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LE P.I.L.I.

LE P.I.L.I.

LE P.I.L.I.
Mis en ligne le vendredi 23 septembre 2011 ; mis à jour le jeudi 19 mai 2011.

Publié dans le numéro 006 (juin 2011)

« Comparer l’homme à un tableau de commande avec des milliers d’ampoules ; tantôt les unes s’éteignent, tantôt les autres, avant de se rallumer. »

Walter Benjamin, Paris capitale du XIXe siècle.




On ne sait pas bien comment ils s’appellent, peut-être justement parce qu’ils portent ce nom, à la fois transparent et précis, comme seule pouvait en produire la rencontre, dans les années trente, de l’administration et de l’électrotechnique : ce sont des « plans indicateurs lumineux d’itinéraires », en abrégé, PILI. Gigantesques plans de carton ajouré qui ont fait du métro l’annexe souterraine du Palais de la découverte, et qui éclairent, depuis l’aube de l’interactivité, les voyageurs égarés.

Sous l’uniforme, les agents de la RATP ne sont pas d’accord. Il y a ceux qui répondent au hasard, parce qu’on ne sait jamais : y en a un à Pont Neuf (non). Et de plus timorés : moi je connais les cinq stations de mon secteur, après, je peux pas dire.

Certains, ils en jureraient, voient encore des PILI partout : ah mais normalement y en a dans toutes les stations. C’est obligatoire. D’autres, déjà dans l’avenir, simplement nulle part : oh ! mais ça n’existe plus du tout. Et puis, c’était pas forcément très moderne. Et même, plus grave : c’était devenu dangereux, ça faisait des étincelles, des décharges parfois.

Celui qui arpente aujourd’hui le métro en trouvera pourtant encore une centaine, dont la robustesse d’armoire électrique a été pour le moins éprouvée. Les gens s’amassent devant en petites grappes sans toujours oser presser les boutons du clavier. De toutes façons, ça ne marche qu’une fois sur deux.

Il y a des explications techniques : c’est une technologie d’autrefois, vous vous rendez pas compte la complexité du machin... C’est pas que maintenant ce soit simple, mais... L’entreprise qui les fabriquait a disparu. Donc c’est impossible à réparer, y a plus les pièces.

Il y a ceux dont la sensibilité résignée prête au sort du PILI la force d’une métaphore : c’est comme nous en fait, on devient obsolètes. Je vais pas vous l’apprendre, l’heure est à la rentabilité. Alors ils les enlèvent peu à peu. C’est dommage parce que c’était bien pratique... et surtout, comment dire... surtout ça avait du charme. Mais une collègue modère l’accès de mélancolie : d’accord c’est joli. Mais à supposer que ça marche encore, c’est surtout impossible à mettre à jour, parce qu’il faudrait refaire à chaque fois tous les câblages, et là, c’est la RATP qui est fautive parce que l’information délivrée à l’usager n’est pas exacte.

Et en effet, sur le dernier né des PILI, le 00-03-152-A, la ligne 14 ne connaît pas les Olympiades, et n’arrive qu’en pointillés à Saint Lazare. L’archéologue en déduira facilement que quelque part entre 1998 et 2003, l’agence cartographique de la RATP s’est lassée. Météor a beau avoir sur ses aînées le privilège du nom propre, elle ne figure ici que pour la forme, contrainte en dépit du faste clinquant de ses quais, de ses couloirs, à un peu de modestie : ses stations, ici, ne s’allumeront jamais.

Aux heures de pointe, dans la rumeur des vendeurs à la sauvette, avec les éclats de voix, le claquement des portillons et tourniquets, le rythme que martèlent les bips Navigo, le PILI peut devenir un vaste flipper. Il tient aussi du tableau d’éveil, de la lanterne magique qui suscitait les spectres, et de ces vues d’optique, que les Anglais appelaient rareeshows, les Italiens, mondo nuovo, et qui pouvaient faire se lever le jour sur une gravure de Venise ou une photographie du Caire.

Le fond de carte se décline en teintes de gris, qui distinguent subtilement les différentes strates d’arrondissements. Des gris volontaires et officiels, d’un temps où les cartographes aimaient la littéralité : à ville grise, plan gris. Grâce à eux, c’est le sous-sol qui éclaire les rues. Grâce à eux, et avec un peu de chance, on peut, en actionnant un Bastille-Lourmel, baigner les grands boulevards de leurs propres lumières et percer les brumes du quinzième d’une ligne d’ampoules violacées. Le PILI a bien cette « beauté de situation » que Debord, après avoir comparé le plan du métro à deux tableaux de Claude Lorrain exposés au Louvre, définissait comme « la présentation particulièrement émouvante [...] d’une somme de possibilités. » Si bien qu’il appelle à l’arrêt, au jeu, à un dialogue absurde et potentiellement infini, du genre de celui que Benjamin Péret prêtait à ses « Passagers de deuxième classe » : « J’y cours / Où courez-vous / Nulle part / Moi aussi / Alors ».

Les bornes Urbam qui sont censées prendre le relai ébauchent autour de leurs petits écrans tactiles les contours d’une alvéole privée. Ce sera, c’est déjà : plus vite, et surtout chacun chez soi.

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