Mis en ligne le mardi 10 avril 2007 ; mis à jour le lundi 10 septembre 2007.
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Publié dans le
numéro I (avril 2007)
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Le 15 avril 1874, vers 19H30, il y a tout juste 133 ans, Gaspard-Félix
Tournachon, bousculé et oublié dans l’affluence de son propre
vernissage, se demandait déjà, en découvrant ce nombre imprévu de
badauds qui n’avaient de cesse de renverser de la méthode champenoise
sur son plastron de chemise ou de crotter sans émotion le parquet de son
atelier du 35, Boulevard des Capucines, à Paris, s’il n’avait pas, cette
fois encore, vu un peu trop court en ne prévoyant qu’une soixantaine de
paires de patins. Cette foule irrespectueuse qui maculait, écrasait et
poussait, avait le don de mettre Gaspard-Félix Tournachon hors de lui ;
c’était tout de même à lui, Tournachon, le maître de cérémonie, que l’on
devait la si ingénieuse barrière Nadar, sa fierté, oeuvre qui ne lui
était ici d’aucun secours, vu qu’il avait abandonné son brevet à ces
nigauds de Belges. Et Tournachon, désespérément encaqué, d’éclater
soudainement, rugissant de la foule, hurlant qu’à présent cela
suffisait, qu’il fallait que l’on cesse de lui marcher dessus, que
c’était un monde, non mais tout de même ! A ses mots, se retourna un
petit homme qui n’était autre que Louis Leroy, dramaturge, peintre du
dimanche à ses heures, et chroniqueur comme Tournachon au Journal
amusant et au Charivari. Narquois, Leroy adressa à son atrabilaire
amphitryon et collègue un : « Nadar ! ça par exemple, mais vous êtes
dans tous les coups, mon vieux ! ». Et Leroy, à qui voulait l’entendre,
exhorter Tournachon dans le brouhaha de la foule, pour qu’on lui
explique ce qu’était cette réunion de drôles, baptisée « société anonyme
des artistes peintres, sculpteurs et graveurs », intitulé grotesque qui
valait bientôt autant que l’indépassable « Salon des Refusés » d’il y a
deux lustres ! Bien entendu, Leroy n’avait pas de patins, et le funeste
d’aggraver son cas, se gaussant de la toile de celui qui disait avoir
peint « Le Havre et son port », alors qu’on n’y voyait que d’affreux
glacis mal sentis. Quant au peintre en question, un certain Monet ou
Manet, il suggéra, placide sous l’attaque, de rebaptiser sa chose :
« Impression ». Aussi, le surlendemain, quand le nouveau Charivari
sortit, on pu découvrir le titre de la tribune de Leroy s’étendre comme
tel : « L’exposition des Impressionnistes ». « Dieu ! s’exclama
Tournachon, il s’en est fallut de peu que l’on surnomme mes petits
protégés les Havraisistes ! » Formule certes moins porteuse de gloire,
oui-da !