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Grothendieck mon trésor (national)
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Publié dans le
numéro III (juin 2007)
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Le présent pour moi, dans la rencontre amoureuse, c’est pas « ne pas rêver », parce que : c’est compliqué, quel est le présent ? quelle est la réalité ? On n’est pas des physiciens, je ne te vois pas comme euh... je sais pas... tel électron. Il y a toujours une réception mentale de ce qu’on voit. Et même si on s’embrasse et on fait l’amour, nos références, nos influences, théoriques, artistiques, machin, tout ça se projette. C’est-à-dire pour moi, réalité, présent, c’est atterrir. Pouvoir se vider de toutes les projections, de tous les romantismes qui nous hantent, et vivre ce moment vide, vide, que avec ce que l’autre donne, sans penser à qu’est-ce qu’on va faire demain avec lui, si il va nous donner son téléphone. J’ai eu une connaissance très belle, très très singulière. Elle est venue après une très longue période de solitude et de déception, même, déception de gens, et de moi-même, perte de confiance en ma capacité à attirer, à conquérir quelqu’un, voilà. Et c’était une connaissance où on parlait pas, presque, où on parlait d’autres choses. C’était pas la conscience de l’Autre, de dire : Ah tu es tellement magnifique, ah ! qu’est-ce que tu fais demain ? Ça fait longtemps que je souffre, heureusement que je t’ai connu... Non, rien du tout. Mais on se serrait, pour ne pas avoir froid, dans mon passage chez moi. Se réapproprier la ville en se tenant par la main, tout. Et moi j’avais quand même une cascade de pensées, de projections, qui me disaient : Qu’est-ce que c’est que cette rencontre ? Qu’est-ce qu’on va faire demain ? Il faut qu’on échange les mails, qu’on échange les téléphones. Plein, plein de choses : Qu’est-ce qu’on va faire l’été ? Je sais pas. J’étais parti, quoi ! J’étais vraiment parti, malgré l’autre, sans qu’il le sache, c’est ça que je veux dire. C’est bizarre : On viole le rythme, on viole le présent. On peut pas s’interdire de rêver, ça c’est très bien, mais : trouver un équilibre, entre notre besoin de faire des mythes, de vivre avec des mythes, d’être dans les nuages, un peu, d’avoir une vision un peu sacralisée de la vie, et notre besoin de voir l’Autre, d’ouvrir les yeux, de se dire : « C’est quelqu’un, peut-être il pense autre chose. » Pas en ayant peur. Tout le monde dit Oui, fais gaffe, tu sais pas, peut-être l’autre ne te donne pas trop... Non, donne, donne-toi, mais dans le réel, dans ce qui existe, sans des peurs qui n’existent pas, sans les rêves qui n’existent pas.