Dans l’arrière-boutique des ship managers
Dans l’arrière-boutique des anthropologues
« J’arrive à faire face à à peu près tout »
« Le respect de la diversité n’est pas une donnée française »
Une audience à la Cour nationale du droit d’asile
Grothendieck mon trésor (national)
Vous connaissez les Français : leur sentiment de supériorité en général n’a pas de limite, dans le domaine culinaire encore moins. Au Salon de l’agriculture 2008, juste avant de demander à un quidam de se « casser » « pauvre con », le président Sarkozy annonçait que la France allait demander à l’Unesco le classement de sa gastronomie comme « patrimoine mondial de l’humanité ». On comprend mieux pourquoi, depuis 1979, année de la première implantation officielle d’un Mc Donald’s en France, il est admis dans notre pays que les fast-foods sont moralement, diététiquement et gustativement diaboliques. C’est globalement vrai, et alors ? L’alcool ou les cigares ont bien leurs critiques. Mais les burgers ? Où peut-on lire une analyse comparative, argumentée et rigoureuse de ces sandwichs d’origine américaine qui sont l’alimentation quotidienne de millions de Français ? [1] Le Tigre, toujours prêt à défendre les causes les plus improbables, a décidé de créer exceptionnellement une rubrique gastronomique et de la consacrer aux burgers français. Sans mépris pour son objet d’étude ni considération morale [2].
Je débute ma série de tests avec un compagnon d’exception : *** est, très probablement, le seul énarque de plus de trente ans à manger encore dans des fast-foods. Je le laisse choisir le restaurant : il m’emmène au Quick pour m’y faire découvrir le Quick’n’Toast. Tester des bugers impose un peu d’abnégation : je renonce aux charmes du traditionnel menu et de ses frites pour prendre un cheeseburger, un Giant et un Quick’n’Toast. Le repas débute avec le cheeseburger, enveloppé dans un papier souple que j’ouvre avec appétit. Le pain est un peu triste : blanc, sans graines de sésame ni traces de grillé. À l’intérieur, un cornichon et des petits morceaux d’oignon amalgamés dans une sauce blanche sont déposés sur un tout petit steack. Sous celui-ci, la traditionnelle tranche de fromage carrée (que j’appellerai dorénavant le « cheese ») et un peu de ketchup. Mon énarque fait grise mine : « Il n’y a pas grand-chose, et le steack est minuscule ». Je renifle le burger : cela sent le pain. Je croque dedans : cela sent encore le pain, mais aussi la sauce, qui est bonne. La tonalité majeure du cheeseburger est le grillé, assez doux. Je prends une bouchée de pain seul, il n’a aucun goût : c’est donc la sauce qui donne ce goût du grillé. L’ensemble est chaud : « fait à la minute, c’est agréable », souligne mon compagnon d’infortune. Ce n’est pas cher (1,85 euros), c’était mon apéritif. Comme dans un vrai restaurant, un garçon s’approche pour nous apporter les deux Quick’n’Toast qui n’étaient pas en stock lors de notre commande. La boîte est belle, imposante. Le prix aussi : 4,20 euros. *** me fait admirer la bête : « Note qu’il est exactement similaire à la photo ! » C’est vrai : les proportions sont aimablement respectées : le pain de mie, légèrement ovale, est toasté des deux côtés. On est loin du traditionnel burger : « Bien sûr, c’est un produit typiquement européen, pensé comme tel », rétorque mon acolyte surdiplômé. À l’intérieur, un petit morceau de bacon (mon énarque en a deux, privilège de classe sans doute) recouvert de beaucoup de sauce, deux tranches de cheese, et un steack épais. La prise en main est perturbante : au lieu du mou habituel, on se retrouve avec un bloc solide, dû au pain toasté. Mais dès qu’on croque, la sensation de dur disparaît : le pain est bon, la sauce aussi. On est manifestement face à un produit haut de gamme. En revanche, peut-être plus encore qu’avec le cheeseburger, la sensation de sec est envahissante. Hagard, je lève la tête vers mon compagnon : « Je n’ai plus de salive ! » Pas très étonnant : la boîte du Quick’n’Toast indique qu’il délivre 73% des apports journaliers recommandés en sel... Nous trinquons avec nos verres en plastique remplis de bière. La conversation glisse vers la femme de *** : « Tu ne l’emmènes pas au Mc Do. Par contre au Quick, c’est comme ça (il claque des doigts). » « Parfois c’est même elle qui réclame d’aller au Quick. Pour ça ! » « Ça », c’est le Quick’n’Toast. Mais la sauce vient d’être modifiée : « Elle est très déçue. » Je l’observe finir son burger en conservant les mains intégralement propres : moi j’ai plein de sauce sur les doigts. Intarissable, *** évoque le Big Tasty, lancé par Mc Do pour concurrencer le Quick’n’Toast : « Elle a détesté ». C’est à ce moment tragique que je remarque soudain la grosse et belle tomate rouge sur la photo de la boîte. Or dans notre Quick’n’Toast, pas de tomate ! Nous hésitons à convoquer le garçon pour lui faire rendre gorge, puis, magnanimes, finissons notre burger en ronchonnant. Il me reste un Giant (le produit phare du Quick, 3,95 euros) pour oublier cet affront. Dans la boîte, une bande de carton empêche le burger de s’effondrer : signe d’une fragilité inquiétante. *** ne peut s’empêcher de ricaner en triomphant : le Quick’n’Toast se tenait tout droit sans assistance cartonnée. Sur les deux (modestes) steacks, beaucoup de salade et de sauce, et un cheese. Sous les steacks, rien du tout. Cela me fait craindre le pire, mais la sauce est présente, même si elle manque un peu de goût. Pour avoir beaucoup pratiqué le Giant millésimes 1994-1995, il me paraît évident que cette nouvelle sauce est nettement moins originale que la précédente. Il me semble déceler un léger goût de poisson : mon brillant voisin de table m’apprend qu’un tableau affiché dans chaque Quick dresse les listes des produits potentiellement allergogènes au sein de chaque aliment, tableau qu’il a synthétisé en un seul coup d’œil. Il avait été justement frappé par l’existence de traces de poisson au sein de certains burgers : ceci expliquerait cela. Les énarques ont donc vraiment toujours réponse à tout. Nous sortons de table, sans oublier de débarasser nos plateaux. Ce n’est pas avec des restaurants où ce sont les clients qui font le service que le chômage va diminuer dans ce pays : sujet potentiellement polémique avec un membre d’un cabinet ministériel ; je m’abstiens de l’aborder.
Je poursuis mon test le lendemain, seul, au Mc Do, avec une configuration similaire. En entrée, un petit cheeseburger (1,75 euros) : enveloppé dans du papier léger, de petite taille, avec un pain sans graine de sésame et mou, un steack dérisoire, un cheese, une lamelle de cornichon, du ketchup et des petits oignons trempés dans un peu de sauce. À l’odeur, l’ensemble sent la viande : le pain, légèrement graisseux, semble avoir été humecté pour avoir plus de goût. Je croque dans l’animal, sec mais moins que celui du Quick. La sauce est quasi absente. Le ketchup est de qualité. Le cornichon (manifestement un molossol) est très bon, mais difficilement sécable avec les dents : une fois qu’on a mordu dedans, il vient en entier, emportant avec lui le restant du ketchup, catastrophe. Le Big Mac est un produit similaire, supérieur en gamme (3,50 euros) : le pain est recouvert de graines de sésame, il y a deux petits steacks et deux morceaux de cornichons, un cheese, salade, oignons (plus exactement : petits cubes blancs qui sentent l’oignon), sauce blanche. Lors de la première bouchée, on a le sentiment que le burger est rempli de sauce ; en réalité, c’est parce qu’on ouvre la bouche plus grand (épaisseur oblige) et que ce faisant on arrive plus directement au cœur du burger. La salade n’a aucun goût. La sauce n’est pas passionnante : c’est un produit tout public, qui n’affirme rien et qui ne prend aucun risque. Le Big Mac manque de passion, de folie : il est tout juste honnête. Je termine avec le Royal Deluxe, dont le nom indique l’ambition. Il n’est pas beaucoup plus cher que le Big Mac (3,80 euros), mais les deux petits steacks sont remplacés par une seule tranche plus large, surmonté d’une vraie tomate et d’un cheese. La sauce est à la moutarde, ce que soulignent les petits grains « à l’ancienne ». Suite à un incident industriel (aurais-je trop penché mon plateau ?), elle a coulé sur un des bords du Royal Deluxe : je croque dans cette partie, et suis agréablement surpris. Cela sent à la fois le grillé et la moutarde tout en conservant une certaine fraîcheur. Le burger est presque trop garni : la sauce est tellement généreuse qu’elle glisse d’un peu partout. Il doit être quasi-impossible de manger un Deluxe sans avoir une ou deux petites serviettes en papier spécialement dédiées. Au bout d’un certain nombre de bouchées, la sauce sent moins la moutarde (à moins qu’il ne s’agisse d’un mélange entre une sauce blanche et de la moutarde, ce qui justifierait la non-continuité du goût). Après m’être longuement essuyé les doigts, je tente de synthétiser mes sentiments sur le Mc Do : moi qui suis un habitué de l’endroit, dans cette configuration spécifique de test gastronomique, j’en ressens les limites. Les goûts manquent de personnalité et sont trop homogènes : les trois burgers se sont enchaînés sans que j’ai le sentiment de produits différents. On dirait trois niveaux de qualité d’un même produit. Certes la gamme est beaucoup plus large, mais Mc Do réagit comme un leader sur le marché : toute prise de risques, en tout cas sur les produits phares, est bannie.
J’aurais volontiers poursuivi mon étude dans un Burger King, mais cette chaîne, florissante dans le monde entier, a abandonné le marché français en 1997, au grand désespoir des fans de burgers, qui, lorsqu’ils sont à l’étranger, se précipitent dans le premier Burger King venu. Je me rabats donc sur une toute petite chaîne parisienne (une dizaine de magasins), Hollywood Canteen. Je cherche le restaurant le plus proche du ministère où travaille mon énarque, que je veux épater en lui faisant découvrir de nouveaux burgers. Manque de chance, le Hollywood Canteen en question (dans le XVe arrondissement) ne propose que de la vente à emporter. En plein mois d’août, *** est seul au bureau : il peut donc utiliser la voiture de son ministre, et je dois dire que c’est une image assez rare que de voir une 607 siglée République française s’arrêter devant une échoppe de l’Hollywood Canteen. Nous passons notre commande dans la boutique surchauffée, puis nous partons nous installer dans un parc voisin. *** sort d’une réunion à Matignon. Pour se remettre, il a choisi un Bacon Oignons Cheese (5,40 euros, livraison incluse ; l’acheter sur place ne procure ni réduction ni promotion). L’aspect est bon : le pain est réellement grillé, il y a de vrais oignons, une belle tomate, de la vraie salade, une tranche généreuse de bacon. La viande a un goût de viande : c’est presque perturbant par rapport aux fast-foods. Le bacon écrase un peu le goût : « C’est vrai que c’est moins authentiquement un burger », reconnaît le haut fonctionnaire qui jette un coup d’œil admiratif à mon Big Burger (6 euros) : « Il est vraiment big ! » Les ingrédients sont les mêmes, avec en plus des champignons et de l’œuf brouillé. Mais pas de sauce du tout. « Je l’ai déjà remarqué l’autre jour, tu surpondères la sauce », me fait remarquer mon compagnon de burger, dont le sens aigu de l’observation se mêle au jargon technocratique. Je tente d’argumenter : c’est la sauce qui fait l’originalité du burger, puisque les ingrédients n’ont d’habitude pas de goût. Dans le cas qui nous occupe, les burgers sont faits avec des vrais ingrédients, donc la sauce est moins nécessaire, je suis obligé de le reconnaître. « C’est vrai que c’est cher, mais c’est bon », se réjouit ***, que j’ai extirpé de sa routine cantinière. Je suis nettement moins enthousiaste que lui : on paie quasiment le double que dans un fast-food pour avoir le sentiment d’un buger fait maison - or on en est loin. Les oignons sentent la vieille huile peu ragoutante, la viande est de piètre qualité, et l’ensemble est passablement ennuyeux. Je demande à mon énarque quelle peut être la valeur ajoutée de ce genre de magasins par rapport aux Mc Do standard. Toujours positif, il me fait remarquer que la déco doit être soignée, puisque même dans l’échoppe de vente à emporter, l’aspect Amérique des années 1950 était notable. Je lui donne raison sur ce point, et le raccompagne à son ministère, le ventre lourd.
Le soir même, je me retrouve, vers minuit, avec une jeune femme charmante, qui n’a comme seul défaut que de confondre avec application Miles Davis, Charlie Parker et Dizzy Gillepsie. Nous nous installons dans une sympathique brasserie parisienne, le Jaurès. Je ne peux m’empêcher de sursauter en découvrant sur la carte un « burger «JC», fait maison », que je commande aussitôt : 12,90 euros, on touche à une tout autre gamme. Dans un pain réellement grillé, je trouve un immense morceau de vraie viande hachée, avec deux cheeses, une vraie tomate, beaucoup de bonne salade verte, et une sauce béarnaise copieuse. L’animal est tellent épais qu’il est difficile de le prendre à la main, et je crains d’offusquer ma voisine du soir, qui essaie maintenant de se rappeler qui se cache derrière le surnom « Bird ». Je me rabats sur les couverts, ce qui ôte une bonne part du plaisir transgressif qu’il y a à manger un cheeseburger. Le burger « JC » (les initiales du patron ? une référence au Christ ?) est excellent, il n’y a rien à dire, mais la sauce béarnaise trouble les cartes : on est là dans un produit beaucoup trop français pour être vraiment qualifié de burger. Et Clifford Brown ? Trompettiste.
Virage à 180 degrés le lendemain, avec la dégustation de burgers vendus en supermarché : les cheeseburgers de chez Charal (2,59 euros les deux). Une minute dix au micro-ondes ; je n’en ai pas, alors ce sera vingt-cinq minutes au four, avec de la manutention : il faut rajouter le pain du haut trois minutes avant la fin. Ça paraît dur à croire, mais ces vingt-deux minutes ne seront pas venues au bout des tranches de cheese, qui n’ont même pas fait semblant de fondre un petit peu. À l’intérieur du burger, il y a un steack minuscule, le cheese donc dur comme de la pierre, et une sauce orange fluo - et ce n’est pas une façon de parler. Paradoxalement, le burger sorti du four a meilleure allure que sur la photo de la boîte, où la sauce semble gluante et où le pain ressemble à un morceau de plastique. Je croque. Le premier sentiment n’est pas désagréable : le pain est de qualité, et croque bien sous la dent ; le burger n’est pas trop sec. En revanche, même après plusieurs bouchées, on ne sent toujours pas ni la viande ni la sauce : on a le sentiment de manger un burger au pain. Ce n’est qu’au beau milieu du cheeseburger que je finis par mordre dans une zone où la sauce se fait enfin sentir : sauce industrielle sans aucun intérêt, dont la couleur fluo a réellement quelque chose d’effrayant. Conclusion : un burger de piètre qualité, mais finalement moins pire que je ne l’aurais imaginé. En revanche, savoir que le produit a été élu « Saveur de l’année 2008 » laisse songeur.
Pour terminer mon état des lieux, un passage dans un burger halal s’impose. Les musulmans pratiquants ne peuvent manger que du poulet dans les Mc Do et les Quick, les burgers traditionnels contenant de la viande qui n’a pas été abattue en respectant les préceptes de leur religion [3]. Voilà pourquoi nombre de petites échoppes proposent des produits halal, avec des offres en tous points similaires à celles des fast-foods traditionnels. C’est le cas du Mistral, à Aubervilliers, où je traîne une collègue du travail. Elle est amoureuse donc elle a faim. Elle choisit un double-cheese (3 euros) ; moi un Royal Bacon (3,50 euros). Les pains sont de bonne qualité, grillés à la main (dans une machine type panini), surmontés de sésame et de taille imposante. En revanche, les steaks sont misérablement petits. Un peu comme pour un kebab, on choisit à la commande la sauce (parmi des dizaines possibles, notamment la harissa), et la présence de salade, tomate, oignon, qui sont de bonne qualité. Le bacon dans mon Royal Bacon doit être du jambon de dinde, le goût fait l’affaire. Le burger est plutôt bon, pas trop sec (bonne qualité de pain) : un produit plus qu’honnête, pour un prix très raisonnable (similaire à un fast-food). Ma collègue n’a cessé de faire des sms à son amoureux. Gonflée à bloc, elle retourne commander un second double cheese, cependant que je tire la langue pour terminer mon Royal Bacon : c’est le onzième burger que je mange en quatre jours. Testeur de burgers, c’est drôle, mais là, je déclare forfait. Pour la première fois de ma vie, je rêve de haricots verts et de saumon à l’aneth.
[1] Rendons à www.myburger.fr ce qui lui appartient : ce site est le must dans le domaine de la critique des burgers. Actualisé en permanence, il permet notamment de découvrir les produits temporaires des fast-foods, que nous n'avons pas testé ici.
[2] Pour ceux que la lecture de cet article indisposeraient, cf. Le Tigre volume V et volume X, qui critiquent le discours publicitaire de Mc Donald's.
[3] Au Maroc, Mc Donald's a ouvert des magasins qui proposent des burgers halal.