Dans l’arrière-boutique des ship managers
Dans l’arrière-boutique des anthropologues
« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
|
Publié dans le
numéro V (septembre 2007)
|
Y a deux peurs en fait. Y a la peur comme on la voit vraiment, genre une inhibition totale, de «Ho là là je vais avoir quelque chose à assumer et tout», mais qui serait plus mentale. Mais la peur dont je te parle, quand je me retrouve à trembler complètement devant un homme alors que j’ai envie de lui. Voilà. Une peur qui est une peur physique, que je maîtrise pas. C’est une peur qui est extérieure à moi et qui pourtant est en moi, tu vois c’est assez bizarre. Et celle-ci elle est chiante, parce que elle ne me ressemble pas. Pendant très longtemps ça a été la peur de dire que j’étais homosexuel. Je l’ai su quand j’avais douze ans, et j’ai gardé pendant six ans le secret, on va dire. En gros, j’ai dit à tout le monde que j’étais homosexuel alors que j’avais jamais roulé une pelle à un mec, quoi ! Ma première pelle à dix-neuf ans, c’était énorme, c’était dans une gare à Munich. J’ai failli... C’était un vieux, de quarante-cinq ans, qui m’a dragué en vingt secondes, qui m’a amené à son hôtel. C’était comme une sorte de dépucelage, mais c’était que une pelle, c’est tout, mais pour moi ça changeait tout : j’avais au moins fait quelque chose. Après ma vraie première expérience, ça a été un peu plus sympa dans le sens où c’est quelqu’un de mon âge, c’est quelqu’un d’intelligent, que je ne méprisais pas, qui étais sympa et tout, pas le mec pour lequel j’avais le plus de désir, mais c’était possible. Et sauf que ça a pas marché, je pense que lui il voulait un truc où on s’amuse au lit, et moi j’avais besoin de beaucoup de temps, ça a été très très rapide. Et puis j’avais du mal à tenir, je me regardais dans le miroir, je me disais «Putain t’as une bite dans la bouche c’est crado, tout le monde le voit». Après, les petites expériences comme ça, je commençais à me dire... On arrêtait pas de me dire : «C’est la peur, c’est psychologique, tu vas y arriver, tu vas prendre ton pied». Je commençais à me dire que peut-être j’étais impuissant, et je sais pas d’ailleurs, j’ai pas vraiment de réponse à ça. Je pense pas que ce soit le problème, parce que ça vient assez souvent. C’est juste que j’ai peur d’assumer ça, j’ai peur de me dire «Allez, on fait un jeu avec son corps, on tente des trucs qui peuvent paraître dégueulasses» C’est bizarre de se rendre compte qu’on est super ouvert mais que notre corps est peut-être encore super catho ou un truc comme ça. C’est une grande tristesse qui vient, en plus y a une pression, j’ai vingt-trois ans et ça arrive pas tout le temps les expériences et quand ça arrive, y a ce truc, ce truc de «encore un truc de raté, quoi» Tu peux pas le cacher. J’arrive maintenant à plus trembler, à être bien et, voilà, à juste me dire : «Ben t’auras des plus belles nuits sans moi, à bientôt ou pas... Je te rappelle quand je prendrai mon pied au lit, quand j’aurais dépassé toutes ces peurs.»