Mis en ligne le lundi 2 janvier 2012.
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Publié dans le
numéro 009 (septembre 2011)
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Contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, les bonnes
résolutions ne doivent pas se prendre en janvier, mais en
septembre, quand la peau encore hâlée on trouve charmant de
mettre un pull au crépuscule. Voici donc ce à quoi je m’engage,
numériquement parlant, cette liste ayant valeur programmatique.
Cette année, j’utiliserai enfin la tablette Kindle qui m’a été
offerte en mars, et qui est encore vide de tout contenu. Pour
les raisons présidant à ce délai, je me permets de renvoyer à
une précédente chronique, c’est une histoire compliquée.
Néanmoins, dans la perspective d’une esthétisation de mes
névroses, je trouve assez beau de pouvoir tenir entre mes mains
ce qui correspondrait à un livre aux pages blanches, sur
lesquelles pourraient s’inscrire en quelques instants à peu près
tous les livres (je dis « à peu près » car l’offre d’Amazon est
encore limitée, notamment en français). Que ce petit objet, fin
et léger, puisse se remplir de la quantité de mots qu’on
dénombrerait sur un long rayonnage de bibliothèque est une idée
qui me plonge dans la contemplation. Ainsi passé-je des heures à
le tourner et le retourner, avec la même perplexité que le jeune
bonobo devant un distributeur de bananes que des éthologues
pervers auraient placé dans sa cage. Cette expérience quasi
borgésienne (la mienne, pas celle du jeune bonobo) devra prendre
fin dans les mois qui viennent pour des raisons de stricte
politesse envers les gens qui ont eu l’idée de ce cadeau.
Cette année, je m’achèterai un Ipad. Et je m’en servirai tout de
suite. François Bon a dit un jour que grâce à l’Ipad, il s’était
mis à vraiment lire le Web. Si c’est vrai, ça vaut le coût.
Cette année, je ne rallumerai pas mon ordinateur en rentrant de
soirée pour lire mes mails. D’abord parce qu’il est rare que
soit arrivé entre 21 heures (heure de la dernière connexion) et
2 heures du matin (heure moyenne de la reconnexion) un message
exigeant une réponse immédiate. Ensuite parce que, au cas où
cette réponse nécessiterait un minimum de diplomatie et de
mesure, il est hasardeux de s’y risquer fatigué et bourré. Ce
qu’on considère alors comme une réplique pleine d’esprit ayant
des chances d’être regretté quelques heures plus tard. A partir
de septembre, je préférerai l’à peu-près pâteux du lendemain de
fête à l’enthousiasme dangereux du noctambulisme.
Cette année, je cesserai de regarder sur Youtube des
compilations de bagarres. Je ne comprends pas pourquoi, moi qui
ne supporte pas la violence, il m’arrive parfois de passer des
heures à chercher des vidéos de gens se tapant sur la gueule
(pour être tout à fait juste, il faut préciser que rarement je
tape « fighting » dans le moteur de recherche de Youtube, mais,
quand m’est proposée dans la colonne de droite du site une bonne
baston, je ne résiste pas longtemps avant de cliquer, ce qui a
pour effet de faire émerger d’autres vidéos, que je regarde les
unes après les autres avec un mélange d’excitation et de
dégoût). Deux solutions : soit j’essaye de sonder les raisons
profondes de cette activité, ce qui risque d’être long, coûteux
et au final peu intéressant. Soit je renonce de moi-même à ces
visionnages dont j’ai longtemps été privé sans grand dommage.
Dans le même registre : cette année, je cesserai de regarder sur
Youtube des vidéos de chutes. Là, je dois avouer qu’elles ne
m’arrivent pas par les suggestions du site. Oui, je le confesse,
parfois, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, je
tape « funny falls » dans Youtube. Et, je le confesse avec plus
de difficulté encore : ça me fait du bien. Ca me fait du bien de
voir un enfant éjecté d’un tourniquet, un vieux se prendre une
porte vitrée, une demoiselle d’honneur bourrée faire s’écrouler
la tente du mariage en tentant une pole dance sur le pilier
porteur. Tous mes soucis s’éloignent quand je regarde les
compilations de mariés qui tombent dans les pommes devant le
prêtre. Je me prends à penser que Baudelaire aurait été moins
mélancolique si au soleil couchant, à l’heure où l’angoisse
despotique avait l’habitude de venir planter sur son crâne
incliné un drapeau noir, il avait pu regarder en boucle la vidéo
du type qui fait un vol plané à la suite de la boule de bowling
dans laquelle son doigt est resté coincé. Et c’est quand cette
pensée se formule à mon esprit que je me dis que quelque ne va
pas bien. L’année prochaine, je soignerai autrement ma
tristesse.
Cette année, je rangerai régulièrement le bureau de mon
ordinateur. C’est drôle comme on reproduit en informatique ce
qu’on fait dans le monde physique. Le bureau de mon PC est à peu
près aussi bordélique celui de mon appartement. A la différence
près que la fonction « rechercher » de Windows permet de
retrouver en quelques secondes un document égaré, ce qui est
évidemment moins facile dans la vraie vie (encore que, à la
recherche par exemple de son avis d’imposition de l’année
précédente, nécessaire pour remplir par Internet une déclaration
d’impôt devant être envoyée impérativement dans les dix minutes,
on puisse se mettre naturellement dans un état proche de la
transe et plonger la main au bon endroit de la bonne pile,
tombant par ce qu’on considère bêtement comme le hasard sur les
feuilles essentielles, mais c’est moins sûr que la fonction «
rechercher »). Je serai donc méthodique, créerai des dossiers,
des sous-dossiers, ce qui m’évitera de m’apercevoir trois
minutes avant de prendre l’antenne à la radio que le fichier que
je m’étais envoyé en pensant que c’était le conducteur de mon
émission avait le même nom qu’un brouillon de haïku rédigé un
soir d’inspiration.
Cette année, je téléchargerai illégalement.
Cette année, je serai plus inventif dans les mots de passe.
Depuis 4 ans, j’utilise partout le même mot de passe, considéré
par Facebook à la « fiabilité très faible » (ce qui m’a permis
de remarquer avec émerveillement que « faible » et « fiable »
étaient des anagrammes). Même pas besoin d’être hacker pour
pirater tous mes comptes. L’autre jour, une copine a ouvert mon
Notebook toute seule, en deux essais. Et elle tape avec trois
doigts. « Scarring » comme disent les Américains, avec un air
vraiment effrayé. Cela dit, je ne sais pas bien comment m’y
prendre. Soit je garde le principe du mot de passe unique, mais
je le complique (pas si simple de compliquer un mot de passe :
faut-il qu’il ait un sens compréhensible de moi seul ? faut-il
laisser faire le hasard des doigts sur le clavier ?). Soit je
trouve différents mots de passe pour les différentes
circonstances (et dans ce cas, comment m’en souvenir ? faut-il
que je me créé un répertoire de mots de passe ? faut-il que ce
répertoire soit inscrit dans un carnet ? où ranger ce carnet ?).
Gros dossier.
Cette année, je rédigerai un testament numérique. La mort d’Amy
Winehouse m’a travaillé tout l’été. Et je me suis dit qu’il
fallait envisager moi aussi la possibilité que je meure.
Qu’adviendra-t-il de mon identité numérique quand je ne serai
plus de ce monde ? Est-ce que des gens continueront de me poker
sur Facebook, - poker un mort étant assez glauque il faut le
dire - ? Est-ce que je continuerai à recevoir des demandes
d’amis ? Est-ce que je continuerai à gagner des followers sur
Twitter ? Que faire de tous ces comptes, de toutes ces boites
mails ? Les clore comme on se débarrasse d’un cadavre ? Les
laisser s’éteindre comme disparaît doucement le souvenir d’une
voix ? Et puis, je ne veux pas réapparaître dans un cimetière
virtuel, deux dates encadrant une photo pixélisée, au milieu
d’un bouquet de fleurs stylisé et d’un gif animé de chérubin
accueilli par Saint-Pierre. L’année prochaine, j’organiserai ma
disparition des réseaux.