faussement attendri : trois rides au coin de l’œil et la bouche pincée. Il a la tête des beaux quarantenaires qui sont toujours les méchants dans Colombo, trop propres sur eux et l’air soucieux. Il a plein de dossiers de private banking à finir, et cette petite sotte qui comprend rien à rien !

- Dis, papa, j’peux jouer aux Pokémons ? J’comprends rien aux échecs. - Ok fifille. Mais pas trop longtemps, hein. Les entrepreneurs ont cet instinct qui les pousse à franchir des étapes décisives.

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